Hôtels, restaurants, bars et night-clubs : le blues des opérateurs du secteur touristique gabonais
Avec 229 milliards de francs CFA de contribution au PIB, le secteur du Tourisme paye pourtant le plus lourd tribut de la crise sanitaire : plus de 40.000 personnes à la peine dans le seul Grand Libreville dont 6000 congés techniques, 3700 fins de contrats CDD et CDI, et plus de 120 entreprises pouvant mettre la clé sous le paillasson à la fin du mois qui débute. Les larmes d’un secteur pourtant présenté comme l’un des trois piliers de la relance économique du Gabon.
Longtemps présenté au Gabon comme l’un des piliers de la diversification économique après-pétrole, le secteur du tourisme, notamment ses acteurs, se mord les doigts dans le contexte actuel du Covcid-19. Pire nombreux de ses démembrements sont poussés au suicide par les pouvoirs publics qui les pressurisent avec des mesures pas du tout réalistes.
Un poids de 229 milliards de francs
Représentant 4% du PIB du pays, ce secteur a contribué pour près de 229 milliards de francs CFA à la production de la richesse nationale en 2019, si l’on s’en tient aux chiffres de la Direction générale de l’Economie et de la Politique fiscale (DGEPF) et du Fonds Monétaire International (FMI) sur la base desquels le poids de ce secteur a été calculé. Pourtant, goguenard, un ministre gabonais demandait récemment à un journaliste, «Ça rapporte quoi au pays les hôtels, les restaurants, les night-clubs, les bars ?» Symptomatique de l’ignorance ou de l’absence de réalisme, cette boutade pourrait expliquer pourquoi le gouvernement fait la sourde oreille devant les cris d’alarme des acteurs du secteur. Réunis à travers le Club Tourisme de Libreville (CTL), ces opérateurs économiques ont pourtant démontré, le 10 août dernier, au ministre du Tourisme, le naufrage en cours du secteur.
Le CTL a en effet estimé à plus de 20.000, à Libreville uniquement, le nombre de personnes du secteur touchées de plein fouet par la crise sanitaire et les mesures de couvre-feu. «Ce chiffre ne tient pas compte des emplois indirects comme les petits commerçants de fruits, légumes ou poisson et les prestataires. Ce qui pourrait doubler ce chiffre de 20.000 personnes, soit un total de plus de 40.000 personnes impactées sur le seul Grand Libreville», précise un membre du CTL. S’il est communément admis qu’au Gabon «un seul salaire nourrit au moins 10 bouches», par déduction l’impact négatif de la situation doit être beaucoup plus grave qu’on ne pourrait le penser.
Si les restaurants disposant d’une terrasse ont été autorisés à rouvrir à certaines conditions, leurs chiffres d’affaires n’en restent pas moins bridés, les horaires d’ouvertures étant fortement réduits par le couvre-feu sanitaire. Les night-clubs sont les plus à plaindre dans cette situation. Totalement fermés depuis 5 mois, ils accumulent les arriérés de loyers et autres charges (gardiennage, SEEG, etc.). La majorité des promoteurs de l’industrie de la nuit craignent, par ailleurs, les énormes pannes du matériel mis à l’arrêt durant ces longs mois, impliquant des frais conséquents au moment de la reprise… sans trésorerie.
Plus de 120 entreprises en perspective de faillite
Le maintien du couvre-feu sanitaire est ainsi devenu le cauchemar éveillé de ces opérateurs économiques résolument à la dèche. Invoquant les mesures barrière foulées aux pieds dans les marchés, ainsi qu’on peut aisément le constater à Mont-Bouët, nombreux d’entre eux crient à l’injustice. «Il faut arrêter de diaboliser le secteur du tourisme en disant que c’est risqué pour la propagation du virus de rouvrir les salles fermées de restaurant et des bars. Pas à l’heure où les gens s’entassent dans les taxis, les clandos, les bus. Pas quand les marchés sont le rendez-vous quotidien de milliers de librevillois à touche-touche», maugrée un membre du CTL. Et de poursuivre : «apparemment ce sont les bons élèves qui sont pénalisés puisque la vie continue la nuit dans les quartiers.»
Le CTL estime, depuis le début de la crise sanitaire, «environ 6000 congés techniques, 3700 fins de contrats CDD / CDI et plus de 120 entreprises qui vont mettre la clé sous la porte et déposer le bilan au plus tard à la fin du mois de septembre». Des chiffres alarmants qui n’interpellent que très peu les autorités. À la mi-juillet, le ministre du Commerce, des PME et de l’Industrie, Hughes Mbadinga Madiya, révélait pourtant que «le tourisme est le secteur qui a payé le plus lourd tribut de la crise sanitaire». Dans la foulée, l’actuel ministre du Tourisme, Pascal Houangni Ambouroue, s’est montré réceptif aux cris d’alarme du CTL en organisant, dès le 20 août, un séminaire visant une nouvelle orientation de ce secteur si durement touché. Mais comme on dit, pour faire trainer un problème il faut créer une commission chargée d’en trouver les solutions. Ledit séminaire visait un «inventaire de toutes les préoccupations du secteur touristique et de voir avec les différentes entités quelles sont les solutions appropriées à mettre en place pour accompagner la mise en œuvre de l’existant, en vue de relancer l’économie de ce secteur», selon les explications de Pascal Houangni Ambouroue. Ces solutions sont toujours attendues, plus de 10 jours après la fin du séminaire.
Le choix de l’audace et d’une stratégie endogène pour sauver l’existant
Et l’on en vient à penser à certains pays africains ayant pris en compte la fragilisation de leur tissu social et économique en faisant le choix de l’audace et d’une stratégie endogène pour relancer tous les secteurs de leur économie : le Ghana, déconfiné depuis le 20 avril ; le Nigeria où Lagos a repris une vie normale depuis le 4 mai ; la Tunisie depuis le 4 mai ; la Côte d’Ivoire qui a rouvert les «maquis» ces bars-restaurants populaires, ou encore le Cameroun voisin dont les débits de boisson, les restaurants et autres lieux de loisirs sont, même de nuit, accessibles depuis le début du mois de juin. On ne meurt pas plus dans ces pays et l’OMS n’est pas montée au créneau pour les fustiger. L’institution onusienne n’a d’ailleurs jamais conseillé le confinement contre l’épidémie : «Nous n’avons jamais dit d’instaurer des mesures du confinement. Nous avons dit de suivre, tracer, isoler, traiter», déclarait, le 27 avril, Margaret Harris, porte-parole de l’OMS.
Il faut sauver le secteur gabonais du tourisme dont la situation impacte fortement de nombreux gros importateurs de denrées alimentaires spécifiques et autres produits de luxe, mais aussi les grossistes, les hôtels d’envergure internationale comme le Radisson Blu et le secteur aéronautique. Les opérateurs du tourisme rappellent qu’ils n’ont reçu aucune subvention de l’Etat pour les aider à survivre «mais le mot d’ordre reste inchangé : Pas de chômage !» Comment donc préserver les emplois dans ce contexte ? «Le tourisme se veut être un des trois piliers de la relance économique du Gabon. De quelle relance me parlez-vous ? Sur des cadavres ? Faudrait-il encore que l’existant puisse toujours exister avant de se projeter dans le tourisme de demain Alors, comment faire ? Nous laisser travailler. Nous laisser ouvrir nos établissements en respectant le protocole sanitaire et repousser le couvre-feu à minuit», suggère un membre du CTL, visiblement dépassé par la situation.
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