Au-delà des développements sur les mécanismes de régulation ou la stricte séparation des pouvoirs, les commissaires doivent chercher à renvoyer le pouvoir là où il doit se trouver : dans les urnes et nulle part ailleurs.  

Dans la constitution appelée à remplacer celle du 26 mars 1991, le président de la République ne devrait pas être responsable devant le Parlement. En contrepartie, il doit perdre le pouvoir de dissolution et ne disposer d’aucun outil de pression. S’il nomme les juges, il ne doit avoir aucun moyen de contrainte à leur égard. © GabonReview

 

Dans quelques jours, le Dialogue national inclusif (DNI) rendra ses conclusions. Sont particulièrement attendues, les contours de l’organisation future des pouvoirs publics. Sur les modalités d’exercice du pouvoir, comme sur le partage des responsabilités entre les niveaux national et infranational, l’on attend des suggestions claires, adaptées au contexte et opérantes. Dans l’intérêt de tous, les commissaires devront dire au pays comment ils envisagent l’organisation et le fonctionnement des institutions, la désignation des dépositaires de l’autorité de l’Etat, les droits et devoirs des citoyens et, les relations entre gouvernants et gouvernés. Pour l’opinion, tel semble être le mandat de la sous-commission «Politique et institutions», présidée par un universitaire jouissant d’une présomption de connaissance scientifique, mais aux travaux controversés du fait d’une bienveillance manifeste voire d’une proximité supposée d’avec le régime déchu.

Enseignements de l’histoire

Le 30 avril prochain, les principes généraux et orientations pour une meilleure organisation de l’Etat et de la société seront déclinés. Il sera ensuite question de les traduire en dispositions, consignées dans une constitution appelée à remplacer celle du 26 mars 1991, modifiée neuf fois en 32 ans et quatre fois sous la présidence d’Ali Bongo. En second lieu, il faudra les transcrire dans des lois organiques. Pêle-mêle, on pense à celles relatives au président de la République, aux lois de finances, au Parlement, à l’organisation de la justice, aux cours et tribunaux, à la décentralisation…  Si nombre de ces instruments existent, leur application a souvent été rendue aléatoire par la conjugaison de deux facteurs : la personnification de l’Etat et la personnalisation du pouvoir. De ce point de vue, certains concepts ou notions doivent être maniés avec prudence, loin de toute volonté de régler des situations particulières.

D’ici à la fin du DNI, la sous-commission «Politique et institutions» doit se pencher sur les enseignements de l’histoire, la dimension culturelle, mais aussi les idées ou convictions propres aux Gabonais. De même, elle doit anticiper sur les évolutions à venir tout en intégrant les exigences de l’époque, notamment induites par les instruments juridiques internationaux auxquels notre pays a librement souscrit. Déjà, on peut en convenir : même si le trucage électoral a fait le lit de l’abstention, les Gabonais semblent attachés à l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Ayant vécu sous un régime inspiré de la Vème République française, ils semblent acquis à un exécutif dyarchique, gage à leurs yeux de partage du pouvoir, fut-il relatif. Ecœurés par les incessantes manipulations des textes, ils veulent d’un Parlement à l’initiative, assumant pleinement sa mission de contrôle. Pour eux, la nullité du mandat impératif ne doit tolérer aucune exception. Traumatisés par les décisions de la Cour constitutionnelle dissoute, ils rêvent d’une justice indépendante, capable de faire pièce aux outrances de l’exécutif.

Analyser les implications de chaque option

Pour restaurer l’espoir, le président de la République ne doit plus être «chef de tout, mais responsable de rien», selon la formule de François Hollande. S’il reste le «détenteur suprême du pouvoir exécutif» sans le partager avec le Premier ministre, s’il garde la haute main sur la carrière des magistrats ou les nominations à la Cour constitutionnelle, si l’exclusion d’un parti politique demeure synonyme de déchéance de l’élu ou de perte de son mandat, l’on ne sera pas sorti de l’auberge. De même, si l’Etat central conserve toutes ses prérogatives sans être contraint d’en déléguer certaines, à court ou moyen terme, les risques d’une concentration des pouvoirs subsisteront. Au moment de consigner leurs conclusions, les délégués de la sous-commission «Politique et institutions»  devront y songer.

