Avocat au barreau de Nantes et maitre de conférences à la faculté de droit de la même ville, Augustin Emane est un spécialiste de la protection sociale et des questions de santé. Grand prix littéraire d’Afrique noire en 2013 avec son livre sur le Dr Schweitzer, il se prononce ici sur le contentieux et la crise post-électoraux au Gabon.  
Emeutes postelectorales Gabon 2016
 
Augustin EMANEDepuis hier, je suis scotché devant mon ordinateur visionnant et revisionnant toutes ces images qui me parviennent. Par la magie d’internet, chacun de nous devient un producteur d’informations. D’habitude je me tiens en dehors de ces débats. Je ne suis pas un acteur politique, et je ne fais même pas partie de la société civile. De plus, comme beaucoup de Gabonais, je considère que le champ politique est phagocyté par le PDG, et qu’il n’y a pas lieu à ce que je considère comme des querelles de famille. Les principaux candidats à cette présidentielle sont tous issus de ce parti. D’un côté et majoritairement d’anciens hiérarques ayant fait partie parfois des courants les plus conservateurs de ce parti, et de l’autre côté l’actuelle direction de ce parti qui, autrefois se qualifiait de « rénovateurs ». J’aurais pu me murer dans ce silence encore plus longtemps si je n’avais pas vu ce corps gisant sur le macadam de la Voie expresse, et si j’avais pas continuer à voir ces gens en colère et déterminés, affronter les forces de l’ordre, ou même si je n’avais pas continué à entendre le son de ces détonations d’armes qui reviennent régulièrement dans tous ces films.
Quel que soit le camp politique, la manipulation est souvent de mise sur internet surtout quand il s’agit de photos. Mais là c’est différent, ce sont des lieux que je connais, c’est Libreville, c’est Port-Gentil. Les images sont parfois insupportables, mais je me suis dit qu’il me fallait les regarder jusqu’au bout et encore, j’ai exclu les photos. Chacun peut aller voir ces images sur les murs de nombreux compatriotes. Elles ont été mises en ligne avant que le débit d’internet ne soit ralenti dans la nuit de mercredi à jeudi. On peut donc craindre une horreur encore plus insoutenable si on s’en tient à ce que les médias rapportent depuis lors. Mais pourquoi ces détonations, pourquoi ce mort et qui était ce mort ?
En pareille occurrence, les explications sont nombreuses. L’une d’elle largement relayée par certains est de considérer qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil gabonais. A chaque élection, il y a contestation des résultats. Hier, jeudi 1er septembre j’en ai entendu une autre dans l’émission « Le Débat » sur la chaine France 24. L’un des soutiens de M. Ali Bongo s’est cru autorisé, parlant des événements du Mercredi 31 août, de désigner des « agitateurs » et une « légion étrangère » comme en étant les responsables. Serait-ce donc parmi ces agitateurs et cette légion étrangère que se trouvent les morts que nous déplorons aujourd’hui, puisque même le ministre de l’intérieur reconnaît qu’il y a trois morts à Libreville ?
N’étant pas obligé de suivre ces avis et explications, j’en ai une autre. Non ceux qui sont morts, pas plus que les manifestants depuis deux jours dans plusieurs villes du pays ne sont pas un groupuscule qui veut s’emparer du pouvoir au Gabon ! Il ne s’agit pas davantage de personnes manipulées par un quelconque parti de l’étranger. Ce sont comme vous et moi des citoyens gabonais qui aspirent à une chose qui est à la base même de toute démocratie : le respect de la volonté des électeurs. Cette revendication est récurrente au Gabon depuis de nombreuses années. Et, elle n’est nullement liée au fait que les perdants refuseraient toujours le résultat des urnes. Elle tient avant tout et pour beaucoup à l’opacité qui entoure le processus électoral, ce que n’a pas manqué de souligner encore dernièrement la mission de l’Union Européenne. Comme le faisait remarquer un ancien baron du PDG passé comme beaucoup d’autres à l’opposition : « Ce n’est pas de gagner une élection qui est difficile pour l’opposition, c’est de réussir à faire accepter ce résultat par le pouvoir en place qui relève de la mission impossible ». Force est de constater qu’une fois de plus, et une fois de trop, cela se vérifie en 2016. Je ne reviendrais pas sur la curiosité constituée par le fait qu’il faut plusieurs jours pour avoir le dépouillement des bureaux de vote, et particulièrement dans la province du Haut-Ogooué. C’est certainement la situation géographique de cette entité administrative qui explique cela… encore que ! Mais comment expliquer en effet, en toute transparence, puisque ce mot est employé depuis quelques jours avec insistance, les chiffres qui ont été servis mercredi dernier et qui défient le bon sens et insultent l’intelligence de chacun. Depuis deux jours, je cherche dans le monde une élection qui aurait enregistrée un tel taux de participation, mais je n’arrive pas à en trouver…hormis dans certains environnements politiques singuliers, comme ceux que l’on a connus au Gabon avant 1990. Ce qui paraît curieux, et suscite une suspicion légitime c’est que les mêmes chiffres sont particulièrement têtus. Lorsque l’on prend en compte la ville de Moanda, le seul taux d’abstention relevé dans cette localité, ne permet pas d’obtenir le taux de participation attribuée à l’ensemble de la province du Haut-Ogooué.
