Débat sur le franc CFA : «Il faut prendre son destin en main», suggère Célestin Tawamba
Présent à Libreville du 17 au 18 novembre dans le cadre du Colloque sous-régional de haut niveau «Monnaie et développement en Afrique centrale» organisé par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), le président du groupement inter patronal du Cameroun (Gicam), Célestin Tawamba, s’est prononcé sur l’avenir du franc CFA. Il parle de «prendre son destin en main». Dans cet entretien que livre en intégralité Gabonreview, le Patron des patrons camerounais estime que «le temps est à l’action». «Il faut bien se questionner. On ne va pas seulement se contenter d’en parler. Il faut à un moment donné agir», dit-il.
Vous assistez ici à Libreville à un colloque de Haut niveau autour du francs CFA. Quel sentiment au regard de la querelle autour de cette monnaie ?
Célestin Tawamba, Président du groupement inter patronal du Cameroun (Gicam) : On est heureux que le sujet du franc CFA ne soit plus un tabou. Parce qu’à un moment donné, on avait l’impression que lorsqu’on parle du franc CFA, c’est qu’on est contre la France. Il ne s’agit pas de cela, mais plutôt de prendre en main notre destin, de trouver les voies et moyens pour être en mesure d’éditer notre monnaie et donc de piloter notre économie.
Qu’attendez-vous exactement ?
On attend qu’au sortir de cette rencontre, que les véritables problèmes que peuvent générer le franc CFA, pour qu’il ne soit plus un frein au développement de l’économie, puissent être soulevés. Nous pensons qu’aujourd’hui, la structuration du franc CFA, même s’il a un certain nombre d’avantages, a également beaucoup d’inconvénients. Au-delà des inconvénients qui peuvent être liés à l’accord de coopération, il y a surtout les problèmes liés à la gouvernance, elle-même, de cette monnaie.
Lorsque vous dites «prendre notre destin en main», cela veut-il dire que notre destin n’était pas entre nos mains ?
Nous avons signé un accord de coopération qui date de plusieurs dizaines d’années, depuis 1972, et le CFA qui existe presque depuis 77 ans. Mais malgré cela, nous avons des économies, la zone Cemac (Communauté économique des États de l’Afrique centrale, Ndlr) qui est la dernière zone économique au monde, la dernière zone d’intégration. On a une économie qui est extravertie. Si nous voulons aller à l’émergence, cela demande de se questionner et après des dizaines d’années de nos conventions, il faut bien à un moment donné, sauf à être complètement stupide, se poser des questions et savoir s’il ne faut pas les revisiter à un moment ou l’autre. Je pense que le moment est venu de revisiter, pas seulement la convention, mais surtout notre manière de l’approcher.
Voulez-vous par là dire que l’Afrique centrale doit enfin prendre en main sa souveraineté monétaire aliénée par ce franc CFA ?
Non ! On n’a jamais dit que l’argent est bloqué dans le trésor français. On dit simplement que les conditions qui sont contenues dans cet accord empêchent le financement de l’économie locale, empêchent la flexibilité de l’économie locale, empêche d’avoir un certain nombre d’amortisseurs qui permettent aux économies de se développer.
Êtes-vous satisfait que le débat sur le franc CFA soit véritablement posé sur la table ?
Nous n’avons pas attendu au Gicam pour poser ce débat puisqu’en 2019, nous avons fait ce débat sur le franc CFA. C’est un débat que nous avons déjà eu à soulever. Nous l’avons invité, incité, à l’époque. Nous avons invité le président de la Commission de la Cemac à ce débat. On avait le sentiment que c’était quelque chose dont il ne fallait pas en parler. Mais c’est une aberration de ne pas parler de quelque chose qui nous concerne. C’est un outil de politique économique. Il faut sortir de cette zone d’ombre de penser qu’il ne faut pas se questionner. Il faut bien se questionner. On ne va pas seulement se contenter d’en parler, il faut à un moment donné agir. Le temps est à l’action.
Ne faut-il pas par exemple envisager nos propres monnaies ?
Il ne suffit pas de changer de nom. Il ne s’agit pas de changements cosmétiques. Il faut changer de méthode. Il faut également avoir des objectifs. L’objectif majeur est de transformer notre économie. L’émergence ne veut pas dire que vous avez changé le CFA par un autre nom. L’émergence veut dire : quel est le niveau de transformation économique ? Quel est le niveau d’exportation ? Et pour cela, il faut se poser de véritables questions. Est-ce que la politique économique, qui pousse tout le monde à libéraliser tout, peut nous permettre de transformer nos économies ? Je ne pense pas. Est-ce que face à la mise en œuvre de l’OMC (Organisation mondiale du commerce, Ndlr), on peut également avoir nos économies compétitives ? Je ne pense pas. Je pense que l’Afrique a besoin d’avoir son modèle économique. L’Afrique a besoin d’avoir une intégration plus forte, une politique économique qui précède la politique monétaire.
Vous dites qu’on importe excessivement. Que faut-il faire aujourd’hui ?
Il nous faut prendre de bonnes décisions. On importe parce qu’on a la possibilité d’importer. On ne dit pas de tout fermer. Il faut importer ce qui va en droite ligne avec la politique économique. Si vous voulez émerger, il faut d’abord faire des choix. Il y a 50 ans, on avait une économie qui était essentiellement de rente, qui était là pour exporter, pour avoir des devises. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On veut transformer nos économies. Pour cela, il faire des choix : quelle économie ? Quel secteur et quelles sont les mesures qu’il faut prendre ? Vous ne pouvez pas prétendre transformer une économie, transformer une industrie, transformer les matières premières, transformer le secteur industriel en même temps être en libre compétitivité avec des économies qui sont, à un stade, développées, avec des pays émergents comme la Turquie, le Brésil, la Chine. Je vous rappelle que la Chine, pour se développer, a d’abord fermer ses frontières. La Chine et les Etats-Unis sont les premières puissances qui, pour se développer, ne respectent par l’Organisation mondiale du commerce.
Comment se porte l’écosystème des paiements actuellement au Cameroun ?
L’écosystème se porte comme une économie qui est en crise ; crise qui génère l’inflation, crise où on a ralenti un certain nombre d’investissements, crise où les coûts des investissements ont augmenté, crise où on recrutement moins, crise où il y a des problèmes de financement de l’Économie, d’accompagnement. Je parlais tout à l’heure d’amortisseur et donc des outils qui permettent d’accompagner. En Europe lorsqu’il y a des crises, quel que soit le cas, on va accompagner les entreprises. Ici, on ne peut pas utiliser la planche à billets. On n’a pas ces outils, parce qu’il faut la contrepartie en euro. Pour cela, on n’a pas la maitrise, la gestion de notre monnaie. Aujourd’hui, je pense qu’il faut se questionner. On est dans une facilité, un confort de la gouvernance de notre monnaie et cette facilité, malheureusement, nous fait prendre du retard dans le pilotage de notre économie.
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