Face à un taux de chômage qui touche plus de 36% de la population gabonaise et près de 40% des jeunes, Edgard Obame Ndemezock* propose une analyse approfondie et des solutions concrètes pour remédier à l’inadéquation persistante entre formation et emploi au Gabon. Dans cette tribune, il dévoile sept axes stratégiques pour transformer le système éducatif, renforcer la formation professionnelle et diversifier l’économie gabonaise. Un plaidoyer pour une approche intégrée où secteurs public et privé collaborent afin de valoriser les talents nationaux et construire une économie plus inclusive, en phase avec les défis du XXIe siècle.

Pour résoudre le problème de l’adéquation formation-emploi au Gabon, il est nécessaire de réconcilier les systèmes de formation avec les besoins réels du marché tout en transformant l’économie pour la rendre plus inclusive et créatrice d’opportunités. © GabonReview

 

Edgard Obame Ndemezock, Expert en stratégies de capital humain. © D.R.

Le Gabon fait face à un taux de chômage élevé particulièrement chez les jeunes. En 2023, le chiffre officiel du taux de chômage global était de 36,4% avoisinant même 40% chez les jeunes. Cette situation est exacerbée par une inadéquation entre les formations dispensées dans le système éducatif gabonais et les besoins du marché du travail dans un contexte économique marqué par une faible industrialisation générale et une insuffisante capacité de transformation et de conservation des produits locaux.

Dès lors, le défi de l’adéquation entre la formation et l’emploi au Gabon nécessite une approche qui soit à la fois systémique et stratégique. Voici quelques pistes d’actions structurées autour de l’éducation, de la formation professionnelle et de la transformation économique :

I- Repenser les priorités du système d’éducation et de formation.

Le système éducatif gabonais reste largement orienté vers la théorie, avec une faible corrélation entre les programmes scolaires et les compétences requises sur le marché du travail. Cette déconnexion contribue directement au chômage élevé chez les jeunes, incapables de répondre aux besoins du tissu économique local. Une réforme s’impose pour intégrer des compétences techniques et pratiques dès le secondaire, en mettant l’accent sur les domaines stratégiques tels que les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STEM). Il est également essentiel d’introduire l’éducation à l’entrepreneuriat afin de doter les jeunes d’une mentalité proactive face à l’emploi. En formant une jeunesse adaptée aux exigences du marché, le Gabon pourrait réduire considérablement le chômage et stimuler l’innovation locale. Par conséquent, il est nécessaire de :

a- Réforme des contenus scolaires et universitaires

– Intégrer les compétences techniques, pratiques et transversales dès le secondaire en visant chez l’apprenant le développement du raisonnement critique, le travail collaboratif, la résolution des problèmes, la créativité et, d’une manière générale et tous les niveaux, l’initiation aux métiers techniques.

– Favoriser les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques pour préparer les jeunes aux secteurs d’avenir (agriculture moderne, l’économie numérique, économie de la biodiversité, énergie etc.)

– Inclure des cours d’éducation à la culture d’entreprise et à l’entreprenariat pour stimuler l’esprit d’innovation dès le jeune âge et à tous les niveaux.

b- Valorisation des langues locales et des pratiques culturelles

– Intégrer la culture locale et les langues dans les contenus éducatifs pour favoriser un ancrage identitaire tout en valorisant les savoirs applicables au développement locale.

II- Renforcer la formation professionnelle et technique

Le manque de main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs clés tels que l’agriculture, la pêche, le BTP et les industries extractives est un frein majeur à la croissance économique. Le système de formation professionnelle, insuffisamment développé, ne permet pas de combler ce déficit. En modernisant les infrastructures de formation et en créant un réseau national de centres professionnels équipés de matériel moderne, le Gabon pourrait non seulement former une main-d’œuvre adaptée aux besoins du marché, mais aussi accélérer le développement de secteurs stratégiques. La mise en place d’un système d’apprentissage en alternance, combinant théorie et pratique, permettrait une insertion rapide des jeunes dans le monde du travail, tout en réduisant la pression sur le secteur public. Dès lors, il convient de :

a- Moderniser les infrastructures et les équipements

– Réhabiliter les centres de formation professionnelle existants, les centres multisectoriels de formation et en créer de nouveaux sur l’ensemble du territoire.

