Journalistes, spécialistes de l’environnement, Michaël Moukouangui Moukala du Gabon et Patrick Kahondwa de la République démocratique du Congo (RDC) ont mené, de décembre 2023 à février 2024, une enquête sur la foresterie communautaire dans les deux pays. L’enjeu de cette investigation journalistique croisée était de comparer les modèles en la matière au Gabon et en RDC pour mieux comprendre les emprises affectant le développement de ce projet dans ces pays du bassin du Congo. Le résultat de leur enquête est sans appel : difficultés liées à l’enclavement des communautés, manque de culture associative, problème de leadership au sein des associations, problème d’accompagnement, conflit culturel et ethnique voilé, conflit d’intérêts, manque aux prescriptions réglementaires… 

Des femmes allant en brousse. © D.R.

 

Les forêts communautaires, censées autonomiser les communautés locales et promouvoir les principes de gestion durable des forêts, se présentent dans certains cas au Gabon et en RDC, comme des entraves à la résilience écologique et favorisent les conflits divers. Constat sur deux modèles de foresterie communautaire aux spécificités juridiques pourtant similaires. 

Nous sommes en décembre 2023, l’année tire à sa fin et c’est à cette période que nous avons décidé de débuter notre investigation pour comprendre les modalités de fonctionnement des forêts communautaires aussi bien en République démocratique du Congo (RDC) qu’au Gabon, deux pays à haute teneur forestière. Notre enquête va durer plus de deux mois. Elle consiste à prospecter les modèles de réussite, les échecs et les dysfonctionnements qui entravent les communautés dans la mise en place des projets des Forêts Communautaires.  Il s’agit d’un modèle comparatif basé sur les expériences vécues en RDC et au Gabon dans la mise en place et le fonctionnement de la Foresterie communautaire.

Situés dans le bloc forestier du Bassin du Congo, la RDC et le Gabon se démarquent dans le continent par la particularité de leurs écosystèmes naturels qui renferment une riche faune et flore. Le premier pays, la RDC, est doté d’une superficie de 2.345.410 km² pour une population de près 100 millions d’habitants. Au total, quelque 250 ethnies sont réparties sur le territoire. Le Gabon quant à lui, est doté d’une superficie de 267 667 km² pour une population de 2,2 millions d’habitants. À la différence de la RDC, le pays compte cinq fois moins d’ethnies, soit une cinquantaine. Malgré l’immensité des richesses du sol et du sous-sol qui caractérise les deux pays, la pauvreté et le sous-développement sont légion. En 2022 en RDC, selon les statistiques de la Banque mondiale, environ 62% de la population, soit 60 millions de personnes vivraient avec moins de 2,15 dollars par jour. Au Gabon, si la situation est différente, les problèmes structurels liés à l’aménagement du territoire et à la répartition de la richesse sont importants. Malgré des années d’exploitation forestière, minière et autres, de nombreuses localités sont laissées pour compte. Ce qui impacte la vie des populations ou communautés locales. Pour contourner ce manquement, les deux États décident, quoiqu’à des années différentes, d’adopter le modèle des Forêts communautaires.

© D.R.

Les Forêts communautaires, une solution écologique et sociale

Au même titre que le Cameroun, le Congo et la RCA, la RDC et le Gabon ont intégré le modèle de la foresterie communautaire dans leur législation il y a des décennies.  Cependant, à ce jour, les deux pays, avec le Cameroun, font partie des «bons élèves» dans la mise en œuvre de ce projet. En RDC, la création, la mise en place et la gestion des forêts communautaires sont encadrées par le Code forestier et le décret n°14/018 du 02 août 2014 fixant les modalités d’attribution des concessions forestières aux communautés locales. C’est ce décret qui «fixe les modalités d’attribution du statut de concession forestière aux forêts situées sur les terres occupées par les communautés locales». C’est aussi le même décret qui «détermine les conditions préalables à l’acquisition d’une concession forestière par une communauté locale», ainsi que la procédure y relative. Selon cette loi, on entend par Forêt Communautaire, «une portion de forêts protégée qu’une communauté locale possède régulièrement en vertu de la coutume». En RDC, l’État est le garant de la cession de la «portion de forêts». Les communautés quant à elles, l’acquièrent en vue de son utilisation, selon la loi, sous toutes les formes, pour la satisfaction des besoins vitaux, avec l’obligation d’y appliquer les règles et pratiques de gestion durable.

