Gestion durable de la faune : Pour Hadrien Vanthomme, l’avenir de la faune sauvage au Gabon passe par l’implication des communautés locales
La faune sauvage représente l’une des principales sources de protéines pour les populations rurales du Gabon. Dans cette interview, le coordonnateur du programme de gestion durable de la faune sauvage (SWM-programme) à Mulundu, au Gabon, Hadrien Vanthomme, assure qu’il est primordial de permettre aux communautés elles-mêmes de mettre en oeuvre le suivi de la faune et le suivi de leur prélèvement pour parvenir à une gestion durable de la faune.
Pourquoi un projet de gestion durable de la faune ?
Un peu partout dans le monde, la faune est une chose essentielle pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, et dans l’apport d’une partie significative de revenus des populations rurales. Sans la faune, les gens n’ont pas de quoi manger et les gens se privent d’une source de revenus qui est très importante quand, il n’y a pas d’autres options économiques. La question à laquelle veut répondre le projet de gestion de la faune, c’est comment maintenir cette ressource dans le futur pour les populations rurales. C’est pour cette raison qu’il faut initier une gestion durable. On ne parle pas ici, d’empêcher l’utilisation de la faune, mais de la gérer durablement et par les communautés.
Nous croyons que les communautés devraient être ceux qui gèrent leurs faunes. Ici, au Gabon, nous avons une situation un peu particulière, parce que dans les zones rurales, il y a peu de populations et on a des forêts qui sont en très bon état. Il y a beaucoup de faunes et peu de gens qui dépendent de cette ressource. Nous pensons qu’ici au Gabon, on pourrait exploiter la faune pour sa consommation personnelle, mais aussi pour la vente. On pense qu’on peut faire une gestion commerciale de la faune et qu’on pourrait mettre en place une filière de viande sauvage qui serait légale, durable et saine.
C’est vraiment cela notre objectif. Notre travail consiste à lever les obstacles qui existent actuellement, qui empêchent les populations d’avoir des droits d’usage de la faune et leur permettre de tirer parti de cette faune qui est sur leurs terroirs de chasse ancestraux. Nous travaillons en dehors des parcs nationaux.
Quels sont les principaux résultats de ce projet depuis sa mise en œuvre ?
Notre projet est à sa quatrième année sur cinq, nous avons bien avancé. En ce qui concerne les résultats les plus importants, il y a tout le travail que nous faisons sur des lois et les règlements qui encadrent la chasse au Gabon. Je citerai la contribution du projet à un groupe de travail, qui est basé à la direction générale de la Faune et des Airs protégés (DGFAP) sur la chasse et la commercialisation du gibier. Au sein de ce groupe de travail et avec la direction générale de la faune et des airs protégés et d’autres acteurs, on a rédigé des projets de décret qui permettent de faciliter la chasse. On a contribué à mettre en place une stratégie nationale sur la chasse et la commercialisation du gibier qui devrait poser les bases d’une nouvelle façon de concevoir la chasse dans ce pays, avec plus de droit pour les populations d’utiliser leur faune.
Avec le ministère des Eaux et Forêts, dans le cadre des forêts communautés, on a réussi à mettre en place un instrument légal qui permet aux communautés d’utiliser les ressources de la forêt dans leur territoire. On travaille sur l’adaptation de cette loi sur les forêts communautaires à usage particulier de la chasse. Nous sommes heureux de la collaboration avec la direction des forêts communautaires.
Sur le terrain, nous travaillons avec 10 regroupements de village dans le département de Mulundu dans l’Ogooué Lolo. Dans ces regroupements, nous travaillons avec les populations pour faire le suivi de la faune et le suivi des prélèvements de chasse. Tout se fait de manière participative, le but est de permettre aux communautés elles-mêmes de mettre en oeuvre le suivi de la faune et le suivi de leur prélèvement pour pouvoir faire une gestion durable de leurs ressources.
