Surpris en plein atelier au Forum citoyen sur l’emploi organisé par le «Collectif des organisations de la société civile pour le développement et la lutte contre la pauvreté», ce consultant en gestion des ressources naturelles, ancien directeur de la valorisation et de la communication à l’Agence nationale des parcs nationaux, a accepté de nous entretenir sur le lien entre la gouvernance foncière et le développement agricole.

Franck Ndjimbi, consultant en gestion des ressources naturelles. © Gabonreview
Franck Ndjimbi, consultant en gestion des ressources naturelles. © Gabonreview

 

Vous venez d’animer un atelier sur le développement de l’agriculture et la question foncière. Pouvez-vous nous faire l’économie de votre prestation ?

Ma communication portait sur le régime foncier et les mécanismes d’attribution des terres aux producteurs gabonais. Il faut simplement partir du principe que la terre est le premier capital pour tout exploitant agricole. Si les mécanismes d’attribution des terres ne sont pas clairs, il ne saurait y avoir d’agriculture. Or, de plus en plus, on observe une tendance qui se développe à travers le monde : de grandes compagnies transnationales, multinationales viennent en Afrique pour acquérir des grandes superficies au détriment des paysans et exploitants agricoles locaux. Ce phénomène qui est connu sous le nom d’accaparement des terres, induit souvent des phénomènes tels que des conflits fonciers, une pauvreté croissante dans les villages, la conversion d’écosystèmes forestiers en terres agricoles, une perte des droits d’accès aux ressources naturelles et un détournement des ressources en eau. Il s’agit ici de voir comment notre régime foncier peut permettre de lutter contre ce phénomène d’accaparement des terres tout en favorisant le maintien du paysannat et le développement de la petite agriculture.

Franck Ndjimbi. © Gabonreview
Franck Ndjimbi. © Gabonreview

Le Gabon est, ou a-t-il déjà été victime de ce phénomène d’accaparement des terres ? Si oui pouvez-vous nous citer quelques acteurs qui se livrent à cela ?

Récemment une multinationale bien connue a été accusée de faire dans l’accaparement des terres au Gabon. Si la trop forte politisation de ce dossier a pollué le débat y relatif, on peut constater que les conditions d’installation de cette multinationale n’étaient pas toujours transparentes. A ce jour, les conventions qui la lient à l’État gabonais n’ont jamais été rendues publiques. Dans certains cas, l’Etat a attribué des  portions du territoire qui étaient mises en défends ou qui sont censées relever du domaine forestier permanent de l’Etat. Contrairement aux autres pays africains où le phénomène d’accaparement des terres a été observé, au Gabon il s’est moins agi de l’impact de la répartition des terres sur l’économie politique et les droits aux ressources, actuels et à venir, des populations locales que despratiques abusives qui ont eu cours lors du processus d’attribution des terres. Trop souvent, l’Etat a failli à sa mission qui est, entre autres, de faire respecter la loi.

Qu’entend-on par domaine forestier permanent de l’État ?

Dans la plupart des pays du Bassin du Congo, les lois forestières découpent le domaine forestier national en un domaine forestier permanent de l’État et un domaine forestier rural. Le domaine forestier permanent de l’État, aux termes de la loi gabonaise, est constitué des forêts domaniales productives enregistrées (forêts de production ou les concessions forestières) et des aires protégées. Le domaine forestier rural ce sont les terres qui sont laissées à la jouissance des populations. En clair, le domaine forestier permanent de l’État vise à maintenir de grandes superficies de terre sous couvert végétal, alors que le domaine forestier rural, lui, est destiné à accueillir les activités anthropiques dont les activités agricoles.

Pour le développement de l’agriculture, l’État n’a-t-il pas déjà entrepris une réforme des lois foncières?

Non. Le régime foncier du Gabon date des années après-indépendance. Les principales lois qui régissent l’attribution des terres au Gabon datent de 1963. Nous avons la loi 14/63 et 15/63. C’est vrai qu’on a parlé de révision de ces lois, mais les modifications qui ont été apportées étaient à la marge. Les principes restent les mêmes. On est toujours sous le principe de domanialité intégrale. On ne reconnaît toujours pas les droits fonciers légitimes des populations. Le régime de l’immatriculation est toujours en vigueur. Autrement dit, c’est toujours l’administration qui crée la propriété au lieu de la constater. Héritée du système Torrens, notre régime foncier traduit une vision colonialiste. Telle que pratiquée chez nous, l’immatriculation des terres n’existe pas en France et dans la plupart des pays occidentaux. Là-bas, la propriété est constatéepar des actes notariaux ou enregistrée dans un livre foncier.

Les questions afférentes au régime foncier gabonais ont toujours constitué un domaine de réflexion pour le développement agricole sans pour autant que les débats aboutissent à une vision claire. Au regard de cette situation peut-on s’attendre au sortir de ce forum à une prise de conscience effective de la question foncière par les autorités ?