 Au Gabon, le terme fait son apparition dès l’adoption du Code forestier de 2001. C’est l’article 156 de la loi qui fixe le cadre d’expression de ce concept. Selon la même loi, «la forêt communautaire est une portion du domaine forestier rural affectée à une communauté villageoise en vue de mener des activités ou d’entreprendre des processus dynamiques pour une gestion durable des ressources naturelles à partir d’un plan de gestion simplifié». Que l’on soit en RDC ou au Gabon, les deux catégorisations de la loi sur les forêts communautaires reconnaissent aux communautés locales le droit de faire usage de la forêt tout en promouvant les principes de gestion durable de la forêt. Il a été mis en place pour corriger certaines inégalités, quand on sait qu’en Afrique, même s’ils possèdent près de 80% des droits coutumiers sur les terres, les peuples autochtones et les communautés locales ne jouissent des droits de propriété légaux qu’à seulement 3%. Unanime sur la question, le Général Maurice Ntossui Allogo, ministre gabonais des Eaux et Forêts reconnaît d’ailleurs ce droit dévolu aux communautés dans la création des forêts communautaires. Selon le ministre, «la mise en place des forêts communautaires avait pour but de permettre aux communautés dans les villages de pouvoir jouir de leurs moyens de subsistance».

Le modèle de Kibili Musange en RDC et ses retombées

En RDC, plusieurs communautés à travers le pays ont obtenu les titres pour la gestion de leurs forêts. Au total, 166 forêts communautaires représentant environ 3 millions d’hectares sont à la disposition des communautés.  Située dans la partie Est du pays, la province du Sud-Kivu est l’une des provinces où des communautés gèrent elles-mêmes leurs forêts avec actuellement près de 13 forêts communautaires d’une superficie de plus de 250 000 hectares répartis sur l’ensemble de la province. Dans cette province, nous nous sommes rendus dans le village de Kibili Musange dans la chefferie de Basile en territoire de Mwenga. Ce territoire est situé à près de 120 km de la ville de Bukavu, Chef-lieu de la province du Sud-Kivu. Là-bas, les habitants vivent essentiellement de l’agriculture, de l’élevage et de la chasse. L’accès au village est difficile pour cause de manque d’infrastructures routières. Il faut parcourir plusieurs kilomètres à pied pour atteindre la forêt communautaire de Kibili Musange.

Avant l’acquisition du titre pour l’exploitation de la foresterie communautaire, nombreux habitants de ce village utilisaient la forêt pour leur survie. Une utilisation abusive marquée par l’expression des activités telles que la déforestation, le braconnage et l’exploitation illégale de minerais. Ce visage a depuis changé. Depuis l’acquisition des titres pour la foresterie communautaire, les habitants s’organisent pour sécuriser leur forêt, afin de la protéger du braconnage et de l’exploitation illicite des minerais. Chaque semaine, le Comité de gestion de la forêt, avec quelques volontaires du milieu, fait la ronde de la forêt pour se rassurer que tout est en ordre. Ces habitants ne cessent de montrer leur appréciation en ce qui concerne les avantages dus à la foresterie communautaire, car aujourd’hui leur forêt est mieux protégée qu’avant. Monsieur Bulambo est chef du village Kibili Musange. Il explique que ces activités de surveillance ont permis de lutter contre l’exploitation illicite de minerais, la coupe illégale de bois et l’exploitation des autres ressources naturelles qui étaient monnaie courante dans cette forêt qui s’étend sur une superficie de plus de 450 hectares. Selon lui, «la foresterie communautaire a significativement réduit l’abattage des arbres et le braconnage dans notre village. Les habitants ont aujourd’hui peur, ils ne peuvent pas entrer dans la forêt comme ils le veulent. Avant l’obtention de ce titre, l’exploitation des minerais se faisait sans demander l’avis de la population».