En effet, aucune réforme ne peut s’avérer porteuse si la réflexion s’arrête au milieu du gué. Peu importe la nature du régime, il faut analyser les implications de chaque option. Le président de la République doit jouir d’une forte légitimité, certes. Mais s’il doit avoir autorité sur les autres membres de l’exécutif, il ne doit ni les caporaliser ni les tenir en laisse. S’il doit être à la fois chef de l’Etat et chef du gouvernement, il ne doit pas être responsable devant le Parlement. En contrepartie, il doit perdre le pouvoir de dissolution et ne disposer d’aucun outil de pression, comme c’est le cas avec l’exception à la nullité du mandat impératif. S’il nomme les juges, il ne doit avoir aucun moyen de contrainte à leur égard. Au-delà des développements sur les mécanismes de régulation ou la stricte séparation des pouvoirs, les commissaires doivent chercher à renvoyer le pouvoir là il doit se trouver : dans les urnes et nulle part ailleurs.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonjour R. Bouenguidi,

    Votre article est intéressant à plusieurs titres.

    Au final, s’agissant des réformes institutionnelles la question se résume ainsi : voulons-nous d’un régime parlementaire ou non? Sachant que le président
    de la République (PR dorénavant) n’aurait qu’un rôle consultatif ou arbitral (comme en Suisse) sur des questions bien précises.

    Dans notre pays, le parlementarisme suppose que les partis jouent un rôle majeur dans les débats publics. Des élections législatives doivent être envisagées sur fonds de decoupage électoral. J’y suis opposé. On peut craindre de fortes instabilités politiques à venir (IIIeme et IV République francaise).

    Les parlementaires doivent être choisi.es en fonction de leur parcours et leur motivation. Car avant le 30.08.2023, le « choix » de nos parlementaires (malgré les élections) était fondé sur un « déterminisme socio-politique » (on est parlementaire de génération en génération) et cette méthode a montré son incurie à résoudre les problèmes fondamentaux du pays.

    Or si nous envisageons une démocratie directe, alors le peuple devra trancher par référendum sur des questions importantes de la vie de la nation. Ce qui aurait l’avantage d’empêcher la floraison des partis politiques qui, au fond, sont vides de sens (par nature) pour ne pas dire qu’ils sont des « ensembles vides » (plus d’emballage que de contenu par manque d’idées).

    Ce qui pose problème dans notre pays, c’est le fonctionnement des institutions perturbé par une « main invisible » (activités d’indluence et corruption) [1] et le capitalisme familial (CF). Le CF détruit le fonctionnement de l’Etat au service de tous. La multiplication d’agences et centres dédiés ces quatorze dernières années sont la preuve du démembrement de l’Etat (jacobin). Ces structures ont clairement montré leur inutilité et leur inefficacité.

    C’est pourquoi il faut revenir à un État jacobin (unité et indivisibilité de la République). Un parlementaire doit être sans étiquette politique et se doit de faire son travail sans entrave. Un meilleur controle implique une meilleure maîtrise des coûts globaux du fonctionnement de l’appareil d’Etat.

    En résumé, je suis pour une sélection des parlementaires, une disparition des partis politiques, un rôle central du PR en tant qu’arbitre de la nation. Fondamentalement, je crois en la séparation des pouvoirs. Il convient de dire précisément si dans la « nouvelle loi fondamantale » le PR est « Chef des Armées ». En cas grabuge, il faut pouvoir établir sa responsabilité.

    Merci pour cet article très inspirant.

    [1] En économie, la « main invisible » (Adam Smith) est définie ainsi : la recherche des intérêts particuliers aboutit à l’intérêt général. Toutefois ce n’est pas le cas dans notre pays.

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