A ce stade de la réflexion, on me reprochera certainement un parti pris ou mieux encore de ne pas vivre au pays et de ce fait d’ignorer les fameuses réalités locales. L’une d’elles et je l’entends régulièrement serinée depuis deux jours est que la province du Haut-Ogooué a toujours enregistrée des taux de participation exceptionnels. Cet argument vaut ce qu’il vaut, mais constitue malheureusement un aveu cruel des turpitudes passées surtout lorsqu’on le rapproche de l’autre explication qui fait florès. Le candidat Jean Ping aurait traité de cafards ses compatriotes du Haut-Ogooué, ce qui reste à démontrer… lesquels dans un réflexe d’indignation ou de crainte se sont tous précipités dans les bureaux de vote, pour choisir le bulletin de vote de celui qu’ils estiment être le seul à même de les protéger. Le mot repli identitaire a ainsi été remis au goût du jour. En 2009, il avait servi à culpabiliser et à désigner à la vindicte, les membres d’un groupe ethnique votant pour un candidat dissident du PDG. Aujourd’hui, le repli identitaire sert à justifier l’injustifiable comme si tous nos compatriotes du Haut-Ogooué ne raisonnaient qu’en termes d’appartenance ethnique. J’ai entendu un collègue de l’UOB fournir cette analyse jeudi matin sur RFI. C’est faire injure et de la manière la plus ignoble qui soit à l’intelligence de ces compatriotes que de penser cela que de le dire et de tout faire pour le faire accroire. Ceci est faux, archifaux, tout comme il était faux en 2009 de penser qu’un Fang ne pouvait voter que pour Mba Obame, et ce, parce qu’il était Fang comme lui.
Si c’est donc le repli identitaire qui explique le taux de participation et / ou le score à la soviétique soit disant réalisé aujourd’hui comment expliquer alors les taux de participation élevés par le passé ou les scores élevés de M. Jean Ping dans le Nord, dans la Ngounié ou dans la Nyanga ? aujourd’hui comment expliquer alors les taux de participation élevés par le passé ? Je crains malheureusement de ne pas avoir de réponse à cette question avant longtemps. De même, je ne prendrai même pas la peine d’évoquer les fluctuations qui touchent au nombre d’habitants de cette province, des compatriotes plus savants que moi en la matière comme M. Mays Mouiss nous ont longuement entretenu de ces bizarreries. Dans cette volonté de vouloir expliquer l’inexplicable, les connaisseurs des réalités locales oublient un fait qui lui aussi un têtu. Si la province du Haut-Ogooué a une singularité, elle ne la tient pas des caractéristiques ethniques de sa population, mais plutôt au fait que nous sommes ici dans une des provinces ayant une activité industrielle. De ce fait, et c’est un élément qui n’est jamais assez relevé, cette province est beaucoup plus cosmopolite qu’on ne le pense. J’ai lu les analyses des uns et des autres sur les listes électorales et sur le fait qu’au Gabon, on ne votait pas obligatoirement à son lieu de résidence habituelle. Ceci est incontestable. Pour autant, le recensement répond à une autre logique. On est bien recensé à son lieu de résidence. La population du Haut-Ogooué du fait de la présence de grandes entreprises dans cette province et de nombreux services déconcentrés de l’Etat accueille donc des compatriotes venant d’autres provinces du Gabon. On ne peut pas sérieusement soutenir que toutes ces populations dites flottantes dans le jargon gabonais, se font nécessairement inscrire dans leurs localités de naissance.
Ces morts et ces blessés que l’on enregistre et que nous ne devons pas oublier, ces ponts qui sont bloqués à Lambaréné ou à Ebel Abanga ne sont que la traduction d’une même réalité tenace : le rejet d’un système que certains estiment à tort ou à raison oppressant, qui a fait son temps, et qui, n’est pas capable de proposer aux citoyens gabonais, un nouvel horizon crédible, et une méthode de gouvernement innovante.
Dans le passé récent, on a pu le vérifier aisément. André Mba Obame qui pendant le règne d’Omar Bongo a été l’incarnation de ce régime n’a pas eu besoin de plus d’un mois pour être considéré comme un libérateur par ses critiques les plus féroces en 2009. Jean Ping, René NDemezo’o, Alexandre Barro Chambrier, et au mois de mars dernier Guy Nzouba Ndama ont été considérés comme des héros du seul fait qu’ils se sont mis à dénoncer l’absence d’orientation claire et une gouvernance « acceptable » par eux, à la fois du PDG et du pays. Pour nombre de Gabonais, la formule peut être la suivante : « Dès que vous sortez du PDG, on oublie tout » Combien de temps va durer la situation que nous connaissons, nul ne peut le dire, mais personne n’a intérêt à ce qu’elle perdure. La solution est nécessairement politique, et ceux qui n’ont de cesse de rappeler des règles de droit, taillées sur mesure, et que malgré tout, ils violent quand même allègrement, devraient faire preuve de plus de modération dans leurs propos. Une partie des Gabonais ainsi que l’ensemble de la communauté internationale réclame une chose simple : la transparence. Celle-ci passe par un éclairage qui puisse être compris par tous sur ce vote dans le Haut-Ogooué et impose un recomptage des votes, bureau par bureau. J’entends d’ici la réponse régulièrement donnée par nos puristes juristes qui est de dire : la loi ne le prévoit pas ! Et alors serait-on tenté de leur répondre ? La loi interdit-elle de recompter les voix ? Non, et encore non ! Le recomptage est donc possible !
Alors, proclamons cette exigence pour que ceux qui sont morts ne soient pas morts pour rien et pour que de là où ils se trouvent, ils sachent que leur revendication n’était pas vaine, et que derrière eux, le peuple gabonais a pu imposer à jamais, cette règle simple qui veut qu’en démocratie, on respecte la voix du peuple. Ces morts étaient des frères, des enfants de certains d’entre nous, afin de ne pas les oublier il importe également que leurs identités soient révélées afin qu’ils reçoivent l’hommage qui leur est dû.
Augustin EMANE
 