À l’intérieur de cette forêt, au-delà des richesses de la faune et de la flore dont elle regorge, des cours d’eau qui la traversent sont utilisés par la communauté pour alimenter les étangs piscicoles situés dans les alentours. Des analyses faites par l’organisation StrongRoots montrent des résultats satisfaisants par rapport aux dix années passées. Son Directeur, Monsieur Dominique Bikaba explique. «Nous avons fait des analyses spatiales de la forêt dans le corridor entre le parc national de Kahuzi-Biega et la réserve naturelle d’Itombwe. Dans certaines zones il y a eu amélioration. La couverture végétale a évolué.  Dans d’autres zones, le changement est négatif, car les communautés ont continué à couper les arbres», explique ce dernier.

En attendant que les communautés profitent de façon effective des retombées de la foresterie communautaire, l’ONG Strong Roots a mis en place un mécanisme de soutien des communautés dans les domaines de l’agriculture, l’élevage, la santé et l’éducation afin d’améliorer leurs conditions de vie. Des tonnes de semences sont ainsi distribuées à la communauté et des écoles et hôpitaux réhabilités.  Malgré ce soutien, les populations restent attachées à la volonté de poursuivre ce projet qui finalement fédère la communauté. Elles puisent leur force dans la richesse de leurs écosystèmes forestiers, mais également dans le soupçon qu’à n’importe quel moment, «le Gouvernement peut ériger ces forêts en aires protégées et perdre la main sur leurs ressources naturelles». Or, ajoute Monsieur Dominique Bikaba, «les communautés se sont beaucoup investies pour montrer au gouvernement et à d’autres personnes qu’elles sont à mesure de préserver leurs forêts et de les garder avec leurs connaissances traditionnelles en plus des lois du pays».

Au Gabon, des modèles disparates

Lancé en 2013 dans la province de l’Ogooué-Ivindo, au centre du pays, le processus d’attribution des forêts communautaires a connu une interruption de dix ans au Gabon, avant d’être relancé en 2022. À ce jour, le pays compte 85 forêts communautaires en Convention définitive contre 39 en Convention provisoire et 45 décisions de réservation. Ces trois catégorisations statistiques représentent un total de plus de 750 000 ha de forêt. Comme en RDC, au Gabon, les forêts communautaires sont instituées par l’État au profit des populations villageoises afin, selon Madame Béatrice Bimbissa Minanga, directrice des Forêts communautaires, «d’impliquer les communautés à la gestion durable des forêts pour limiter les pressions diverses». Parmi ces pressions, on note le braconnage, l’exploitation illégale des ressources, le trafic des espèces de la faune et la flore et autres. La foresterie communautaire est au Gabon, un trait d’union entre les ambitions de gestion durable de la forêt et celles de développement local. Ce qui explique que la loi prévoit que les revenus générés sont la propriété de la communauté qui va leur permettre d’investir dans les projets de développement local.

La mise en place des forêts communautaires suit la même trajectoire au Gabon qu’en RDC. Les prescriptions réglementaires du décret n°14/018 du 02 août 2014 fixant les modalités d’attribution des concessions forestières aux communautés locales en RDC sont très proches de celles de la loi 156 qui encadre ce projet au Gabon. Que l’on soit en RDC ou au Gabon, la foresterie communautaire a été instituée pour répondre aux préoccupations de résilience écologique et de développement local. Seulement, à la différence de la RDC, la grande majorité des forêts communautaires déjà établie dans le pays se concentre sur l’exploitation forestière comme principale activité, faisant parfois fi des prescriptions légales qui recommandent la prééminence de la gestion durable.  Certes, quelques cas se démarquent de cette logique, à l’exemple de celui de Mindzi, dans le département de l’Okano, à Mitzic, dans la partie nord du Gabon ou celui d’Ebiengue, dans la province de l’Ogooué-Ivindo au centre du pays, mais au constat, ces modèles sont étouffés par ceux qui s’illustrent dans l’exploitation forestière. Pour Madame Béatrice Bimbissa Minanga, directrice des Forêts Communautaires, il y a une explication au fait que de nombreuses forêts communautaires s’accrochent à l’exploitation forestière comme base d’activité. «Pour revenir au Code forestier, explique-t-elle, la forêt communautaire est attribuée à la communauté pour y mener des activités génératrices des revenus. Dans ces activités, il y a bien évidemment l’exploitation forestière, l’agriculture, la chasse réglementée, etc. Les communautés sont pressées de récolter les bénéfices de la forêt. Malheureusement, ce qui rapporte et rapidement des revenus c’est l’exploitation forestière».

