Pour l’avenir, les dirigeants feraient mieux de ne pas souffler sur les braises en se gardant de toute récupération politicienne.

Les hommes politiques mesurent combien le sport peut contribuer à ripoliner leur image voire à les rapprocher des masses. Mais on ne saurait les laisser l’instrumentaliser, l’exploiter à leur bénéfice, au risque de faire le lit à la crétinisation de masse, à l’intolérance et, au rejet de l’autre. © Montage Gabonreview

 

Le 07 février courant, Macky Sall a fait le déplacement de l’aéroport, y invitant l’ensemble de la classe politique, avant de l’exhorter à «mettre de côté» toute forme de «rivalité.» Décrivant les Lions de la Téranga comme de «vrais soldats», il leur a adressé des félicitations mêlées de gratitude. C’est dire si le président sénégalais s’est voulu emphatique, appelant à l’unité tout en déplaçant le débat sur le terrain de l’honneur et de la fierté nationale. Quatre années plus tôt, son homologue camerounais n’avait pas fait moins. Usant d’une grandiloquence sans égale, Paul Biya avait lancé aux Lions indomptables : «Comme nos vaillants soldats qui, chaque jour à nos frontières, sont prêts au sacrifice suprême pour défendre la patrie, vous n’avez pas hésité à répondre à l’appel du drapeau.»

Nationalité sportive, nationalité administrative, citoyenneté

Pour de nombreux chefs d’Etat, le football est un marqueur identitaire. Est-ce conforme aux valeurs et lois du sport ? On ne saurait l’affirmer. Conformément au règlement, de nombreuses sélections font appel à des binationaux ou à des joueurs aux nationalités multiples. Or, les régimes juridiques et situations personnelles sont très variés : proscrite au Cameroun, en Guinée équatoriale ou en République démocratique du Congo (RDC), la double nationalité est réservée aux personnes naturalisées dans la loi sénégalaise. Dès lors, on peut s’interroger sur le statut de certains acteurs de la 33è édition de la Coupe d’Afrique des nations (Can), notamment Eric-Maxime Choupo-Moting, Harold Mokoudi, James Léa Siliki, Esteban Obiang Obono, Bouna Sarr, Kalidou Koulibaly, Abdou Diallo ou, Nampalys Mendy… Ces footballeurs ont-ils renoncé aux nationalités européennes avant de rejoindre les équipes africaines ? Ont-ils été naturalisés en perspective Can ? Nul ne peut le croire.

Pourtant, ils ont bien défendu les couleurs du Cameroun, de la Guinée équatoriale et du Sénégal. Ce seul rappel commande de faire la différence entre nationalité sportive et nationalité administrative. Selon le Tribunal arbitral du sport (TAS), ce sont «deux ordres juridiques différents, l’un de droit public, l’autre de droit privé, qui ne se recoupent pas et n’entrent pas en conflit.» Autrement dit, on peut évoluer pour un pays sans en détenir la nationalité administrative. Encore moins de la citoyenneté. On le voit avec Cédric Bakambu et Jérémy Bokila. De notoriété publique, ils ne sont pas citoyens congolais. Respectivement de nationalité française et belge, ils jouent néanmoins pour… la RDC. Mieux, on peut être citoyens du même pays, avoir la même nationalité administrative, et s’affronter au plan sportif. On le voit avec le Royaume-Uni : en Coupe du monde comme à l’Euro, l’Angleterre a déjà eu à batailler contre l’Ecosse, le Pays de Galles ou l’Irlande. Il en va de même entre les Etats-Unis et Porto Rico, reconnu comme un territoire américain.

Confusion entre chauvinisme et patriotisme

Si, comme le disent les Nations-unies, «le football est une école de la vie pour les jeunes», il faut revenir aux fondamentaux. Certes, le football apparaît comme un moyen de pousser les peuples à oublier leurs difficultés. De par le monde, les hommes politiques en ont conscience. Ils mesurent combien le sport peut contribuer à ripoliner leur image voire à les rapprocher des masses. Mais on ne saurait les laisser l’instrumentaliser, l’exploiter à leur bénéfice, au risque de faire le lit à la crétinisation de masse, à l’intolérance et, au rejet de l’autre. Et pour cause : dans l’effervescence suscitée par les compétitions sportives, la confusion entre chauvinisme et patriotisme est savamment entretenue. Or, ces deux notions ne renvoient pas à la même réalité : si la première traduit une admiration inconditionnelle et exclusive pour son pays, la seconde peut se définir comme l’attachement à des valeurs et intérêts partagés. Autrement dit, l’une est la forme irréfléchie, outrancière et agressive de l’autre.