Il me semble que les organisateurs de ce forum ont l’ambition, au terme de cette rencontre et sur la base de ses conclusions, d’engager une vaste campagne de plaidoyer et de lobbying pour essayer de faire évoluer les choses, notamment s’agissant des conditions d’attribution des terres aux exploitants agricoles au Gabon. Toutefois, la vraie question qu’on peut se poser est celle de savoir : est-ce que l’agriculture figure au nombre des priorités de l’État gabonais ? Quels que soient les choix qui aient pu être faits dans le passé, que ce soit le choix des agro-industries, ou celui du soutien au paysannat, comme on a pu le voir durant les 20 dernières années du siècle précédent, il me semble qu’ils ont été faits simplement parce qu’il fallait se doter d’une forme d’agriculture. Parfois, ils ont été faits de manière opportuniste, en opportunité. Il ne me semble pas que ces choix-là répondaient à une vision claire du développement du pays. On a tout à fait le droit d’estimer que le Gabon n’est pas un pays à vocation agricole. Mais dans ce cas, il faut le dire clairement, l’assumer, dire comment on va garantir la sécurité alimentaire des Gabonais et se donner les moyens d’y parvenir. Jusque-là, nos politiques agricoles relèvent du saupoudrage ou de la volonté de se donner bonne conscience. Il faut en finir avec ça et clarifier les choses.

 

 
GR
 

6 Commentaires

  1. Madouaka dit :

    « On a tout à fait le droit d’estimer que le Gabon n’est pas un pays à vocation agricole » Si on peut l’estimer puis que le régime foncier le traduit mais comment résoudre le problème de chômage de la jeunesse gabonaise ? L’expérience a montré que la fonction publique ne peut pas absorber tous les chômeurs. Et que l’industrie pétrolière est en déclin et nécessite des formations qui ne sont pas forcement à la porté de tout le monde.
    Alors messieurs de l’émergence, écoutez nos compatriotes qui ont des idées.

  2. LMT dit :

    Pas de commentaires? On voit quelles sont les vraies préoccupations des lecteurs de Gabonreview. moi, je n’interviens jamais. je le fais juste maintenant pour faire remarquer que pour un sujet aussi important, les intellectuels masqués des réseaux sociaux la bouclent. C’est trop fort pour eux. Si c’était pour insulter Ping ou Ali Bongo on allait vous voir plein ici. Pitié.
    Je ne faisais que passer.

  3. Yves Mintsa dit :

    Doit-on penser que la terre appartient à l’Etat en toute circonstance? Il y a des précédents juridiques sous d’autres cieux qui pourraient indiquer que non, pas toujours. Par exemple dans les Amériques (nord, centre et sud), les peuples autochtones ont obtenu que certaines terres leur soient restituées sur le principe qu’elles les occupaient déjà avant l’établissement des Etats-Nations. Pourquoi le même principe ne s’appliquerait pas à l’Afrique en général et au Gabon en particulier ? Dans des cas précis bien sûr !

  4. Ari dit :

    Le cas du Gabon est vraiment atypique. Le pays a une forte pluviometrie, une large disponibilite des terres propices a l’agriculture, dispose d’un fort potentiel touristique… Mais la gestion de toutes ces ressources est catastrophique, le pays vit de 90% des importations de produits de consummation (on mourra de faim un jour), 90% de la population vit sous le seuil de la pauvrete…
    « Le Gabon n’est pas un pays a vocation agricole » mais qu’elle est donc sa vocation? Peut-etre la gabegie lui va-t-il mieux?!!
    Evidemment, il ne faut jamais en parler(c’est la question qui fache) puisque nous gouvernants nous disent souvent que tout va mieux ici que chez nos voisins africains, que le Gabon est un pays riche. Tu parles, le Gabon est tout simplement un pays sans avenir, un pays a la derive (il vaut voir les choses en face). Un point, un trait.

  5. Boomrang dit :

    Dommage que les émergents n’en fassent qu’à leur tête au lieu de se pencher sur cette question. Tant que le Gabon n’aura pas atteint l’auto-suffisance alimentaire et que les autochtones seront spoliés de leur terre ancestrale, le terme « émergence » n’aura sens.

  6. Meunier Tchivounda dit :

    Mon cher Franck,

    Merci pour cette clairvoyance! (et non prémonition, pour ceux qui y pensaient)

    Dans cette analyse bien explicitée, la théorie est vérifiée par une astuce administrative 5 ans après…

    1.  » … la Vision colonialiste de notre régime foncier. » C’est le constat en 2014!

    2. « … ce phénomène qui est connu sous le nom d’accaparement des terres… » C’est le constat du projet gouvernemental aujourd’hui en… 2019!

    Pour ce qui est des effets induits, nous le savons, ils sont bien connus… Et lorsque les conflits apparaitront, nous n’aurons plus que les yeux pour pleurer!

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