L’ensemble de la société doit «aller plus loin que la simple mise en garde». Elle doit «engager une véritable rencontre des différences».

Établir le lien entre identité et éligibilité à certaines fonctions, c’est faire un procès d’intention à de nombreux citoyens, jugés potentiellement déloyaux ou traites à la patrie. C’est aussi acter la faiblesse de l’État face aux outrances de ses serviteurs. © Facebook/tvgabon24

 

Ça peut sembler surréaliste, mais c’est une éventualité : dans le Gabon de demain, certains citoyens pourraient être obligés de jouer les utilités. En raison des origines d’un de leurs parents ou de leurs liens matrimoniaux, ils pourraient être contraints de revoir leurs ambitions. Du fait de leur naissance, ils pourraient être condamnés à renoncer à certaines fonctions. Cela peut défier l’entendement, mais cela relève désormais de la probabilité : dans notre pays, la génétique et l’identité pourraient devenir l’ultima ratio, les critères d’évaluation du patriotisme. C’est, en tout cas, l’impression laissée par certaines conclusions du Dialogue national inclusif (DNI). Même si elles peuvent avoir été faites «sous le coup de l’émotion» ou en réaction au «traumatisme» consécutif aux abus du régime déchu, ces suggestions portent en elles les germes d’une citoyenneté à plusieurs vitesses voire d’une fracturation de la société en peuples inégaux devant la loi.

Hommes forts ou institutions fortes ?

Pourtant, depuis au moins le 19 février 1959 – date de l’adoption de sa toute première Constitution -, le Gabon proclame «l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion». De même, notre pays se veut une «République indivisible, démocratique et sociale». Autrement dit, il garantit l’homogénéité des lois, droits et devoirs sur l’ensemble du territoire national. Mieux, indépendamment de leur histoire personnelle, les citoyens ont la même valeur aux yeux de l’Etat. Promouvoir la différenciation, c’est naviguer à contre-courant des valeurs et principes constitutionnels. Etablir le lien entre identité et éligibilité à certaines fonctions, c’est faire un procès d’intention à de nombreux citoyens, jugés potentiellement déloyaux ou traites à la patrie. C’est aussi acter la faiblesse de l’Etat face aux outrances de ses serviteurs. En définitive, c’est raisonner comme si, par essence, les institutions sont au service de leurs dirigeants et pas de l’intérêt général.

N’en déplaise aux tenants d’une citoyenneté différenciée, ce raisonnement a déjà causé trop de torts à notre pays. Lors des présidentielles de 1993, 1998, 2009 et 2016, il a conduit la Cour constitutionnelle dissoute à valider des résultats frauduleux, occasionnant des morts et dégâts matériels importants. En novembre 2018, il a poussé la même juridiction à modifier subrepticement la Constitution pour ne pas prononcer l’empêchement définitif du président de la République, ouvrant la voie à une usurpation du pouvoir aux conséquences connues de tous. En juillet 2023, il l’a amenée à rejeter tous les recours contre le fameux «bulletin unique», matérialisation d’un type de scrutin inconnu des juristes. La suite ? Tout le monde la connait. Pourquoi ne pas en tirer des enseignements ? Pourquoi faire comme si les hommes en imposent à l’Etat et pas l’inverse ? Est-on à la recherche d’hommes forts ou d’institutions fortes ?

Une conception caractéristique du PDG et de sa gouvernance

Même si cela ne semble pas évident, ce raisonnement s’inscrit dans une logique chère au régime déchu : celle du président-fondateur, de l’homme providentiel, autorisé à tout façonner au gré de ses seuls intérêts. En refusant d’évoquer la responsabilité des institutions, en se gardant de pointer le non-respect des procédures, on fait comme si les détenteurs de l’autorité publique peuvent tout se permettre. Comme si l’impunité est la règle ou un principe de bonne gouvernance. Volens nolens, cette conception de la vie publique est caractéristique du Parti démocratique gabonais (PDG) et de sa gouvernance erratique. Au-delà, elle fait écho à sa propension à privilégier les intérêts privés et partisans, quitte à affaiblir les institutions, à fouler au pied les règles ou à contourner les procédures. Or, cette patrimonialisation de l’Etat est l’une des causes des dérives observées tout au long du règne du PDG et singulièrement durant les cinq dernières années.

Comment tordre le cou à un tel raisonnement, à une telle conception de la vie publique ? Intellectuels, hommes politiques ou militants associatifs, de nombreuses personnalités ont déjà pointé les risques inhérents à une citoyenneté différenciée. Mais, au-delà de ces prises de position individuelles, un consensus national semble nécessaire. Comme le suggère notre confrère Echos du nord, l’ensemble de la société doit «aller plus loin que la simple mise en garde pour espérer panser les plaies ouvertes par la manipulation de la complexité ethnique». Autrement dit, il faut «engager une véritable rencontre des différences». C’est la seule manière de remettre la République au centre du débat et d’œuvrer à l’instauration de cette «culture de bonne gouvernance et de citoyenneté responsable» tant espérée par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI).

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Maganga Octave dit :

    Effectivement Mme Bouenguidi c’est parce qu’ils sont convaincus que les présidents et ministres sont des « présidents fondateurs » qui peuvent tout se permettre sans en répondre qu’ils veulent mettre tous ces critères discrimnatoires. Quand on croit aux lois et aux institutions, on se preoccupe peu des hommmes

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