En prélude à la présidentielle de 2016, Jonathan Ndoutoume Ngome, enseignant-chercheur à l’Université Omar Bongo (UOB), a tenu à rendre hommage à celui qu’il considère comme un patrimoine national, en lui consacrant un livre intitulé «Vous entendrez parler de moi». Si la parution de l’ouvrage n’est annoncée que pour les mois qui viennent, l’auteur s’est prêté au jeu questions-réponses.

Jonathan Ndoutoume Ngome tenant le premier exemplaire du livre. © Gabonreview

Jonathan Ndoutoume Ngome tenant le premier exemplaire du livre. © Gabonreview


 
Gabonreview : Pourquoi le choix du titre «Vous entendrez parler de moi» ?
Jonathan Ndoutoume Ngome : Je pense, pour ma part, que c’est une des phrases les plus célèbres qu’André Mba Obame aura prononcées lorsqu’il part du ministère de l’Intérieur et à la veille de la présidentielle de 2009. Je n’ai donc fait que reprendre cette phrase.
Vue de la couverture du livre. © Gabonreview

Vue de la couverture du livre. © Gabonreview


En quoi cette phrase vous a-t-elle particulièrement touché ?
Cette phrase me touche parce que, tout ce qu’il a fait de 2009 jusqu’à sa disparition, on en a entendu parler. Or, rappelons-nous qu’il était l’une des personnes les plus haïes depuis 1984, lorsqu’il rejoint le Gabon, jusqu’aux années 1990 pendant lesquelles on l’accusait d’être le concepteur voire l’un des idéologues du système PDG (Parti démocratique gabonais, parti au pouvoir jusque de nos jours, ndlr); ce qui a contribué à lui attirer les foudres de la part d’une grande majorité des Gabonais mais aussi de la part des partisans de son propre parti politique, notamment de la hiérarchie du PDG, qui lui trouvait des facultés de manipulateur et de fin stratège politique. Et finalement, André Mba Obame a pu dribbler tout le monde, et avoir la confiance du chef de l’Etat de l’époque. Mais lorsqu’il sort de ce régime, donc après la disparition d’Omar Bongo, et qu’il se présente désormais comme candidat à la succession du défunt président de la République, personne ne vendait chère sa candidature. Dans le même temps, on s’est vite rendu compte qu’en l’espace de 14 jours, il a pu refaire sa côte de popularité. Partir de la personnalité la plus haïe du pays à la personnalité la plus aimée, la plus supportée, je pense qu’il faut être André Mba Obame pour le faire.
Je me suis donc rendu compte qu’effectivement, il a fait entendre parler de lui. Dans le même temps, je pense que tout ce qu’il a pu faire lorsqu’il était encore bien portant, juste après la présidentielle de 2009, a mis le Gabon en émoi, c’est-à-dire, qu’il a fait trembler les autorités du pays, mais surtout qu’il a su toucher le peuple gabonais. Vous vous souviendrez notamment de ses obsèques. On n’a plus jamais vu un acteur politique depuis Léon Mba jusqu’à Omar Bongo mobiliser autant de monde après son décès. On parle de près de 200 000 personnes le jour de l’arrivée de son corps et tout au long des trois jours de présence de la dépouille à Libreville, avant de rejoindre le Woleu-Ntem et sa ville natale, Medouneu. Au regard de cette mobilisation, j’estime qu’il a véritablement fait parler de lui. Sans chercher à la comprendre davantage, j’ai simplement fait le choix de cette phrase comme le titre de mon ouvrage.
En quoi consiste ce livre ? Est-ce une tentative de réhabiliter André Mba Obame ?
Non, certainement pas ! A travers ce livre, j’initie un chantier à moyen et à long terme. On s’est rendu compte qu’il y a un certain nombre de personnalités politiques, sportives et culturelles gabonaises qui quittent définitivement le monde des vivants sans que leur mémoire soit réhabilitée et leur œuvre saluée. D’ailleurs, ces personnalités elles-mêmes n’aident pas beaucoup la postérité. J’ai donc initié ce chantier, qui consiste à écrire sur des personnalités qui ont fait l’histoire du Gabon. J’ai commencé par André Mba Obame. C’est un choix arbitraire, bien entendu. Mais j’ai des discussions avec Hilarion Nguema, un monument de la musique gabonaise, dont ses pairs, à l’instar du défunt Pierre Claver Nzeng Ebome, disait qu’il est le meilleur musicien gabonais de tous les temps. J’envisage de produire un ouvrage sur lui, comme sur d’autres qui devraient suivre.
Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse de vouloir vous accaparer de l’héritage politique d’André Mba Obame, comme tentent de le faire certains acteurs politiques de l’opposition, avec en ligne de mire la présidentielle de 2016 ?
