La CNSS dans la tourmente : À table
En annonçant une «réforme de la mission gouvernementale de protection sociale», l’exécutif a pointé sa propre responsabilité dans le naufrage de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Dépassé par les événements, l’exécutif a choisi la fuite en avant. Tourmenté par l’hypothèse d’une faillite de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), il a opté pour une solution juridiquement douteuse, financièrement contestable et socialement incompréhensible : la mise en place d’une administration provisoire, assortie de la cessation des activités de la direction générale et de la création d’un nouvel organe de contrôle. Comme il l’avait fait pour la Banque gabonaise de développement (BGD) ou la Banque de l’habitat du Gabon (BHG), il a confié la gestion de la crise à un mandataire nommé par ses soins. Autrement dit, afin de poursuivre ses objectifs en matière de protection sociale, le gouvernement mise sur une personnalité étrangère à la matière. Ainsi, la restructuration de la sécurité sociale sera conduite par un banquier et non pas par un expert en la matière ou un juriste.
Oukase
S’inscrivant dans une tradition de la personnalisation du débat public, cette décision ne surprend guère. Traduction d’une appétence pour la politique-spectacle, elle correspond à la gouvernance de ces dernières années. Comme toujours, le gouvernement a confondu autorité et autoritarisme. Comme souvent, il a fait de la communication à la place de la politique, minimisant les aspects techniques. Comme dans de nombreux cas, il a refusé d’assumer sa part de responsabilité, s’enferrant dans une interprétation élastique des textes. La CNSS étant la propriété commune de l’Etat, des travailleurs et des employeurs, le gouvernement était-il fondé à décider seul, sans recueillir les avis des autres parties ? La direction générale ayant déjà esquissé des pistes de solutions, ne fallait-il pas l’accompagner ? Eu égard à la composition du conseil d’administration et au rôle reconnu au commissaire du gouvernement, fallait-il exonérer l’exécutif à si bon compte ? Sur quel fondement juridique la direction générale a-t-elle été dissoute ?
Pour prononcer son oukase, le gouvernement s’est appuyé sur l’alinéa 1 de l’article 7 de la loi n° 6/75 du 25 novembre 1975. Mais cette disposition ne garantit en rien la légalité de la dissolution de la direction générale. Confère-t-elle le pouvoir de dissoudre le conseil d’administration «en cas d’irrégularité, de mauvaise gestion ou de carence caractérisée» ? Nulle part, elle ne donne le droit de prononcer la «cessation des fonctions des membres de la direction générale.» Pis, le conseil d’administration étant habilité à délibérer, entre autres, sur «le rapport annuel du directeur général», «les comptes annuels» et «le programme d’action sanitaire et sociale», l’on se demande s’il ne lui revenait pas de décider de la mise en place d’une administration provisoire ou tout au moins de la proposer. Au-delà, l’on cherche à comprendre si le Comité de surveillance et de contrôle ne fera pas double emploi avec la Commission de contrôle prévue par la loi.
Sauvegarder la mission d’intérêt général
La pertinence politique de cette décision est tout autant sujette à caution. Depuis de longues années, les différents directeurs généraux ont multiplié les dépenses somptuaires. Dans le silence bienveillant du gouvernement, ils ont engagé la CNSS dans des projets sans lien avec ses missions, s’offrant le luxe de bâtir des cités ou d’acquérir des parcelles avant de les céder au franc symbolique. Où était le commissaire du gouvernement ? Que faisaient les ministres de tutelle, pourtant destinataires des projets d’ordre du jour du conseil d’administration ? Comment l’exécutif aurait-il réagi si les représentants des employeurs et des travailleurs avaient décidé de dénoncer cette gestion à la petite semaine ? N’aurait-il pas parlé d’instrumentalisation politicienne, comme à son habitude ? Du coup, peut légitimement se tourner vers lui. De même, on peut s’interroger sur le rôle des institutions de contrôle, notamment la Cour comptes, étonnement silencieuse.
En annonçant une «réforme de la mission gouvernementale de protection sociale», l’exécutif s’est involontairement mis à table. En ayant recours à une administration provisoire, il a reconnu la nécessité de sauvegarder la mission d’intérêt général et l’objet social de la CNSS, pointant sa propre responsabilité. Reste maintenant à savoir s’il s’en est donné les moyens. Déjà, l’on relève une incongruité : dans le projet de loi de finances rectificative adoptée par le Conseil des ministres du 07 juin courant, il n’est nullement fait mention d’une subvention destinée au sauvetage de la CNSS. «L’augmentation de la prise en charge de l’assurance maladie au profit des Gabonais économiquement faible» ? Elle relève de la garantie sociale et pas de la sécurité sociale. Où l’on s’interroge sur les objectifs de la politique budgétaire et la sincérité des comptes publics. Mais, ça c’est une autre paire de manches…
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