Comme si le putsch était devenu un mode légal d’accession au pouvoir, Paul-Henri Damiba a prêté serment devant le Conseil constitutionnel. Fouler au pied les règles de l’Etat de droit est symptomatique d’un glissement vers l’arbitraire.

Arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, Paul-Henri Damiba a prêté serment devant le Conseil constitutionnel. Comme si le putsch était devenu un mode légal d’accession au pouvoir, similaire à une élection au suffrage universel direct. Comme si l’armée était un acteur politique comme un autre. © D.R.

 

L’investiture de Paul-Henri Damiba comme président du Burkina Faso a suscité bien des questions. Expression de sa volonté de se doter d’un semblant de légitimité, ou tout au moins d’un vernis de légalité, cette décision dénote du peu d’attachement des institutions à l’Etat de droit. Au-delà, elle souligne une gêne, une impréparation et une incapacité à esquisser un chemin. Depuis trois semaines, le peuple burkinabé est le témoin d’un drôle de tango : suspension puis restauration de la Constitution, dissolution puis remise en place des institutions, publication d’un Acte fondamental, création d’une commission chargée d’élaborer une charte et un agenda de la transition. Tout se passe comme si le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) ne savait où aller ni comment aborder la situation d’exception née de son irruption dans la vie politique.

Signaux alarmants

Malgré ces tâtonnements, les forces sociales font montre d’indulgence voire de bienveillance à l’égard de la junte militaire, partis politiques et organisations de la société civile ayant claironné leur disposition d’esprit à «accompagner le processus de refondation de l’Etat». A leurs yeux, une «priorité indiscutable» le justifie : la «sécurisation du territoire national.» Et tant pis si la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) a suspendu le Burkina Faso de ses instances ! Tant pis si on ne sait toujours rien du traitement réservé aux 2 millions de déplacés à l’intérieur des frontières nationales ! Tant pis si rien n’est dit sur le statut des chefferies traditionnelles et leur nécessaire dépolitisation ! Tant pis si les capacités opérationnelles de l’armée nationale sont à peine évoquées ! Tant pis s’il semble difficile de nouer ou consolider les partenariats quand la légitimité du pouvoir est sujette à caution !

Si une forme d’union sacrée s’est créée autour du MPSR, on peut néanmoins se faire du souci pour l’Etat de droit. Au fil des événements, des signaux alarmants s’accumulent.  De ce point de vue, la cérémonie du 16 février courant n’a rien d’encourageant. Encore moins d’engageant. Bien au contraire. Arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, Paul-Henri Damiba a prêté serment devant le Conseil constitutionnel, jurant «de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution.» Comme si le putsch était devenu un mode légal d’accession au pouvoir, similaire à une élection au suffrage universel direct. Comme si l’armée était un acteur politique comme un autre. Comme si elle avait le statut d’institution constitutionnelle. Comme si la Constitution lui reconnaissait un quelconque rôle politico-institutionnel.

Terreau d’une instabilité institutionnelle chronique

Certes, l’Acte fondamental du 29 janvier 2022 a redéfini les règles du jeu. Certes, son article 28 confère au président du MPSR les attributions du président de la République. Certes, le Conseil constitutionnel a pris soin de constater la vacance du pouvoir. Certes, l’article 157 de la Constitution l’autorise à «se saisir de toute question relevant de sa compétence». Certes, le contexte ne laissait pas beaucoup de choix. Mais l’investiture de Paul-Henri Damiba relève de la pure prestidigitation juridique. A y regarder de près, elle peut même constituer le terreau de conflits à venir voire d’une instabilité institutionnelle chronique. Comment faire respecter la Constitution quand un texte à valeur douteuse se place au-dessus d’elle ? Pourquoi ne pas avoir prêté serment sur cet Acte fondamental ? Comment condamner, s’opposer ou prévenir toute prise du pouvoir par des voies extraconstitutionnelles quand on en a validé d’autres en détournant les lois de leur objet ?

Dans la marche vers la liberté et le progrès social, l’Etat de droit est un sujet trop structurant pour être sacrifié au nom d’intérêts individuels. C’est un objectif trop important pour être trituré au gré des circonstances. Autrement dit, un peuple en quête de sécurité et de prospérité ne peut s’autoriser ou cautionner les entorses répétées à la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes. Or, depuis son arrivée au pouvoir, Paul-Henri Damiba n’a eu de cesse de fouler au pied ces deux notions : en publiant un Acte fondamental, il s’est érigé en législateur voire en constituant, s’attribuant en prime les compétences de l’exécutif ; en plaçant cet Acte fondamental au-dessus de la Constitution, il a créé un ordonnancement juridique connu de lui seul. N’en déplaise à ses soutiens, tout ceci est symptomatique d’un glissement vers l’arbitraire.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. SERGE MAKAYA dit :

    Oui au coup d’Etat dans certains pays. Mais pas pour s’asseoir (s’accrocher) au pouvoir. L’idéal pour ces militaires serait de CONVOQUER un grand RASSEMBLEMENT NATIONAL pour un grand toilettage du pays. Mais pas s’asseoir au pouvoir. Quitte à le partager en équipe (5 ou 6 personnes). Bref, ce que je voudrai souligner ICI, c’est de revoir le mode de fonctionnement d’un état dans nos pays d’Afrique. un seul homme à la tête du pays avec tous les pouvoirs, c’est vraiment révolu, dépassé, obsolète…

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