Comme en atteste la tonalité des échanges entre supporters, la 33è édition de la Can a donné libre cours à certains comportements de cette nature. De cette exaltation de la supériorité suintait un mélange de haine mal contenue et de violence gratuite. Comme si la déraison était devenue la norme. Comme si l’abêtissement était une fatalité. Pour l’avenir, les dirigeants feraient mieux de calmer les passions. A cet effet, ils doivent éviter de souffler sur les braises en se gardant de toute récupération politicienne. Après tout, la prochaine compétition doit démarrer le 23 juin 2023, c’est-à-dire dans 16 mois, à Abidjan. Or, si la Côte d’Ivoire a été la cible de certaines outrances, ses supporters ont, eux aussi, jeté de l’huile sur le feu. Au mépris du football et de ses valeurs : discipline, respect et solidarité.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Serge Makaya dit :

    Merci ma fille Roxanne pour ton article. Bref, si on pouvait aussi inaugurer une forme de compétition inter quartier ( non pas de foot) pour récompenser le plus BEAU ET PROPRE quartier de la capitale par exemple, ce serait aussi une bonne initiative qui occuperait de manière positive les habitants de nos quartiers à faire en sorte que leur quartier puisse remporter le premier PRIX du plus BEAU ET PROPRE quartier de l’année. A réfléchir comme initiative. Au moins le prix servirait à l’ensemble des habitants du quartier vainqueur. Comme quoi, il ne devrait pas seulement avoir le football pour UNIR les Gabonais.

  2. ACTU dit :

    Analyse assez pertinente.
    Mais ce qu’il faut savoir c’est que c’est celui finance qui donne des ordres. Il faudrait donc imaginer un sport qui se passerait de toute forme exogène de financement qu’elle vienne des marchés boursiers ou des gouvernements.

    Le football et le sport en général sont politise depuis très longtemps. Il souviendra par exemple que Adolf Hitler de son temps a aussi utilisé le sport a de fins idéologiques et politiques, pendant les jeux Olympiques de Berlin organises du 1er au 16 aout 1936.Lorsque l’athlète noir Américain ; Jesse Owen avait remporté la course des 100m et qu’Adolf Hitler quitta la tribune et refusa de serrer la main du champion Owen (le 13 Aout 1936)

    Dans un autre registre concernant le Football. Le Royaume-Uni bien qu’étant un seul pays a réussi l’exploit d’inscrire et de faire compétir 4 équipes pour son propre compte (Angleterre, Ecosse, Irlande du Nord et Pays de Galles). Ceci est fait et entretenu pour donner le maximum de chance au Royaume uni et par effet d’induction a toute l’Europe occidentale.

    En dehors de ces décisions politiques, vivant dans un monde globalisé avec des joueurs multinationaux, chaque joueur va jouer là où il s’y sent le plus proche sans y être forcé.
    Une fois de plus l’exemple doit venir des instances internationales du football qui disent et font tout le contraire de ce qu’elles clament.
    En Afrique on est encore relativement plus honnêtes. Que ces instances internationales du sport commencent à les faire respecter en Europe, Amérique… avant d’imposer cela à l’Afrique.
    Ceci nous rappelle la problématique du réchauffement climatique ou les plus gros pollueurs se trouvent en Occident et l’on demande à l’Afrique qui aujourd’hui a besoin de s’industrialiser d’appliquer les mêmes mesures. Bref…Le Monde est dirigé selon une fonction à géométrie variable.

  3. MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. Pas loin de nous à Gabao sommes nous surpris lorsque la plupart de clubs ont comme dirigeants « le soleil en 2″(comprenne qui pourra). Par ailleurs, l’institutionnalisation à l’époque de la coupe du Gabon ou de l’indépendance (c’est selon a été pour les penseurs de cette initiative) un moyen de consolidation de l’unité nationale sauf qu’a y regarder de près de nos jours le football au pays ne concerne que 4 ou 5 provinces. Plus encore dans l’esprit de nombreux supporters des panthères (fait vécu) lorsqu’un joueur marque un but c’est d’abord le satisfecit ethnique qui est exprimé en ces termes  » c’est grâce à un f… ou un P… ou un NZ… que le but a été inscrit ». Et pour finir comment interpréter les uniques deux bons résultats en 50 ans du Gabon: udeac 85 et les 1/4 de finale sous Dacosta Soares ?Amen.

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