Climat socio-politique : Outrances du passé, exigences de changement
Intervenus presque synchroniquement, deux événements ravivent le souvenir d’autres, douloureux et traumatisants, vécus sous le régime déchu. Il est encore temps de renouer le lien de confiance.
Loin de toute mauvaise foi, on peut en faire le constat : jour après jour, le doute s’installe. Et la suspicion grandit. Sur la détermination du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) à honorer ses engagements, des questions fusent. Ces derniers jours, deux événements ont semé l’émoi. Intervenus presque synchroniquement, ils ont désarçonné l’opinion : la mort, dans des conditions non encore élucidées, de l’officier de la Marine nationale Johan Bounda et, la réécriture de l’article 28 de la Constitution adoptée lors du référendum du 16 novembre dernier, en sus de la correction de certaines erreurs matérielles. «S’ils font ça à leur frère d’armes, comment comptent-ils rendre la dignité aux civils ?», «Y a-t-il une instance au-dessus du peuple souverain ? Qui a le pouvoir de corriger ce qui a déjà été soumis à la sanction du peuple ?», a-t-on notamment pu lire sur les réseaux sociaux.
Sentiment d’insécurité
Sur les droits humains, la lutte contre l’arbitraire ou le respect des choix du peuple, il y a matière à interrogation. Ainsi, sur le fondement de vagues soupçons et sur ordre d’un officier général, un officier aurait été conduit dans les services de la Direction générale de la Contre-ingérence et de la sécurité militaire (DGCISM). Il y aurait subi des sévices corporels, avant d’être conduit à l’Hôpital d’instruction des armées où il aurait succombé à ses blessures. Pendant ce temps, dans le secret d’un bureau, des citoyens se seraient autorisés à procéder à des retouches sur un texte déjà validé par le peuple. En apprenant cela, on est saisi d’effroi voire d’un sentiment d’insécurité. On aurait aimé parler d’une actualité lointaine, dans l’espace et le temps. Pourtant, tout ceci s’est déroulé au Gabon, 16 mois après la chute de la dynastie Bongo et l’avènement du CTRI. À chacun, cet enchaînement montre la nécessité de ne céder ni à l’ivresse du pouvoir ni à l’emballement.
Sans forcer le trait, ces événements ravivent le souvenir d’autres, douloureux et traumatisants, vécus sous le régime déchu. On pense aux révélations faites naguère par les anciens leaders étudiants Nicolas Ondo, Duphy Minto’o, Ballack Obame et Lionel Ella Engongah. On se souvient des accusations formulées par Armel Mouendou Mbina, porté disparu pendant 11 mois, avant d’être accusé d’«outrage au chef de l’Etat» puis, conduit à la prison centrale. Surtout, on revisite le témoignage glaçant d’un Bertrand Zibi Abéghé, affirmant avoir été «jeté en caleçon dans une cellule semblable à une fosse septique, puisque remplie de liquide noirâtre et d’excréments» puis, «frappé, battu, torturé, passé à tabac, mis sur pont par les éléments du B2». Par ailleurs, on se remémore des décisions rendues par la Cour constitutionnelle dissoute afin de sauver la mise à une oligarchie familiale ou de ne pas constater la vacance du pouvoir après l’accident vasculaire et cérébral (AVC) d’Ali Bongo.
Agir avec méthode et rigueur
Toujours sous le choc de ces atteintes à la dignité humaine, encore marquée par ces manipulations constitutionnelles à répétition, l’opinion aimerait avoir des garanties de non-répétition. Autrement dit, elle est en attente de réformes administratives et institutionnelles allant dans le sens du renforcement de l’Etat de droit, du respect des droits humains et de la consolidation du vivre-ensemble. En cours, l’élaboration de l’avant-projet de Code électoral est, de ce point de vue, une opportunité à saisir. À l’inverse, la décision de procéder à la révision du fichier électoral semble inopportune voire contre-productive. Comme le martèle l’ancien ministre Ali Akbar Onanga Y’Obégué, elle résonne «comme une tentative de perpétuer les anciennes pratiques (et) semble ignorer délibérément les aspirations populaires à un véritable changement (…) et fait fi des engagements pris par (le CTRI)». Comme le recommande le parti Pour le changement (PLC), il y a, de ce fait, urgence à «clarifier cette démarche (…) afin de garantir une compréhension partagée.»
Comment rassurer les populations quant à la volonté du CTRI à tenir ses engagements de départ ? Comment ne pas rééditer les outrances et erreurs du passé ? Comment éviter de chausser les bottes du régime déchu ? Comment répondre aux exigences de changement ? Ces questions doivent être au centre de la réflexion stratégique du CTRI. Au-delà des réponses ponctuelles au malaise exprimé par l’opinion, il est encore temps de renouer le lien de confiance. Pour ce faire, il faut agir avec méthode et rigueur, dans le respect de la règle de droit, la transparence, l’ouverture et l’écoute d’autrui. La réussite de la Transition se joue peut-être à ce niveau…
2 Commentaires
J’attends seulement le commentaire de Gayo. Viens nous donner ton analyse. Merci.
Le seul nom que connaît Gao est ACBBN.
Si on ne prend pas position devant de tels faits c’est qu’on n’est pas du bon côté de l’histoire.