Les cas Mindzi et ACLO

Au Gabon, notre enquête sur la foresterie communautaire s’est focalisée sur le modèle de Mindzi et sur celui de l’Association des Communautés du Lac Oguemoué (ACLO). Les deux modèles sont situés à des extrémités différentes du pays. Le premier, Mindzi, est une forêt communautaire située au nord-est du Gabon dans le département de l’Okano, dans la province du Woleu-Ntem, à plus de 320 kilomètres de Libreville, la capitale gabonaise, Libreville. Portée par l’association Communauté pour le développement rural (CDR), la forêt communautaire de Mindzi tire son nom d’un village de 150 âmes dont le sort était scellé par de nombreux maux, notamment le manque d’activités génératrices de revenus (AGR), l’exode rural et bien d’autres. Le village était voué à disparaître. En décembre 2016, les habitants du village créent l’association CDR. En octobre 2017, l’association décroche sa Convention définitive d’établissement en forêt communautaire. La même année, elle démarre ses activités autour notamment de l’exploitation forestière. Les premières retombées financières interviennent et amènent l’association à rêver grand. Élaboration d’une charte, éclairage du village, constructions sociales pour améliorer les conditions de vie des habitants du village, mise en place d’une épicerie, etc., l’association a alors des grands projets, mais qui ne verront pas le jour dans l’immédiat, en raison des problèmes internes inhérents à sa gestion. «Nous avons traversé cette période de mésentente. Je ne suis pas la première présidente de cette forêt communautaire. Avant moi, il y avait deux présidents et la gestion était très critiquée. La communauté n’était informée de rien, alors que lorsqu’on parle de forêt communautaire, je peux me permettre de le dire, c’est une entreprise. Donc, les choses doivent être en ordre», explique madame Ornella Armelle Ntsame Ntoutoume, présidente de la forêt communautaire de Mindzi.

En 2020, quelques années après le lancement de ses activités, l’association a dû braver son lot de difficultés. Entre autres, la personnalisation de la gestion de l’association et des retombées financières issues de la forêt communautaire, le manque de culture associative, l’inégal accès à l’information autour des projets et entrées financières de l’association, les conflits d’intérêts et tout autre comportement susceptible de nuire à la cohésion autour du projet. Suspendue d’activité pour tous ces méfaits, Madame Ornella Armelle Ntsame Ntoutoume va alors opérer des choix radicaux, en procédant à la restructuration de l’association et des relations qui s’y opèrent. Cette stratégie sera payante, puisqu’elle permettra à la forêt communautaire de Mindzi de se développer en faisant profiter au mieux les habitants du village Mindzi des retombées des activités qui s’y opèrent.

Dans le même temps, en 2021, les populations du Lac Oguemoué, dans la province du Moyen-Ogooué, au centre du Gabon, à plus de 6 heures de route de Libreville, se réunissent autour d’une association baptisée du même nom que le lac. Il s’agit de l’association ACLO (Association des Communautés du Lac Oguemoué). Comme partout ailleurs dans le pays, elles aspirent aussi à disposer de leur forêt communautaire. Le 10 juin 2021, après plusieurs démarches administratives et sociales, l’association fait sa demande de forêt communautaire. Du 18 octobre au 18 décembre 2021, selon l’ordre réglementaire, leur projet est affiché au service départemental des Eaux et Forêts de la province du Moyen-Ogooué, au n°003/MEFMEPCPAT/SG/DPEFMO, mais celui-ci ne recevra pas l’assentiment d’une partie des communautés des villages d’Agombourou, Ngnameyong-Angombourou, Enigo, Gnigho, Odimba, Tsam-Tsam, Dakar, Ashoucka, Saint-Louis et Elone, dont certains sont regroupés au sein de l’association BESSI’METO. Cette association, dont la voix est portée par Monsieur Gervais Awanet, reproche à ACLO de vouloir dans leur projet de forêt communautaire, «parler ou décider en leurs noms». C’est aussi ce que reproche Monsieur Augustin Nzoghe et les autres notables qui s’opposent au projet. La démarche de l’association ACLO est présentée par les opposants au projet comme étant unilatérale, portée par les ambitions des habitants et ressortissants du village Nlong. De son côté, l’association ACLO se dit esseulée. « L’administration ne nous aide pas», lâche monsieur Patrick Bengone, Secrétaire général d’ACLO.