 
 

 
GR
 

9 Commentaires

  1. LeCaiman dit :

    j’en ai les larmes aux yeux.
    Tuer nos enfants pour assouvir la soif de se maintenir au pouvoir!!!
    Je suis meurtri

  2. SEMA dit :

    Voila une réflexion digne.Que les puristes juristes comprennent et admettent qu’un principe basique de droit rappelle que ce qui n’est pas formellement dit n’est pas interdit,relevait un juriste comme eux.
    Le peuple exige le re-comptage,la communauté internationale aussi.

  3. NYAMA dit :

    EMANE,
    Nous sommes meurtris ! Je ne dors plus la nuit, ALI BONGO assassine nos enfants, nos frères et soeurs, les mères et pères de famille.
    Mobilisons nous pour nos morts !
    Réflexion juste.

  4. Gaboma dit :

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    <>
    Tout est ici résumé. Mais quand on vit dans un pays dominé par des individus d’une moralité totalement corrompu. Ali, Pascaline, Mbourantsuo. Je ne sais même pas comment cette dernière qui n’est même pas un modèle en terme de moralité pour nos jeunes filles a pu faire tout ce temps à la tête de cette institution. Gabon pays de la honte : on devient président de la CC à vie en faisant de la prostitution de luxe.

  5. mbondobari dit :

