Concours du prytanée militaire : un vrai Waterloo* ?
Le tout dernier concours d’entrée au Prytanée militaire de Libreville a débouché sur des résultats catastrophiques, en décalage avec le taux de réussite élevé du Certificat d’Études Primaires, soulevant des interrogations sur l’adéquation des méthodes d’évaluation. Paru dans l’hebdomadaire Echos du Nord le 20juin 2024, cet article en lumière les défis auxquels fait face l’éducation au Gabon, appelant à une réflexion urgente sur la formation des futures élites du pays. [Avec l’aimable autorisation d’Echos du Nord]
Pris d’assaut samedi dernier dès 5h00 du matin, le camp Baraka de Libreville, notamment son gymnase, s’est rempli de plus d’un millier de parents venus accompagner leur(s) rejeton(s) de candidat(s) au concours spécial d’entrée en 6ème au Prytanée militaire. Trois épreuves attendaient les 1400 jeunes aspirants âgés de 9 à 12 ans : dictée, étude de texte, et calcul. Seulement 60 d’entre eux seront retenus. 15 filles et 45 garçons. Dont 8 rejoindront l’un des pays partenaires -Mali, Burkina-Faso, Sénégal, Côte d’Ivoire – pour y subir leur formation. De manière totalement transparente, les parents ont été associés à la réception des épreuves, à leur convoyage en bus militaires du gymnase vers les salles d’examen, à la surveillance des concourants, et à la restitution desdites épreuves au gymnase pour, un, leurs anonymisations par des parents et, deux, leurs corrections par des enseignants missionnés par le ministère de l’Education nationale. Après tout ça, place au suspens. Chaque mère, père, grande-sœur, grand-frère, et grand-père s’inquiète de l’état dans lequel son/sa jeune impétrant(e) réalisera ce parcours du combattant et en ressortira. Dans les gradins à l’intérieur du gymnase, sous une tente à l’extérieur, assise à même le sol, et même debout sous le soleil, la foule attend avec anxiété les résultats qui, quatre heures après, commencent à tomber. Et à tomber bien bas, comme on va le réaliser avec ceux de la dictée !
A leur écoute, l’assistance médusée tombe à la renverse. Et il y a de quoi. Sur 1400 candidats, le nombre de zéros sur 20 est pléthorique. Moins de 10 obtiennent la moyenne en dictée. La débâcle est tout aussi retentissante pour l’étude de texte et le calcul. Au point où, à 22heures, il n’y avait qu’un seul candidat disposant d’une note au-dessus de la moyenne générale englobant dictée, étude de texte et calcul. Quatorze sur 20. « Comment a-t-il fait ?» se sont exclamé la foule de parents admiratifs et en standing-ovation pour ce héros inconnu. Mais ces satisfécits spontanés n’effacent pas la réalité terrestre du gymnase militaire qui ramène les esprits à la litanie monocorde des zéros sur 20 qui s’amoncellent assénés par une voix métallique captée par un micro. Le moral est au plus bas. Un sentiment général mêlant confusion et découragement envahit les gradins où l’on se pose bien des questions. Notamment celle de savoir comment, alors que les résultats du CEP de cette année – 92,21% – confirment un grossissement significatif de l’armée des apprenants du secondaire au Gabon, les détenteurs de ces résultats se heurtent au concours. Les portes du Prytanée se ferment aux nez du millier de postulants. Les historiens parleraient d’un véritable Waterloo* scolaire à l’image de la défaite de la Grande Armée de Napoléon en 1815 pourtant plus nombreuse que ses ennemis d’en face, les Coalisés. La nuit tombe. Déroutés et abattus, de nombreux parents décident de battre en retraite entraînant dans leur désertion qui leur garçon qui leur fille qu’ils considèrent comme ne disposant que de très peu de chances de figurer dans le très sélectif peloton de tête réservé à un numerus clausus de 60 lauréats retenus en fin de parcours. Ces parents devaient être dans le vrai. En effet, très tard dans la soirée, aucun indice ne donnait à penser à une embellie de la situation. Au contraire, les choses s’empiraient : le nombre de celles et de ceux qui ont obtenu une moyenne générale à deux chiffres dans les trois matières n’atteignait pas 5 sur…1400. Largement moins de 1%. Cela peut et doit questionner.
Pourquoi cette hécatombe qui jure avec le taux de réussite de 92,21% du Certificat d’Etudes Primaires 2024 dans le même pays et avec les mêmes apprenants ? Théoriquement, on est en droit de s’attendre à ce que la philosophie du concours du Prytanée vise une « évaluation diagnostique », pour reprendre la terminologie des experts, en testant les connaissances de base acquises tout au long du cycle primaire. Et, cela, selon la méthodologie pédagogique pratiquée dans le pays. Au Gabon, elle a pour nom Approche Par Compétences de base (APC). Ce type d’évaluation diffère de « l’évaluation formative » qui est « utilisée au cours du processus d’apprentissage [donc spécifique au Prytanée] pour suivre les progrès des apprenants et fournir des commentaires qui les aident à améliorer leur compétences ». Elle diffère également de « l’évaluation sommative » dont « le but est de déterminer si les apprenants ont atteint les buts et objectifs d’apprentissage fixés pour le cours ou le programme [spécifiques au Prytanée]. » Autrement dit, en fin d’année de 6ème du Prytanée militaire de Libreville, les brutions** comme on les dénomme, sont nécessairement évalués sur la base des programmes et méthodologies en partie propres au Prytanée militaire. A contrario, le prestigieux concours spécial d’entrée au Prytanées militaires du Gabon [mais aussi de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Mali, et du Sénégal] se déroulant à Libreville, s’adresse à des élèves provenant d’établissements publics civils. Ne serait-il pas judicieux de renforcer la coopération entre l’établissement militaire et le Ministère de l’Education nationale afin de coordonner le déroulement de cette prestigieuse compétition ? Afin que l’issue, au fil des concours, ne conduise pas cette fabrique à élites vers un Waterloo.
SJL
*C’est la dernière bataille, le 18 juin 1815, que conduisit l’Empereur français Napoléon en personne. Vaincu, il dut abdiquer quatre jours plus tard, à son retour à Paris, le 22 juin.
**brutions : en général, au Prytanée, les jeunes apprenants sont surnommés brutions.
2 Commentaires
Inadéquation des méthodes d’évaluation!!! Explicitez
Gare au gigantisme des mots et aux attentions de l’esprit de délirantes ambitions caractérisques de la psyché de la jeunesse africaine moderne.Le devenir harmonieux dit developpement d’un pays s’accommode mal des conclusion hatives et de la grandiloquence des objectifs. Le taux de réusssite à ce concours me semble refléter la réalité à l’inverse des résultats du public civil dans un pays où un bon élève de première ne connait pas Senghor.
En dehors du type d’évaluation pratiquée, il est connu que de nombreux parents paient pour la réussite de leur enfant au CEP, le personnel chargé du système informatique collectant et diffusant les résultats arrondirait ainsi leurs fins de mois. Le ministère de l’éducation nationale a du pain sur la planche pour la restauration des institutions du 1aire et devrait commencer par comparer les résultats des enfants durant l’année scolaire et leurs résultats au CEP (les différences sont souvent impressionnantes). Et enfin ce type de concours permet de mettre à jours ces irrégularités. Le CEP aujourd’hui ne reflète pas le rée niveau des enfants du primaire sur le territoire national.