Cinquième République ? Où sont les quatre précédentes ?

La nouvelle Constitution n’inaugure pas une République nouvelle ! La polémique est timide mais enfle sur les réseaux sociaux : comment est-il soudainement question d’une Cinquième République au Gabon ? Car, derrière les proclamations officielles et les mots triomphants célébrant l’avènement d’une Cinquième République gabonaise, la réalité institutionnelle impose une vérité moins flatteuse : celle d’une continuité maquillée en renouveau. À l’épreuve du droit et de l’histoire, depuis 1960, le Gabon n’a jamais véritablement refermé le livre de sa Première République. Pas de rupture fondatrice, pas de refondation authentique, pas de souveraineté populaire exercée en pleine lumière. L’histoire politique du pays ressemble moins à une succession de Républiques qu’à une même page interminablement corrigée. Décryptage d’une illusion institutionnelle.

Réécrire la Constitution sans briser l’ancien ordre, c’est repeindre une maison fissurée sans jamais reconstruire ses fondations. © GabonReview
L’idée a d’abord été lancée par un maitre de cérémonie, le 19 décembre 2024 à la Place de la Libération à Libreville, au moment où le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, s’apprêtait à signer la loi constitutionnelle et le décret de sa promulgation. Le maitre de cérémonie avait forcement reçu, de quelqu’un, des éléments de langage. L’idée a ensuite fait l’objet de la tribune d’une autorité universitaire, dans le quotidien L’Union, énumérant les Républiques sur la base des différentes révisions constitutionnelles et de changements anecdotiques intervenus dans l’histoire du Gabon post-colonial, sans réel impact sur l’organisation institutionnelle du pays ni sur l’interaction entre ses institutions républicaines. Pourtant, en droit comme en histoire, le Gabon demeure dans sa Première République, patinée par les ans, réformée mille fois, mais jamais refondée. Voici pourquoi.
Une République ne naît pas d’un simple texte : leçons du droit comparé
Dans la science constitutionnelle, changer de République suppose bien plus qu’adopter une nouvelle loi fondamentale. L’histoire constitutionnelle du monde enseigne, en effet, que les vraies ruptures ne se comptent pas au nombre des amendements ni des lois nouvelles. Elles surgissent des séismes institutionnels qui abolissent l’ancien ordre pour en édifier un autre, sur des bases repensées, et validées par la souveraineté populaire.
En France, la Cinquième République est née d’une crise terminale de la Quatrième, incapable de gouverner en pleine guerre d’Algérie. La Constitution de 1958, conçue par Michel Debré sous l’égide de De Gaulle, redessine radicalement la distribution des pouvoirs. Elle est adoptée par référendum, non comme une réforme, mais comme une fondation : le peuple tranche en conscience et refonde son destin institutionnel. Au Ghana, la Quatrième République surgit en 1992 non pas d’une révision, mais d’une volonté de rupture, après des années de dictature militaire. Une Constitution neuve, soumise à référendum, inaugure une ère de libertés fondamentales, de multipartisme et de limitation de l’exécutif. Au Nigeria enfin, en 1999, après quinze ans de régimes militaires, la promulgation d’une nouvelle Constitution par le président élu Olusegun Obasanjo acte le retour au pouvoir civil, dans un changement complet de paradigme juridique.
Dans chacun de ces cas, la fondation d’une République suppose trois choses : l’effondrement ou l’abandon clair de l’ordre ancien, la rédaction d’une architecture juridique inédite, et sa validation par une expression libre, massive et informée du peuple. C’est ce triptyque qui fait l’acte fondateur, non la simple rédaction d’un nouveau texte.
Le Gabon : soixante ans d’évolutions sans révolution
Depuis son indépendance le 17 août 1960, le Gabon n’a jamais connu cet instant fondateur. Au début, sous Léon Mba, le pays adopte un régime parlementaire fragile où le président partage le pouvoir avec une Assemblée nationale forte. Mais, très vite, en 1961, une nouvelle Constitution institue un présidentialisme hyper-concentré : le président concentre l’ensemble de l’exécutif et gouverne sans contrepouvoirs effectifs. La mort de Léon Mba, l’ascension d’Omar Bongo, et l’instauration du parti unique en 1968 parachèvent ce glissement vers une omnipotence présidentielle assumée.