– Equiper ces centres avec des outils modernes correspondant aux besoins des secteurs économiques prioritaires.

b- Adapter l’offre de formation aux besoins du marché

– Etablir des partenariats publics privés pour définir des contenus basés sur les besoins réels des entreprises en particulier dans l’agriculture, la pêche, la forêt, le BTP, l’exploitation minière, les hydrocarbures, et les énergies renouvelables.

– Développer des formations certifiantes de courte durée pour répondre rapidement aux besoins spécifiques du marché en prenant en compte les grands projets en préparation ou en cours d’exécution dans le pays.

c- Promouvoir l’apprentissage en alternance

– Instaurer un système national d’alternance qui combine la formation théorique dans les centres spécialisés et une immersion pratique entreprise.

– Mettre en place des incitations fiscales et sociales (exemption du paiement des cotisations sociales CNSS / CNAMGS) pour encourager les entreprises à accueillir les apprentis.

III- Stimuler l’entrepreneuriat et l’auto-emploi

Le Gabon est confronté à une économie fortement dépendante du secteur public, limitant les opportunités d’emploi. La promotion de l’entrepreneuriat constitue une solution durable pour créer des emplois et dynamiser le tissu économique local. Les jeunes entrepreneurs manquent cependant d’accompagnement, de formation et surtout de financement. La mise en place de dispositifs d’accompagnement à travers des incubateurs, des formations en gestion d’entreprise et des fonds de soutien adaptés au contexte local permettrait de libérer le potentiel créatif des jeunes Gabonais. Encourager l’auto-emploi réduirait non seulement le chômage, mais renforcerait également la résilience économique du pays face aux chocs extérieurs. En conséquence, on doit :

a- Renforcement des capacités entrepreneuriales

– Créer des incubateurs vers les universités et les centres de formation pour accompagner les jeunes entrepreneurs dans leurs projets.

– Offrir des formations pratiques sur la création et la gestion d’entreprise, l’accès au financement, et le développement des affaires.

b- Facilitation de l’accès au financement

– Développer la mise en place sur toute l’étendue du territoire des fonds de soutien dédiés aux jeunes entrepreneurs avec des conditions adaptées au contexte local (taux préférentiel et garantie souple)

– Multiplier des programmes de microfinance spécifiques pour les petites entreprises et les artisans dans le secteur informel.

IV- Réorienter l’économie vers des secteurs porteurs d’emploi

La dépendance du Gabon aux hydrocarbures rend son économie vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux. La diversification économique est donc une nécessité stratégique. L’agriculture, les énergies renouvelables, le numérique et le tourisme offrent un potentiel considérable en matière de création d’emplois. Investir dans ces secteurs permettrait de créer des milliers de postes tout en valorisant les ressources locales. Le développement de pôles régionaux spécialisés, soutenus par des infrastructures modernes et une main-d’œuvre qualifiée, faciliterait la transformation locale des matières premières et stimulerait la compétitivité du Gabon sur le marché international. Cette stratégie renforcerait également l’intégration des zones rurales dans le tissu économique national. De ce fait, il est requis de :

a- Investissement dans les filières à fort potentiel

– Diversifier l’économie en investissant dans l’agriculture de transformation, les industries créatives, le secteur numérique et les énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien etc).

– Encourager la création des petites et moyennes entreprises et le développement de l’artisanat par les jeunes gabonais.

b- Développement des pôles régionaux d’emploi

– Identifier les espaces stratégiques en province pour y implanter des pôles de développement combinant formation et création d’emploi dans des secteurs spécifiques : agriculture, pêche, écotourisme, forêt etc.

– Encourager les partenariats avec des organisations internationales pour soutenir ces pôles régionaux.

