Élections générales d’août prochain : Un bond dans l’inconnu
Pour le Centre gabonais des élections (CGE), le vrai défi résidera dans la capacité à ne pas compromettre la cohésion sociale.
De l’avis général, c’est un bond dans l’inconnu : le 26 août prochain, le Gabon organisera des élections générales. Ce jour-là, les citoyens seront appelés à élire le prochain président de la République. Dans le même temps, ils devront procéder au renouvellement de l’Assemblée nationale et de l’ensemble des collectivités locales (52 conseils municipaux et 49 conseils départementaux). Au-delà des luttes de pouvoir, le vrai défi résidera dans la capacité des pouvoirs publics à ne pas compromettre la cohésion sociale. C’est tout l’enjeu de ces élections. Loin de jouer les Cassandre, il faut poser un regard froid sur la situation du moment. Sans rien n’occulter ni travestir, il faut se remémorer le passé. Il faut tirer des enseignements des scrutins antérieurs et procéder à une analyse des risques.
Douloureux précédents
Depuis septembre 90, notre pays se montre incapable d’organiser des élections apaisées. Locales, législatives ou présidentielle, elles sont invariablement sujettes à controverse, marquées par des manquements divers et fraudes massives. Si les deux premières catégories finissent toujours par d’interminables contentieux devant les juridictions, la dernière se solde invariablement par une sanglante répression. On l’a vu après le 05 décembre 93, les émeutes de février 94 ayant débouché sur les Accords de Paris. On l’a revu en 1998, Pierre Mamboundou ayant été contraint de trouver refuge à l’ambassade d’Afrique du Sud après l’attaque du siège de son parti. On l’a de nouveau vécu en 2009, Port-Gentil ayant été le théâtre de violents affrontements. Comme s’il était impossible de faire autrement, l’élection d’août 2016 a, elle aussi, été suivie de troubles violents, avec en guise d’épilogue l’assaut contre le quartier général de Jean Ping, des arrestations par centaines voire milliers et des morts.
Eu égard à ces douloureux précédents, on peut nourrir des craintes au sujet des prochaines élections. Sèmeront-elles, elles aussi, leur lot de désolation et de morts ? Si nul ne le souhaite, cette éventualité n’est pas à écarter. Déjà, les derniers développements de l’actualité ne sont pas pour rassurer. De la Constitution à la loi spéciale sur l’élection du président de la République, en passant par la loi portant dispositions communes à toutes les élections politiques, tout le corpus juridique a été opportunément revu. Et souvent à la hussarde, sans débat parlementaire aucun. Pis, du côté du Centre gabonais des élections (CGE) flotte un parfum d’improvisation. Comme si elle voulait prendre tout le monde de court, cette instance a lambiné avant de proposer un calendrier. Comme si elle prenait ses ordres d’ailleurs ou comptait sur les collusions institutionnelles, elle a resserré les dates. Comme s’il n’avait cure des conséquences éventuelles, le gouvernement a tout entériné, plaçant les acteurs devant le fait accompli.
Un œil sur le rétroviseur
Dans le contexte gabonais, il faut une bonne dose de désinvolture pour programmer trois élections le même jour. Il faut œuvrer à des élections peu inclusives pour annoncer une telle trouvaille tout juste deux mois avant l’échéance. Ni la confection des dossiers de candidatures ni l’investiture des candidats à la députation et, encore moins, l’élaboration des listes aux locales ne sont des exercices de tout repos. La même remarque vaut pour la conception ou l’achat du matériel voire pour l’élaboration du déroulé. Sur l’organisation des centres et bureaux de vote, comme sur leur tenue, tant de questions se posent. Y aura-t-il une salle pour chaque élection ? Ou toutes les trois se feront dans la même ? Les électeurs recevront-ils l’ensemble des bulletins en même temps ? Qu’en sera-t-il de leur authentification ? Pourra-t-elle encore se faire à la main ? La loi permet-elle de procéder autrement, notamment au moyen d’un cachet ? Voire…
Loin de tout catastrophisme, il faut jeter un œil sur le rétroviseur. Lors de la présidentielle d’aout 2016, le Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE) avait jugé «la gestion du processus électoral (…) trop opaque», dénonçant les «liens de subordination de nombreux membres de la CENAP (ancêtre du CGE – NDLR) et de ses démembrements à l’administration». En octobre 2018, la Mission d’observation électorale de l’Union africaine (MOE-UA) avait invité le gouvernement à «prendre les dispositions nécessaires pour garantir le bon déroulement des opérations électorales», recommandant au CGE d’«affiner l’organisation des élections couplées». Or, dans l’intervalle, le dispositif juridique a été remanié. Pour cette seule raison, on est fondé à émettre quelques doutes sur la capacité du CGE à organiser des élections générales «aux lendemains apaisés». Sauf à laisser triompher l’aventurisme, les autres maillons de la chaîne électorale, singulièrement la Cour constitutionnelle et le Conseil d’État, ont un devoir de sursaut.
1 Commentaire
Ali Bongo veut encore voir le sang des gabonais couler.