Procès Orabank : le mystère du ‘papier bleu’ et l’indépendance judiciaire en question

Au Gabon, où le procureur de la République avait requis six mois d’emprisonnement ferme pour trois dirigeants d’Orabank dans le cadre du procès opposant la banque à Snom Consulting, l’opinion publique reste divisée sur la suite du dossier. Les réquisitions du parquet, prononcées le 19 décembre 2024, seront-elles réellement prises en compte ? Alors que l’indépendance de la justice fait l’objet de débats de plus en plus vifs, la question se pose : les banques gabonaises et leurs cadres sont-ils au-dessus de la loi et du pouvoir judiciaire ? Plus encore, le pouvoir judiciaire gabonais est-il véritablement un pouvoir indépendant ?

Révélateur silencieux d’une autorité invisible qui plane au-dessus du pouvoir judiciaire : un simple petit papier bleu, glissé en pleine audience, a suffi pour ébranler tout l’édifice de l’indépendance de la magistrature gabonaise. © GabonReview (Montage)
Le 29 décembre 2024, GabonReview faisait l’écho du déroulement d’un procès pénal qui mettait en cause la société Orabank, Assembe Ovono Charles, Mbina Mbina Davy, et Tchambouot Anne-Sophie. Tous cadres de cet établissement bancaire, ils étaient accusés d’opposer une résistance, un refus catégorique, à l’exécution de deux décisions de la Cour d’appel de Libreville. Revêtues de l’autorité de la chose jugée, ces décisions condamnent Orabank à restituer à la société Snom consulting international, des sommes qui avaient été frauduleusement retirées de son compte par des agents de la banque, organisés en réseau interne de malfaiteurs aux dépens de ses clients.
Le jugement de ces trois personnes devant intervenir sur le siège, donc séance tenante, il avait été remarqué, le 13 janvier dernier, qu’un agent des forces de l’ordre avait apporté en pleine instance, et soumis à la présidente d’audience, un bout de papier bleu à la suite de la lecture duquel l’autorité judiciaire avait sur-le-champ décidé du report du délibéré à la date du 16 janvier 2025. Selon de nombreuses indiscrétions concordantes, les décisions de la Cour d’appel de Libreville dont l’inexécution se trouvait à l’origine de ce procès pénal, pourtant rendues en dernier ressort et revêtues de l’autorité de la chose jugée, ne sont toujours pas exécutées, et les personnes qui s’y opposent roulent allègrement carrosse dans la cité sans être inquiétées.
Les banques et leur immunité judiciaire ?
Un état de fait poussant à se demander si les banques et leurs agents jouissent d’une immunité de juridiction ou d’exécution qui les placent au-dessus des décisions de justice. Un tel privilège n’est, pour ainsi dire, pas tiré d’un texte de loi en République gabonaise. Sauf preuve du contraire. Une réflexion sur le petit papier bleu qui avait modifié la tendance prise par les juges le 13 janvier dernier en demandant aux trois inculpés de rejoindre le rang des détenus, ouvre la voie à plusieurs suppositions et interrogations et amène, particulièrement, à penser que ce bout de papier contenait l’instruction d’un organe ‘’supérieur’’ à la juridiction qui siégeait.
Le bout de papier bleu contenait-il une instruction du Président du tribunal lui-même ? C’est fort probable puisqu’il s’agissait d’un écrit transporté par un agent des forces de sécurité affecté près le tribunal de Libreville. La question qui se pose dans cette hypothèse, est de savoir qui aurait, concrètement, informé le président du tribunal de la tournure de l’audience, et aurait sollicité ou ordonné son intervention : son ministre de tutelle ? La primature ? Ou carrément la présidence de la République ? Quelle que soit l’hypothèse, la situation pose le problème de l’effectivité du pouvoir judiciaire comme principal pouvoir constitutionnel à l’instar du Législatif et de l’exécutif.
Autrement dit, qui est au-dessus du pouvoir judiciaire au Gabon ? Le pays peut-il espérer un développement serein avec un pouvoir judiciaire aux ordres, manipulable et soumis aux pressions de certains cercles de pouvoir ? (Affaire à suivre).

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