Nous avons aussi contribué à la création de 5 associations de chasseurs qui sont en charge de la gestion de la chasse et les 5 autres sont en voie de finalisation. Nous travaillons aussi sur l’ensemble de la filière des viandes sauvage à Mulundu. Nous avons identifié les différents acteurs de cette filière très courte qui va du village aux grands consommateurs avec très peu d’intermédiaire. Nous sommes également très militants d’une certaine manière sur la mise en œuvre d’une approche basée sur les communautés et leurs droits, c’est-à-dire qu’on met les droits des communautés au coeur de notre travail en particulier. On utilise le consentement libre informé préalable avant de travailler avec les communautés et à chaque étape du processus d’engagement, on vérifie que les communautés sont satisfaites ou non de ce qui a été fait précédemment et qu’elles sont toujours d’accord pour travailler avec nous. Nous avons d’ailleurs mis en place un mécanisme de gestion des plaintes afin que les communautés puissent librement se plaindre des activités du projet. Et on fait très attention aux communautés les plus marginalisées ou qui ont moins d’accès aux prises de décisions (femmes, enfants et peuple autochtone). Voici les principaux résultats de notre projet.
Quels impacts le projet a-t-il produit pendant ces quatre années d’exécution ?
Notre rôle d’une certaine manière est de faire le lien d’une part avec les chasseurs et les populations et d’autre part entre les chasseurs et l’administration. Ce qu’on cherche à faire, c’est que ces deux groupes puissent converger vers un projet commun qui permettrait aux chasseurs et aux communautés d’avoir des droits sur leur faune et à l’administration d’avoir des garanties que la gestion de la faune est correcte. Dans cet objectif, nous avons eu des impacts très importants. Nous avons apporté des informations très importantes au gouvernement pour mettre en place cette stratégie nationale sur la chasse et la commercialisation du gibier, dans le cadre de la réforme du Code forestier. Et on apporte des informations qui remontent directement du terrain et qui permettent au gouvernement de prendre en compte la vision des populations, dans la mise en place de ces nouvelles lois. De l’autre côté, nous faisons évoluer les mentalités des populations rurales pour comprendre la nécessité d’avoir un droit sur quelque chose, mais également avoir un certain nombre de responsabilités ; de leur fournir des outils qui permettent d’assumer ces responsabilités et donc, de négocier avec le gouvernement pour obtenir ces droits sur la faune. Ce sont des processus qui sont essentiels pour que la collaboration marche. L’un des impacts très importants, c’est la restauration du dialogue entre l’administration décentralisée et les communautés sur la question de la chasse.
Quel est le stock de la faune sauvage dans les zones d’intervention des communautés, comment à travers le projet vous parvenez à identifier les espèces menacées, en déclin et résilientes?
On ne peut pas gérer quelque chose si on n’a pas l’information sur cette chose. Quand on gère un magasin, on sait ce qu’on a en stock et quand il manque quelque chose, on en recommande. C’est un peu la même chose pour la chasse, sauf que là, on ne peut pas passer commander, c’est la faune elle-même qui se reconstitue.
Savoir précisément combien il y a d’animaux dans la forêt, à quelle vitesse ils se reproduisent, à quelle vitesse, ils meurent et combien on peut en prélever? C’est quelque chose qui est presqu’impossible à faire parce que c’est très complexe. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en ligne de compte, c’est très difficile de compter les animaux. Mais, il y a une chose beaucoup plus simple qui peut être faite.
On peut faire de la gestion adaptative, c’est-à-dire, si le stock augmente ou diminue, on peut décider de prélever plus ou moins. Si nos indicateurs sont suffisamment sensibles, si la population diminue suffisamment, on a le temps de réduire la pression de la chasse pour permettre aux stocks de se reconstituer et reprélever à nouveau. C’est dans cet optique-là que le projet a travaillé et on a mis en place un grand protocole de suivi de la faune du gibier à l’aide de Camera trap. On l’a fait de manière participative avec des populations, pour qu’elles puissent les différents types d’animaux, combien ils en avaient, quelles espèces étaient là. Les grands résultats de ce travail est que globalement, les forêts gabonaises en province sont encore pleines de faunes disponibles y compris hors de parcs nationaux. Il y a beaucoup d’espèces qui sont suffisamment résistantes pour pouvoir alimenter les filières locales de viandes sauvages. Il y a aussi des espèces qui se reproduisent lentement et qui ne peuvent pas être prélevées, parce que si on en prend un seul individu, on met en danger la population. C’est pour cela que ces espèces sont protégées au niveau de la loi au Gabon et ne sont pas chassables. Nous, nous travaillons avec des espèces qui sont chassables et ces espèces sont aussi les plus consommées.
