Sur la base de fuites ou confidences, certains plaident pour le «oui» ou pour le «non» catégorique. Pour permettre aux populations de voter en connaissance de cause, les acteurs de la Transition doivent disposer du texte.

Sans être fixés sur tous les points importants de la constitution en gestation, certains se prononcent de façon catégorique. Par ces prises de positions hâtives et tranchées, ils instillent le doute, alimentant la suspicion. © GabonReview

 

Le texte est encore en cours d’élaboration. Il n’a toujours pas été mis à disposition. Mais, il déchaine les passions. Sur la base des fuites chez notre confrère Radio France internationale (RFI) ou des confidences des membres du Comité constitutionnel national (CCN), certains plaident pour un «oui» franc et massif. D’autres se prononcent pour un «non» catégorique. Dans ce contexte, tous les fantasmes ont cours. Toutes les affirmations se valent. On parle de régime présidentiel, mais d’un vice-président nommé. On parle de «séparation rigide des pouvoirs», mais on ne dit rien de l’initiative des lois et de leur promulgation. On évoque la capacité du Parlement à mettre le président en accusation, mais on ne se soucie guère des conséquences et de l’impact de l’élection du président au suffrage universel direct.

Bataille de chiffonniers

La viabilité et l’intelligibilité du prochain régime sont ici en jeu. Prétendument inspirée du modèle américain, la prochaine Constitution devrait en reprendre les fondamentaux. Si elle établit un régime présidentiel, le président devra être élu en ticket avec un vice-président. Mieux, l’exécutif ne sera plus responsable devant le Parlement. En contrepartie, le président devra perdre le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale. Si elle consacre une «séparation rigide des pouvoirs», l’initiative de la loi ne devra plus appartenir «concurremment au gouvernement et au Parlement» : elle devra être de la responsabilité exclusive du pouvoir législatif. Quant aux juges, ils ne pourront plus être révoqués, ni par l’exécutif ni par le législatif.  S’il  venait à s’écarter de l’un ou l’autre de ces principes, le texte constitutionnel pourrait rompre l’équilibre des pouvoirs, plongeant le pays dans le présidentialisme, avec tous les risques y associés. Pour renforcer et les pouvoirs du président et ceux du Parlement, il ne faut pas chercher à réinventer la roue.

Sans être fixés sur tous ces points, certains se prononcent de façon catégorique. Par ces prises de positions hâtives et tranchées, ils instillent le doute, alimentant la suspicion. S’ils persistent dans cette voie, la campagne pour le référendum risque de virer à la cacophonie : au lieu d’assister à des échanges intellectuels constructifs, on pourrait avoir droit à une bataille de chiffonniers.  Sur les réseaux sociaux, le ton est donné. «Je ne sais pas si les Gabonais réalisent qu’un groupe de personnes a décidé d’assassiner la République et les quelques acquis engrangés depuis 1990», a récemment lancé l’activiste Annie-Léa Méyé, ajoutant : «Il apparaît qu’on veut nous proposer un régime qui n’existe nulle part». Et de trancher : «La Transition est devenue le refuge des mercenaires en tout genre, mais le temps et les circonstances finiront par donner raison aux partisans du Non».

Luttes de positionnement

Cette sortie est révélatrice du climat actuel. Elle interpelle dans la mesure où aucun organe de la Transition n’a encore eu accès au texte : ni le gouvernement ni les deux chambres du Parlement ni le Conseil économique social et environnemental (CESE) ni la Cour constitutionnelle ne l’ont reçu. S’il y a eu des fuites et si les conclusions du Dialogue national inclusif (DNI) peuvent servir de boussole, tout ceci semble insuffisant pour se forger une opinion. Comment et pourquoi des parlementaires de la Transition peuvent-ils déjà battre campagne ? Sur quels fondements comptent-ils édifier les populations ? Avec quels arguments espèrent-ils les convaincre ?  En prenant une telle initiative, ils ont laissé le sentiment de courir après autre chose. En confondant vitesse et précipitation, ils ont donné du grain à moudre à leurs contempteurs. Involontairement, ils ont facilité la transformation du débat d’idées en querelle de personnes.

Depuis le début de la Transition, les luttes de positionnement, guerres de leadership et batailles d’égo parasitent le débat de fond.  On l’a vu durant le DNI, de nombreux acteurs, pourtant familiers des questions institutionnelles, n’ayant pu faire valoir leurs propositions. Dans la perspective du référendum, chacun doit s’en souvenir : il s’agira d’adopter la prochaine constitution, c’est-à-dire la loi suprême, censée définir les droits et libertés des citoyens, l’organisation et les séparations du pouvoir politique, l’articulation et le fonctionnement des institutions. Pour permettre aux populations de voter en connaissance de cause, les acteurs de la Transition doivent faire œuvre de pédagogie. Pour faire œuvre de pédagogie, ils doivent disposer du texte pour le décortiquer et s’en imprégner. Or, à ce jour, peu parmi eux y ont au accès. Sauf à laisser s’installer la confusion, il faut corriger cela. A moins d’entretenir les procès d’intention, il faut mettre le texte à la disposition des organes de la Transition.

 
GR
 

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