Situé à plusieurs kilomètres de navigation de Lambaréné, la capitale provinciale du Moyen-Ogooué, le lac Oguemoué est un territoire cosmopolite composé des communautés Akélé, Gaola, Fang et Gisir. Ces peuples composent la cinquantaine d’ethnies que compte le Gabon. Dans le lac, l’empreinte de ces communautés est marquée par des spécificités ethniques culturelles distinctes qui fondent l’histoire de ces peuples. Ce que suggère dans sa lettre d’opposition datée du 04 novembre 2021, Monsieur Gervais Awanet qui fait remarquer que «par le passé, chaque communauté avait des zones bien définies pour les activités agricoles, de pêche et d’exploitation des coupes familiales (…) Chaque communauté respectait les rites traditionnels et les zones des forêts sacrées des uns et des autres en fonction des limites établies par nos aïeux et acceptés de tous de générations en générations». Monsieur Gervais Awanet comme monsieur Augustin Nzoghe se disent préoccupés par la volonté de «garder la mémoire des traditions» de leur village respectif. De son côté, l’association ACLO, soutenue par l’ONG OELO, veut inscrire son projet dans la durabilité, en proposant un modèle inclusif, résilient, bénéfique à la fois pour la préservation de la biodiversité que pour les populations du lac. Ces deux logiques se heurtent cependant sur des subtilités basées sur des conflits divers qui ont pignon au lac.

Nœud du problème

Encore au stade embryonnaire et confronté à des oppositions, le projet de forêt communautaire du Lac Oguemoué suit la même trajectoire empruntée par des initiatives abouties telles que celles de Mindzi dont nous avons fait référence plus haut. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en évidence ces deux initiatives pour les confronter et mieux mesurer les difficultés qui pénalisent la mise en place des forêts communautaires au Gabon. Des difficultés qui somme toute, résultent parfois des conflits d’intérêts, conflits ethniques (mineurs), conflit d’autochtonie (mineur), conflits culturels, économiques, financières et d’une méconnaissance par les populations porteuses du projet, de la loi, des principes de gestion d’une association, du manque d’information et d’accompagnement. C’est la réalité à laquelle fut confrontée la forêt communautaire de Mindzi. C’est aussi les mêmes difficultés qui entravent l’aboutissement du projet de l’association ACLO. Mais une issue est possible, puisque l’association BESSI’METO qui revendique avoir fait la première fois, en décembre 2019, fait la demande de forêt communautaire d’une superficie de 5148 ha, ne souhaite pas à priori faire partie du projet d’ACLO. Secrétaire général de l’association ACLO, Monsieur Patrick Bengone se dit favorable au fait que «chacun se retrouve dans sa partie» même s’il émet quelques réserves en raison de certains dessous de table qui touchent l’aboutissement de leur projet.

ACLO veut ériger un territoire d’environ 40 000 ha en forêt communautaire. Ce qui inclut plusieurs villages. Sa vision, s’engage, selon Monsieur Patrick Bengone, de façon collective à l’amélioration des conditions de vie des populations par des activités telles que l’exploitation durable des ressources naturelles et autres. Son projet, comme nous l’avons vu, se heurte cependant à des sensibilités locales. La grande difficulté réside dans l’adhésion de toutes les populations comme cela a été présenté et souhaité par la loi. Et l’accompagnement de l’Organisation écologique des lacs et de l’Ogooué (OELO) est mal perçu au niveau de Lambaréné, malgré les bonnes intentions de cette ONG. Ces difficultés peuvent être dissipées par la sensibilisation et la médiation, deux remèdes essentiels, selon la directrice des Forêts Communautaires et monsieur Max-Guy Ondo, responsable social à l’ONG Belge Conservation Justice.