On a là un système où les populations pourraient, en se concentrant sur ces espèces maintenir leur sécurité alimentaire, créer des revenus et proposer des protéines durables locales aux Gabonais en général. Ce protocole de gestion de stock est vraiment quelque chose de centrale, que nous avons développé de manière participative avec les populations avec lesquelles nous travaillons.
Le projet a récemment accompagné la mise en place des associations communautaires. Quels sont les objectifs de cette initiatives?
Le projet a commencé à travailler avec quatre regroupements de villages dans la périphérie de Lastrouville, dans le département de Mulundu. C’est avec eux que nous avons commencé à mettre en place ce protocole de chasse et de suivi de la faune. Il y a eu un peu de méfiance au début, mais très vite, ils se sont rendu compte que le projet travaillait pour eux et que notre objectif était de sécuriser leurs droits sur la faune sauvage. Si bien que l’année dernière, lorsque nous avons voulu étendre ce projet vers d’autres départements, on a été un peu débordé par les demandes. Nous avons mis en place des associations de chasseurs dans 5 de ces villages, les 5 autres devraient l’être au cours de cette année 2022. En ce moment, on a commence à mettre en place des plans de gestion et des plans de chasse. L’idée est de restaurer la fierté des communautés, en leur permettant d’être des chasseurs responsables. De nos jours, les chasseurs se cachent, ils jouent un peu le jeu du chat et de la souris avec les autorités. Nous, nous voulons que les chasseurs puissent être fiers d’être chasseurs et responsables de la gestion de leur faune, responsables de leur territoire et maitres de leur destin.
Vous menez des enquêtes de consommation, quels en sont les résultats?
Nous avons fait plusieurs études de consommation. Notre ambition est de mettre en place des filières de viandes sauvages, durables, légales et saines, il est très important pour nous de comprendre ce que les consommateurs gabonais veulent quand ils achètent de la viande. Ces études de consommation permettent de voir qu’il y a plusieurs facteurs qui influencent le choix des consommateurs. Les gens vont choisir de la viande sauvage en fonction de la disponibilité, de son prix, de sa qualité. Il y a toute une galaxie de choix qui en fait, renforce l’importance de la viande, même au-dela de la sécurité alimentaire sur des aspects d’identité culturelle du Gabon, qui rendent plus importante cette viande sauvage. Nous monttrons aux consommateurs, l’importance de manger de la viande qui vient des communautés qui ont des droits sur leur faune, des communautés qui sont fières d’être des chasseurs responsables. Et nous aimerions que cette notion de resposabilité soit soit un critère pour la commercialisation de la viande.
Dans le cadre du projet appui des alternatives à la consommation de la viande sauvage, que faites vous pour amener les populations à diversifier leur source d’alimentation en protéine?
C’est un axe très important dans le projet de gestion durable de la faune, à l’échelle mondiale. Au Gabon, on a essayé de regarder un petit peu, quelles options étaient disponibles en termes de protéines alternatives. Si on regarde l’histoire du petit élevage en périphérie du village, de la pisciculture, de toutes ces alternatives qui existent, on se rend compte que très souvent, ces projets tombent à l’eau s’il n’y a un projet d’appui au départ. Il tombe à l’eau parce qu’il n’y a pas de route pour acheminer les intrants, il n’y a pas de vaccins pour les animaux, il n’y a pas de marchés pour écrouler ces marchandises. Ce sont des problèmes structurels qui sont extrêmement difficiles à contourner au Gabon.
Quel est le niveau d’implication du ministère des Eaux et Forêts dans la mise en œuvre du projet de gestion durable de la faune sauvage ?
Le ministère des Eaux et Forêts via la direction générale de la faune et des aires protégées (DGFAP), est au coeur de ce projet. C’est elle qui est en charge de mettre en œuvre tous les changements légaux qui doivent être mis en œuvre. Nous travaillons main dans la main avec eux. Ils ont un rôle moteur dans tout ce qui est l’aspect légal. Nous leur donnons des informations scientifiques, mais aussi des revendications des communautés, afin qu’ils puissent adapter les projets de loi, les stratégies gouvernementales. Ils ont un rôle central dans la validation des plans de gestion.
0 commentaire
Soyez le premier à commenter.