(Rire) Non ! Moi, je suis un universitaire. Je suis spécialisé en géopolitique et en géostratégie. Je ne suis donc pas un acteur politique, bien que je prenne de plus en plus part à des débats politiques. Mais il ne me viendra pas à l’idée de me considérer comme un des héritiers de Mba Obame. J’estime d’ailleurs que c’est malsain de le faire. D’autant que chaque acteur politique doit construire son propre sous-bassement idéologique, conceptualiser ses idées politiques, plutôt que de se positionner derrière l’image d’un autre, fusse-t-il André Mba Obame. Il est vrai que j’ai été un de ses proches lorsqu’il a fait sa campagne, comme lorsqu’il a créé la radio Fréquence 3, alors que j’étais étudiant. Mais politiquement, je ne pourrais jamais me considérer comme son héritier. J’ai donc écrit mon ouvrage en ma qualité de simple universitaire. A la lecture de ce livre, vous vous rendrez bien compte qu’il y a des chapitres dans lesquels je m’en prends à Mba Obame, en mettant en exergue les erreurs politiques qu’il commises. Particulièrement dans la période allant de 2009 à son décès en 2015. Dans ce livre, je ne dis donc pas que du bien de lui. Je fais un travail d’analyse sur les faits politiques tel que je les ai vécus, tel que je les perçois et tel que je les interprète. Une analyse qui ne va pas forcément en faveur d’André Mba Obame.
Un exemple de reproche fait à André Mba Obame ?
Un des principaux reproches que je lui fais dans le livre, c’est d’avoir rassuré les Gabonais qu’on ne volera pas sa victoire, alors qu’il savait qu’à cet instant précis, ne faisant plus partie du pouvoir, il n’avait pas de levier diplomatique, il n’était pas soutenu par les lobbies extérieurs au niveau de la communauté internationale, et cela s’est vérifié lorsqu’il s’est réfugié avec son équipe au Pnud (siège du Programme des nations unies pour le développement à Libreville, ndlr). Là, on a senti que la communauté internationale ne voulait pas le suivre dans son aventure. Ce qui me fait dire qu’il a usé d’un bluff politique vis-à-vis du peuple gabonais.
Pensez-vous qu’avec une telle liberté votre livre soit bien accueilli par les sympathisants et dirigeants de l’Union nationale, dont Mba Obame a été un des piliers ?
Je n’ai pas écrit mon livre en prenant en compte les potentielles appréciations des acteurs de l’Union nationale. Je suis un universitaire, et j’ai commis cet ouvrage en fonction de mes aspirations scientifiques. D’ailleurs, Mba Obame n’appartient pas qu’à l’UN. Lorsqu’il se présente à l’élection présidentielle, ce parti politique n’existe pas. C’est plutôt l’UN qui est une émanation de Mba Obame, et non l’inverse. Et pour parler d’une manière triviale, je me fiche un peu de ce que penseront les acteurs de l’Union nationale. Mon ouvrage retrace la vie politique d’un homme pendant une période donnée.
Sur un autre plan. En tant qu’observateur et analyste de la vie politique gabonais. Quel avis vous faites vous sur la candidature unique souhaitée par certains au sein de l’opposition, en vue de la présidentielle de 2016 ?
Voyez-vous, je n’ai jamais cru à la candidature unique. Même si elle venait à se révélée vraie, c’est-à-dire, si l’opposition présentait une seule candidature en 2016, je pense que cela serait une erreur fatale pour un certain nombre de raisons.
Lesquelles par exemple ?
J’estime que dans une démocratie, l’élection est la rencontre d’un homme et d’un peuple, avec les idées politiques qu’il porte. Demander aux autres acteurs de ne pas présenter au peuple gabonais leurs aspirations, ce n’est plus de la démocratie. En parlant d’André Mba Obame, la même question s’est posée en 2009, lorsque certains, à l’instar de la chanteuse Annie-Flore Batchiellilys, avaient initié l’idée d’une candidature unique au sein de l’opposition. A cette proposition, Mba Obame avait répondu : «Durant toute ma vie je me suis battu pour la démocratie, donc pour le multipartisme. Aujourd’hui, je ne peux donc pas renier mes idées, en optant pour une candidature unique.»
Pour moi, le véritable problème ne réside pas dans la possibilité de parvenir à une candidature unique ou non, d’autant qu’il n’a jamais été prouvé que la multitude de candidats à une élection présidentielle est la cause de l’incapacité de l’opposition à accéder au pouvoir dans un pays. Pour moi, il convient simplement de dissocier l’élection des mécanismes d’accession au pouvoir. Au Gabon, le problème réside dans les mécanismes de reconnaissance des vrais résultats issus des élections. C’est ce qui fait défaut aujourd’hui. Prenons la présidentielle de 1993 pendant laquelle Paul Mba Abessole avait un certain nombre de challengers autour de lui. Or, Dieu seul sait quels ont été les vrais résultats de cette élection. Il me semble, à cet effet, que Mba Abessole était le véritable vainqueur de cette présidentielle. Prenons maintenant la présidentielle de 1998 et celle de 2005, au terme desquelles les résultats proclamés ont été sujets à de sérieux doutes. Pour la présidentielle de 2009, la communauté nationale, internationale et les services secrets français reconnaissent aujourd’hui que c’est Mba Obame qui avait été le vrai vainqueur. Aujourd’hui, le problème n’est donc pas dans une hypothétique candidature unique à l’opposition mais plutôt mais il l’est davantage dans les mécanismes d’acceptation et de publication des résultats d’élections politiques, pour que les vrais vainqueurs accèdent aux commandes de l’Etat.
 