Mais si ces sensibilités font surface, estime Monsieur Abdul Razzak Kabongo, gouverneur[i] de la province du Moyen-Ogooué au moment de l’enquête, c’est surtout parce que «le concept de la foresterie communautaire n’est pas encore totalement assimilé au Gabon». Selon lui, entre les objectifs et les avantages liés aux forêts communautaires, «nous avons le sentiment que les populations ne sont pas encore totalement imprégnées ou quand elles le sont, elles ne sont pas aussi objectivement accompagnées dans la réalisation de ce processus». 

Pour le Gouverneur (ancien), l’organisation pendant plusieurs années des sociétés en familles et en clan constitue l’une des faiblesses à l’assimilation de l’idée de «communauté des biens» donc, de mise en place des forêts communautaires. C’est d’ailleurs ce que font remarquer avec force monsieur Gervais Awanet comme monsieur Augustin Nzoghe qui s’opposent au projet d’ACLO. Pour les deux protagonistes, il ne peut y avoir une forêt communautaire qui englobe les rites traditionnels des uns et des autres, les zones sacrés des uns et des autres en fonction des limites établies par leurs aïeux et acceptés de générations en générations. La volonté de sauvegarder le patrimoine ancestral et le legs culturel apparaît avec force dans ce conflit, même si d’aucuns y mettent en évidence des intérêts économiques. Pour contourner cette difficulté, ajoute Monsieur Abdul Razzak Kabongo, «il faut d’abord dépasser les disparités ou les clivages, et revoir le coût des procédures qui encombrent les associations qui font la demande des forêts communautaires».

Échecs et responsabilité partagée

Source de conflit au Gabon dans certains cas, la création des forêts communautaires n’est pas une option obligatoire dans la participation des communautés à la gestion durable des forêts et à leur autonomisation locale. Il s’agit d’un principe volontaire de la communauté, qui doit cependant être partagé par tous et qui met en union les intérêts singuliers de chaque famille. «La Forêt communautaire n’est que la mutualisation des forêts familiales du village. Il y a une renonciation à la propriété familiale. La première chose que nous attendons des communautés, est qu’elles adhèrent toutes au projet. Lorsqu’elles le font, elles le consignent dans un Procès-verbal de réunion dite de concertation et à partir de là, elles peuvent lancer le processus», rappelle madame Béatrice Bimbissa Minanga, directrice des Forêts communautaires. Cela dit, les blocages inhérents à la mise en place de ces modèles de foresterie participative et sociale découlent surtout d’une mauvaise assimilation de ce concept, des faiblesses d’information et de sensibilisation de la part de l’État via le ministère des Eaux et Forêts à faire comprendre la vision de l’État et les attentes autour de ce projet, à accompagner comme cela se doit, les communautés pour éviter les mauvaises interprétations et les abus dont certaines communautés disent avoir été victimes. En effet, explique la Directrice des Forêts Communautaires, «le Code forestier stipule que les travaux d’aménagement des forêts communautaires peuvent être exécutés soit à titre gratuit par l’administration soit par les communautés elles-mêmes lorsqu’elles disposent des ressources». Faute de moyen, certaines communautés doivent endosser certaines de ces charges. Ce qui n’est pas toujours évident, quand rien ne certifie qu’à l’issue du processus technique, l’association décrochera la Convention provisoire ou définitive.