    Très cher Augustin,
    Je te remercie infiniment pour cette prise de parole. Nous sommes tous meurtris par ces images de morts et de dévastation. Il y aura un avant et un après 31 août 2016. Tu as la particularité de bien connaître certains théoriciens de l’actuel régime, qui la semaine dernière, passaient d’un média à un autre pour faire croire à la communauté internationale qu’il y a une particularité altogovéenne. Tes amis, nos amis, des Brandstifter en puissance, au mépris du nombre de morts, s’entêtent dans une logique extrêmement dangereuse, avec des arguments qui se passent de tout commentaire, à construire une identité altogovéenne. Comme s’ils étaient prêts à accepter que le Gabon sombre dans le chaos pour préserver leurs privilèges, ils ont servi au monde entier dans un jargon des plus exécrables l’altogovéen stigmatisé par les autres communautés, « le cafard se déplaçant en bande », réactionnaire et refusant toute inscription dans la modernité. Quelle histoire ! Il y a deux ou trois semaines, je répondais à un journaliste de La Loupe que j’étais fier d’être altogovéen, mais que mon identité ne reposait pas sur cette origine. Je suis un obamba né chez les nzebi, je suis Gabonais et citoyen du monde comme disait Schweitzer. Que l’on demande aux altogovéens de s’exprimer librement et le monde entier en sera édifié. Le Haut-Ogooué n’est pas cette mythologie bon marché que des mythomanes essaient de vendre au monde. Cette province regroupe de nombreux groupes ethniques (Obamba, Ndumu, Teke, Nzebi, Bakanigui, etc.) et une forte population originaire des autres provinces et d’ailleurs. Dire qu’il y a une homogénéité ethnique, sociologique et culturelle et donc politique, relève d’un grossier mensonge. Dire, comme je l’ai entendu sur France 24, que Ping aurait traité les altogovéens de cafards et que c’est ce qui expliquerait les honteux 99,93% de taux de participation est un dangereux mensonge, digne d’un Goebbels. Myboto, Ngoulakia, Andzembé, Yangari, Nguiabanda sont-ils altogovéens ? La liste est longue. Or ces personnalités ont ouvertement soutenu la candidature de M. PING. Non, les altogovéens n’ont pas besoin d’un traitement exclusif, ce n’est pas un Etre à part. Ils vivent les mêmes problèmes que les autres compatriotes, ils subissent les mêmes injustices, ils ont leurs nantis et leur nécessiteux. Que ceux qui le disent fassent un tour à Okondja, à Mounana après le départ de la COMUF, à Bakoumba après l’arrêt du téléphérique. Le Haut-Ogooué se trouve aujourd’hui comme hier honteusement instrumentalisé par des gens qui n’ont qu’une chose en tête la conservation du Pouvoir par tous les moyens, même les plus ridicules et les plus violents. Le Pouvoir est devenu une fin en soi. C’est un choix qu’ils doivent assumer. Mais que ce choix ne se fasse pas au détriment d’une communauté.

  6. Rhody Junior dit :

    Merci Monsieur… Vous avez tout dit. Mais engagez vous s’il vous plaît… On a désormais besoin de l’aide de tous. Plus d’indifférence… On doit tous lutter.

  7. olame dit :

    Excellente analyse qui laisse comprendre à nos juristes et aux détenteur de la science infuse locale qu’ils ne sont pas des génies encor que…

  8. juan dit :

    Amen, car cette oraison vient probablement des profondeurs du coeur de celui qui l’a écrit. Le Gabon n’est la propriété de personne. Ce pays dont la Capital est Libreville, (première ville d’esclaves libérés) ne peut être le symbole d’une dictature et d’assassinats populaires.
    Si pour beaucoup de nos gouvernants, le besoin d’un enrichissement effréné dépassent toute raison, et que la soif du pouvoir ne peut s’étancher que par le sang des innocents, ils sont sans oublier qu’aucune dictature ni asservissement n’a jamais triomphé sur aucun peuple.
    la servitude de toutes les grandes puissances, de tous les grands dictateurs ne portent que des marques éphémères. Car Dieu le créateur est le premier garant du libre arbitre, si non Barabasse n’aurait jamais remporté le vote face à Jésus.
    Demain tous ces dictateurs et pyromanes sociaux vont nous servir le plat de la miséricorde. Pourtant il est encore tant de se repentir et éviter plus de mort à ce pays.
    Dire que le Haut-Ogooué a voté Ali a 98% est véritablement une injure pour les souffrances de ce peuple dont j’ai, 30 ans durant côtoyé la misère et la pauvreté pour le plus grand nombre d’entre eux. Allez à Lékey, Saye, Aboumi, Kabala et vous me direz lorsqu’un peuple dit présidentiel doit se taper 20km pour puiser de l’eau dans un ruisseau insalubre, ou se trouve alors les privilèges tant vanté par ceux qui ignore leur misères. Les gabonais souffrent tous des mêmes maux, et on en partage la misère et le mépris des dirigeants qui en ont fait des sous-fifres.
    Si jamais la voix des urnes ne triomphe pas ce cette élection, par reconnaissance des disparus il sera nécessaire d’abolir le vote dans ce pays. Libre aux politiciens de nommer à leur bon vouloir, mais on se verra devant l’éternel. Et la il ne sera plus question de phrase du genre « Dieu ne nous a pas donné le droit de ceci ou de cela ».
    Alors repentez vous avant qu’il ne soit trop tard.

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