V- Etablir un cadre institutionnel pour l’adéquation formation-emploi

L’absence de coordination entre les politiques de formation et les besoins réels du marché du travail est une cause majeure du chômage structurel au Gabon. Les entreprises peinent à recruter des profils adaptés en raison d’un décalage entre les compétences enseignées et les qualifications recherchées. La mise en place d’un cadre institutionnel harmonisé, incluant une cartographie des compétences, une validation des acquis de l’expérience (VAE) et une certification des diplômes, permettrait de mieux orienter les jeunes vers des secteurs porteurs. La création de plateformes de dialogue entre le gouvernement, le secteur privé et les institutions de formation renforcerait la pertinence des programmes éducatifs, en garantissant une meilleure adéquation entre l’offre et la demande de compétences. Il en résulte qu’il est indispensable de :

a- Création d’un cadre d’harmonisation des diplômes et des compétences

– Mettre en place une structure chargée d’harmoniser les diplômes, les titres ainsi que la validation des acquis par l’expérience.

– Développer des prévisions sur les métiers d’avenir et les qualifications nécessaires pour les exercer.

b- Implication des acteurs économiques dans les politiques éducatives

– Créer des commissions mixtes gouvernement, confédérations patronales des entreprises et centres de formation pour coordonner les politiques en matière de formation et d’emploi.

VI- Promouvoir une culture de formation continue

Dans un monde en mutation rapide, l’obsolescence des compétences est un défi constant. Les travailleurs gabonais doivent pouvoir s’adapter aux évolutions technologiques et économiques par le biais de la formation continue. Actuellement, peu de dispositifs permettent aux travailleurs de se reconvertir ou de monter en compétence tout au long de leur carrière. La mise en place de plateformes de formation à distance, accessibles depuis tout le territoire, associée à un système de crédit formation, encouragerait les salariés à investir dans leur développement personnel. Cette approche renforcerait la compétitivité des entreprises et l’employabilité des travailleurs gabonais dans les secteurs émergents. Ainsi, il est impératif de :

a- Formation continue pour les travailleurs

– Encourager les entreprises à investir dans la formation continue de leurs employés et tout particulièrement dans les secteurs techniques en mutation rapide, notamment le numérique

– Mettre en place un système de crédit formation pour permettre aux travailleurs de se reconvertir ou d’évoluer dans leurs carrières.

b- Développement de la formation à distance

– Utiliser les plateformes numériques pour offrir des cours accessibles à tous notamment dans les zones reculées.

– Développer des partenariats avec des universités et des plateformes internationales pour proposer des certifications en ligne.

VII- Sensibilisation et communication

La perception négative des métiers techniques et professionnels constitue un frein à l’orientation des jeunes vers ces filières, pourtant essentielles pour le développement économique. Les métiers du bâtiment, de l’agriculture ou de l’artisanat sont souvent perçus comme des solutions de repli plutôt que comme des choix de carrière valorisants. Une campagne nationale de sensibilisation, mettant en avant le rôle clé de ces métiers dans la création de valeur et la stabilité économique, permettrait de revaloriser ces secteurs. De plus, encourager l’accès des filles et des jeunes issus des zones rurales aux formations techniques renforcerait l’inclusion sociale et la diversité dans le monde du travail. La création de forums d’orientation et de journées portes ouvertes dans les centres de formation permettrait de rapprocher les jeunes des réalités du marché du travail. D’où la nécessité de :

a- Valoriser les métiers techniques

– Lancer des campagnes nationales pour donner une perception positive des métiers techniques et professionnels.

– Organiser des rencontres, des forums d’orientation et des journées portes ouvertes dans les centres de formation pour sensibiliser les jeunes et leurs familles ;

b- Encourager les femmes et le jeunes vivant en milieu rural

– Mettre en place des programmes spécifiques pour encourager les filles et les jeunes des zones rurales à s’engager dans des formations techniques et professionnelles.