 
GR
 

0 Commentaires

  1. le 9 dit :

    le dernier paragraphe de l’article est intéressant mais pas de proposition aux dits mécanismes. espérant que le livre en dira plus

  2. moukouambo dit :

    1993;Mba Abessole – 1998; Mamboundou – 2005;Myboto-2009;Mba aubame . et pourtant il y ‘avait une multitude de candidats à l’opposition . c’est dire que l’opposition gagnera en 2016. l’essentiel est que l’armée et la France respecte le choix du peuple souverain.

  3. IPANDY dit :

    J’aime lire des personne qui parlent avec le cœur comme vient de le faire monsieur Jonathan. Je crois que je vais certainement divorcé d’avec l’idée d’une candidature unique. Par contre en citant AMO, lorsqu’il s’est prononcé sur la candidature unique, il a oublié de dire qu’AMO avait fini par l’accepter. Il était face à Oye MBA mais ce poltron d’Oye n’a pas accepté les résultats des urnes. Il a meme nier qu’il y a eu un vote. Pour à la fin se rétracter à la dernière minute. Et Jonathan dit qu’AMO a bluffé. Ce n’est pas vraie. Lors de sa campagne il parlait de nouvelle espérance. Il croyait à sa victoire, et il a effectivement gagné l’élection. Il fallait qu’il emmène le peuple à croire à ça victoire d’ou la phrase » je n’accepterai pas qu’ont vole ma victoire ». J’aurai souhaité que le titre du livre soit » j’irai jusqu’au bout ». Il l’a fait, il est aller jusqu’au bout, il a perdu sa vie, laisser ses biens, et démontrer qu’il n’avait jamais oublié d’où il venait »fils de prolétaire »

  4. gabonn dit :

    je suis d’accord avec toi IPANDY

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