En 1990, la Conférence nationale ouvre le multipartisme. Pourtant, la Constitution de 1991, bien qu’instaurant un régime semi-présidentiel, ne fonde pas une nouvelle République : elle est adoptée par les parlementaires, non par le peuple souverain. Sous Ali Bongo, à travers les réformes de 2011 et 2018, le présidentialisme est renforcé au détriment du Parlement.
Le coup d’État militaire du 30 août 2023 suspend certes la Constitution, mais sans abroger l’ordre ancien ni instituer un nouveau pacte démocratique.
Ainsi, de 1960 à 2023, malgré les apparences de changements, le Gabon reste enfermé dans la matrice de sa Première République : chaque transformation fut un simple ajustement, jamais une refondation.
Le référendum de 2024 : une consultation sans rupture
Le référendum du 16 novembre 2024 aurait pu être l’acte fondateur d’une République nouvelle. Mais il a été profondément vicié dans sa conception et son exécution. La Constitution soumise au vote, rédigée par une commission ad hoc, n’a fait l’objet d’aucun débat public sérieux. Aucun effort pédagogique n’a été consenti pour éclairer les citoyens. La campagne référendaire, transformée en plébiscite autour de Brice Oligui Nguema, a réduit le scrutin à une validation politique, non à un choix constitutionnel éclairé.
Le nouveau texte renforce la présidence : suppression du Premier ministre, nomination et révocation du vice-président par le chef de l’État, affaiblissement du Parlement. Loin d’instaurer un nouvel équilibre des pouvoirs, la réforme prolonge la logique ancienne d’un exécutif prédominant.
Sans débat libre, sans choix éclairé, sans véritable refondation, la nouvelle Constitution n’inaugure pas une République nouvelle.
Une justice encore sous tutelle, des libertés toujours encadrées : la preuve par l’effectivité
Si le Gabon avait fondé une République nouvelle, l’on y verrait triompher la séparation effective des pouvoirs, l’indépendance de la justice, et l’exercice plein des libertés fondamentales.
Or, malgré l’affichage constitutionnel, la justice reste sous tutelle : le président de la République continue de présider le Conseil supérieur de la magistrature, conservant un pouvoir de nomination déterminant. La séparation réelle entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire demeure une fiction institutionnelle.
Les libertés publiques, proclamées mais bridées et jamais traduits en textes de loi, restent soumises à des restrictions de fait : liberté d’expression contrôlée, médias littéralement sous pression, droit de manifestation encadré. Le climat de liberté est fragile, et la peur des représailles demeure.
Dans un tel contexte, l’absence de contrepouvoirs effectifs interdit de parler d’une rupture républicaine. Il ne suffit pas d’écrire les libertés dans un texte, encore faut-il qu’elles vivent dans la pratique. Au Gabon, elles survivent sous condition, comme des promesses suspendues.
Le Gabon reste dans sa Première République
Depuis 1960, la République gabonaise a changé d’apparence mille fois, sans jamais changer de nature : Le présidentialisme renforcé sous Mba et Bongo ; le multipartisme sous contrôle depuis 1990 ; les révisions constitutionnelles centralisatrices sous Ali Bongo ; et la transition militaire sans proclamation de rupture malgré le référendum de 2024, illusion de consultation populaire.
La Première République gabonaise est une République caméléon : elle mute, elle s’adapte, elle survit. Tant qu’un événement politique majeur n’aura pas proclamé la fin de cet ordre ancien et institué une nouvelle République par un acte du peuple libre, le Gabon restera enfermé dans son premier destin inachevé.

1 Commentaire
Très bien.Je me posais bien la question sur ce folklore.
Il ne faut pas induire le président OLIGUI et le peuple dans des erreurs qui feront du Gabon un sujet de moquerie internationale. La France est à sa 5ème république, le Gabon aussi ? Trop facile.
OLIGUI NGUEMA n’a pas besoin de faux slogans. il faut le laisser travailler au développement du pays et non le maintenir en campagne électorale permanente.