Ces mesures, si elles sont mises en œuvre de manière cohérente et intégrée, permettraient de repositionner le Gabon sur la voie d’une croissance inclusive et durable. La clé réside dans une action concertée entre l’État, le secteur privé et les institutions éducatives pour bâtir un système de formation aligné sur les besoins réels de l’économie nationale.

Conclusion : Une stratégie pour aujourd’hui et demain

Pour résoudre le problème de l’adéquation formation-emploi au Gabon, il est nécessaire de réconcilier les systèmes de formation avec les besoins réels du marché tout en transformant l’économie pour la rendre plus inclusive et créatrice d’opportunité c’est-à-dire d’adopter une approche intégrée impliquant une réforme du système éducatif, le renforcement de la formation professionnelle, la promotion de l’entreprenariat et une diversification économique ciblée. Cela nécessite d’une part une collaboration étroite entre les secteurs public et privé, d’autre part un engagement fort des institutions, autrement dit une volonté politique forte pour bâtir un avenir ou les compétences et les talents gabonais seront valorisés pour le développement de notre pays.

Libreville, le 12 mars 2025

Edgard Obame Ndemezock,
Expert en stratégies de capital humain.
Ancien DRH et SG de structures privées et para publiques 

 

 
GR
 

1 Commentaire

  1. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonjour Monsieur E.O. Ndemezock,

    Le capital humain est un investissement dont il est possible de mesurer la valeur dans le temps (Gary Stanley Becker, 1964 et Prix Nobel d’économie 1992).

    Pour y parvenir, la production de « savoirs » doit correspondre aux besoins du marché du travail (en supposant que celui-ci soit transparent, hypothèsequi renvoit à l’absence d’asymetrie de l’information pesant dans les économies africaines). Ce en quoi on peut mesurer son efficacité et la valeur potentielle du capital humain en tant qu’investissement à long terme.

    Votre approche normative est très intéressante. Elle montre globalement les enjeux d’un équilibre général « parfait » en éducation et insertion professionnelle. Le savoir-faire (technique, scientifique, juridique!?, etc.) est une chose. Certes. L’expérience, un plus. Le savoir se valorise par L’expérience qui devient la compétence la plus élevée.

    Cette expérience professionnelle est une agrégation de savoir-faire, de savoir-être, de savoir faire-faire et de faire-savoir.

    Cependant, il y a l’envers du décor. Puisque le marché du travail gabonais n’est pas transparent et formel. Bien majoritairement (analyse faite sur constat), nous vivons dans une culture de « portes coulissantes » qui est un frein à l’égalité des chances dans le recrutement par concours ou par dossier. Ce qui explique d’ailleurs le phénomène du déterminisme social au Gabon (hypothèse).

    En vous lisant, on a l’impression d’une vision panglossienne. On peut davantage modifier le système éducatif en le rendant plus en adéquation avec le monde économique. Mais comment changer le système de recrutement fondée sur les « réseaux sociaux » (famille, clan, ethnie, province, ésotérique, etc.)?

    A ce problème, s’ajoutent un manque de politique fondée sur des incitations fiscales et sociales. Nous le notez très bien. Dans ce cas, la politique de la xarotte doit être accompagnée d’une politique du bâton. Il faut observer la pyramide des âges dans les entreprises privées et publiques et dégager leurs futurs besoins en termes de capital humain issu d’un marché du travail formel. Des retraites anticipées peuvent être envisagées pour les volontaires compte tenu d’une prime de départ.

    Un dernier point est celui du financement de toutes ces mesures. Sont-ce l’État ou les entreprises qui financent ces mesures? A combien les chiffree-vous?

    Je regrette l’absence d’un modèle spécifique pour les futurs cadres dirigeants. Notre pays a besoin de polytechniciens aussi à l’aise en management, en histoire des institutions, en économie,
    en langue (une locale et une étrangère). Ils ne seraient pas issus de partis politiques mais choisis par une commission d’évaluation à l’accès à des fonctions stratégiques. Je précise sans légitimer les inégalités sociales par le déterminisme social.

    Merci pour cette article que j’ai beaucoup apprécié.

    Bonne continuation à vous.

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