Ayant fait montre d’une surdité à nulle autre pareille, le gouvernement a dilapidé son crédit. Entre entêtement et je-m’en-foutisme, il a ruiné les arguments en faveur de sa stratégie.

Pour le clergé catholique, le maintien de la fermeture des lieux de culte vise un seul objectif : installer «la peur». Pour les communautés pentecôtistes, charismatiques et de réveil, cela procède d’une violation du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi. © Gabonreview/Shutterstock

 

Les récentes sorties de l’épiscopat catholique ou des communautés pentecôtistes, charismatiques et de réveil sont lourdes de sens. Expression d’un ras-le-bol, elles font planer le spectre d’un bras de fer entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. A la revendication du «droit de pratiquer (leur) foi», proclamée par Mgr Jean-Vincent Ondo Eyéné, s’est ajoutée une certitude, brandie par l’archevêque Jean-Baptiste Moulacka : «La fermeture des lieux de culte ne se justifie plus.» De par leur enchaînement, ces événements soulignent une réalité : plus grand monde ne croit aux arguments développés par le gouvernement pour justifier la limitation des libertés. Désormais, tout le monde perçoit la lutte contre la covid-19 comme un prétexte visant à masquer d’inavouables calculs politiciens.

Exaspération des hommes d’église

Ayant trop tiré sur la corde, le pouvoir politique a fini par installer un climat de suspicion. Ayant cherché à jouer les «prolongations», il a dévalué sa propre parole. Pour ainsi dire, sa stratégie a atteint son point de rupture. Invalidée par les chiffres officiels, elle est devenue contre-productive. Contredite par l’attitude de nombreux ministres, elle pousse au raidissement voire à la radicalisation. Pourquoi les membres du gouvernement peuvent faire comme bon leur semble quand d’autres citoyens voient leurs libertés se réduire ? Pourquoi ouvrir les écoles conventionnées, les marchés et grandes surfaces et pas les lieux de culte ? Pour le clergé catholique, tout ceci vise un seul objectif : installer «la peur».  Pour les communautés pentecôtistes, charismatiques et de réveil, cela procède d’une violation du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi.

Tout au long des sept derniers mois, le gouvernement n’a eu de cesse d’aller à l’encontre de ses propres préconisations. En violation de l’interdiction d’organiser des rassemblements de plus de 10 personnes, les différents premiers ministres se sont succédé à l’Assemblée nationale, se mêlant à des centaines de personnes dans un espace exiguë. Des ministres, notamment celui de la Santé, ont organisé des raouts à l’intérieur du pays, se permettant des bains de foule. De même, des images de militaires en pleine réjouissance, se frottant les uns aux autres, ont circulé. Malgré les dénonciations, les contrevenants n’ont jamais été sanctionnés. Comme s’ils étaient immunisés, ils ont bénéficié de protections. Comme s’ils étaient au-dessus des lois, l’exécutif a fait la sourde oreille. Il n’en fallait pas plus pour susciter l’exaspération des hommes d’église. «Essayons de trouver une solution rapide permettant au peuple de vivre sa foi en toute sérénité», a lancé Jean-Vincent Ondo Eyéné. «La reprise effective des activités cultuelles dans toutes les églises (est fixée au) dimanche 25 octobre 2020», a tranché Jean-Baptiste Moulacka.

Brider la réflexion sur les choses de ce bas de monde

Face à un pouvoir temporel peu enclin au débat d’idées, les hommes d’église ont été poussés à l’unilatéralisme. Ayant fait montre d’une surdité à nulle autre pareille, le gouvernement a dilapidé son crédit, ruinant les arguments en faveur de sa stratégie. Présentée comme un outil de lutte contre la propagation du virus, la fermeture des lieux de culte est maintenant perçue comme un moyen de brider la réflexion sur les choses de ce bas de monde. Après tout, en décembre 2019, Mathieu Madega Lebouakehan avait invité le pouvoir à «un sursaut effectif de souveraineté et de patriotisme et un bon engagement pour le bonheur véritable de toute la population.» Le même jour, Jean-Bernard Asséko Mvé avait demandé aux détenteurs des charges publiques de «rendre (leurs tabliers) à Dieu pour qu’il trouve des personnes plus aptes à conduire ce peuple-là, qui mérite d’avoir des dirigeants qui pensent à lui.» C’est dire si les hommes d’église peuvent contribuer à l’éveil des consciences. C’est aussi dire si les lieux de culte peuvent servir au développement d’un activisme citoyen.

Ne sachant pas faire la différence entre autorité et autoritarisme, le gouvernement n’a tiré aucune leçon des mises en garde des hommes d’église, s’enferrant dans ses insuffisances tout en couvrant les errements de ses membres ou des forces de défense. Fonctionnant au sectarisme partisan, il a fondé sa stratégie sur la coercition et non sur l’adhésion. Au final, il a fait la part belle aux aspects sécuritaires et non sanitaires. Or, pour éviter une épreuve de force avec les églises, il doit se mettre à l’écoute, quitte à lâcher du lest sur certains points. Aura-t-il le courage politique de l’entendre ? On peut en douter tant le ministre de l’Intérieur apparaît comme l’acteur principal de cette crise… sanitaire.

 
GR
 

2 Commentaires

  1. diogene dit :

    Lois d’exception et passe droit !

    La justice du Gabongo est à géométries variables.
    De même les religieux, ne suivent aucune directive gouvernementale puisqu’ils se considèrent au dessus des lois !

    Les églises clandos tournent à plein régime même si les sonorisations excessives sont actuellement utilisées au minimum (pas toujours comme ce dimanche par chez nous).

  2. beka dit :

    Vraiment, je n’y comprends rien. Ayant siégé hier, nous nous attendions tous à ce que le conseil des ministres donne tout simplement le top pour cette réouverture des lieux de culte. Mais au final, motus et bouche cousue. Sauf si c’est moi qui ai mal lu le communiqué final.

    Cette insistance à garder clos les lieux de culte au Gabon est assez curieuse. En place dans notre pays depuis huit mois, nous savons que le Copil a posé ses conditions pour leur réouverture. Mais pourquoi donc le gouvernement s’obstine au maintien de cette interdiction, comme s’il n’était plus certain de l’efficacité des mesures qu’il a édictées ? Beaucoup de responsables religieux y ont pourtant consenti et rempli toutes les conditions exigées. Pouvoir temporel, pouvoir spirituel…. Deux pouvoirs totalement opposés ; jusque-là et au-delà ?

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