À côté de ce portrait, les associations doivent de leur côté faire un maximum d’effort afin de jouer franc-jeu avec les communautés, être le plus transparentes possible en facilitant au mieux l’accès à l’information autour du projet de création de forêt communautaire et des intérêts qui s’y attachent. Elles doivent par ailleurs bien comprendre les mécanismes juridiques qui encadrent la création de ces forêts, les enjeux et défis environnementaux et sociaux attendus. «Nous louons l’initiative des autorités de ce pays. À la base, lorsqu’on lit le texte, l’idée était de rendre les communautés villageoises autonomes pour pouvoir générer elles-mêmes, des bénéfices des activités qui leur sont profitables pour lutter contre l’exode rural et le chômage. Le projet et les textes sont bien, mais l’application pose problème», renchérit monsieur Guy-Max Ondo de l’ONG Belge Conservation Justice [ii]. Pour le Responsable social de Conservation Justice, il est indéniable que les autorités mettent en place plus de formation au niveau des forêts communautaires. Ce, d’autant plus qu’avant l’octroi d’une forêt communautaire, les communautés ne sont pas préparées à gérer ce que l’on appelle Forêt communautaire.

© D.R.

Planche de salut en RDC et au Gabon

En RDC, à l’expérience des cas enquêtés, le processus d’acquisition des conventions définitives pour l’établissement des forets communautaires ne souffre étonnamment d’aucun mal, mise à part l’enclavement de certaines régions qui rendent difficile l’accès aux forêts communautaires et à la pratique par les communautés, des activités qu’elles veulent développer dans le cadre de ce projet. Or, la foresterie communautaire constitue à n’en point douter, une réponse aux enjeux de gestion durable de la forêt et au développement des moyens de subsistance pour les populations des zones reculées. Partant de ce constat, la problématique de l’enclavement peut constituer un frein aux objectifs de la foresterie communautaire et être une source de regain du trafic des espèces fauniques et floristiques, et pénaliser le suivi-évaluation du développement de foresterie communautaire par l’État et les ONGs. Cette réalité est apparue fortement dans notre enquête et pourrait constituer une source de compromission des enjeux écologiques et sociaux qui se rattachent à la foresterie communautaire. Au Gabon, la réalité est totalement différente, même si les textes encadrant la mise en place des forêts communautaires se rejoignent.

Mise en place sous les cendres des «Coupes familiales», la foresterie communautaire offre aux populations au Gabon, la possibilité de jouir de la forêt et d’être des acteurs du changement. Tant sur le plan écologique que sur le plan socio-économique, grâce notamment aux Activités génératrices de revenus (AGR) induites par la foresterie communautaire. Cependant, plus de dix ans après sa mise en place dans le pays, ce modèle de gestion forestière doit encore surmonter certains écueils tels que le problème lié au manque de Plan d’affectation de terres, la superposition des concessions des forêts communautaires avec les permis miniers susceptibles de mettre les populations en danger, les conflits de leadership qui pénalisent l’aboutissement des dossiers de création et  le manque de budget dédié à la création et au suivi des forêts communautaires par la direction éponyme. Résoudre ces préoccupations permettrait d’avoir au Gabon, un modèle de foresterie communautaire irréprochable et s’adossant au mieux aux objectifs de préservation de la biodiversité qui font du Gabon une référence en la matière. «Aujourd’hui, s’il y a beaucoup de dérapage sur le terrain par les communautés, c’est tout simplement parce que l’administration n’est pas présente. C’est-à-dire que même les services déconcentrés qui sont nos services de proximité n’ont pas les moyens nécessaires pour se déployer dans les villages et apporter aux communautés l’appui nécessaire», reconnaît la directrice des Forêts communautaires du ministère des Eaux et Forêts du Gabon. En dépit de ces écueils, cette dernière se console avec la réussite du modèle de Mindzi qui selon elle «fait école et suscite beaucoup d’admiration».

Une enquête de Patrick Kahondwa (RDC) et Michaël Moukouangui Moukala (Gabon), avec l’appui de Pulitzer Center et de Rainforest Journalism Fund (RJF).

[i] Depuis Janvier 2024, Abdul Razzak Kabongo n’est plus gouverneur de la province du Moyen-Ogooué. Il occupe désormais la fonction de Secrétaire général du gouvernement à l’issue d’une décision de Conseil des ministres.

[ii] Conservation Justice est une ONG qui œuvre depuis 2010 au Gabon. Elle appuie l’État dans la lutte contre le trafic de faune, l’exploitation forestière illégale et travaille au renforcement des droits de communautés. 

 
GR
 

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