[Tribune] Du coup d’État du 30 aout 2023 à l’instauration d’un coup d’État permanent

Dans l’analyse politique suivante, l’auteur examine comment la transition au Gabon initiée par le coup d’État du 30 août 2023 s’est progressivement transformée en un système de gouvernance autoritaire. Peter Stephen Assaghle, Docteur en sciences juridiques, démontre avec une précision chirurgicale comment le Général Oligui Nguema a systématiquement concentré tous les pouvoirs entre ses mains à travers une série de manœuvres constitutionnelles et institutionnelles. De la Charte de la Transition à l’organisation précipitée de l’élection présidentielle d’avril 2025, sa tribune révèle les mécanismes d’un ‘’coup d’État permanent’’ qui, sous couvert de renouveau politique, perpétue les pratiques autocratiques que la révolution promettait pourtant d’abolir.

« Ce qui était censé être un événement anticonstitutionnel ponctuel, s’est mué en coup d’État permanent ». © GabonReview

Peter Stephen Assaghle, Docteur en sciences juridiques, ancien avocat au Barreau de Valence (France). © D.R.
J’emprunte volontairement à François Mitterand la théorie du coup d’État permanent qu’il a développée dans son livre éponyme publié en 1958 dans lequel l’auteur fait une dénonciation du «pouvoir personnel» instauré par le général de Gaulle depuis son retour aux affaires en 1958.
Lorsque l’on observe l’histoire de notre pays depuis le putsch effectué par le CTRI du Général Oligui Nguema le 30 aout 2023, ce qui était censé être un événement anticonstitutionnel ponctuel, s’est mué en coup d’État permanent.
Un coup d’État permanent désigne une situation politique dans laquelle un gouvernement ou un régime installe des pratiques autoritaires et renforce son pouvoir de manière systématique et prolongée, souvent en contournant ou en supprimant les institutions démocratiques. Les caractéristiques d’un coup d’État permanent incluent notamment :
- Concentration du pouvoir exécutif : Le pouvoir exécutif est concentré entre les mains d’une seule personne ou d’un groupe restreint, souvent au détriment des autres branches du gouvernement (législatif, judiciaire).
- Suspension des droits et libertés : Les droits fondamentaux comme la liberté d’expression, la liberté de la presse, le droit de manifester, et les libertés politiques sont régulièrement suspendus ou restreints.
- Contrôle de l’armée et des forces de sécurité : L’armée ou les forces de sécurité jouent un rôle clé dans la consolidation du pouvoir. Elles peuvent être utilisées pour réprimer les oppositions et maintenir l’ordre, voire pour participer directement à la gestion du pays.
- Affaiblissement des institutions démocratiques : Les institutions démocratiques telles que les parlements, les partis d’opposition, et les élections libres sont soit dissoutes, soit manipulées pour garantir le maintien du pouvoir en place.
- Manipulation de la justice : les décisions judiciaires sont souvent influencées ou directement contrôlées par le pouvoir en place, et les juges indépendants ou les avocats sont persécutés ou réduits au silence.
- Répression de l’opposition politique : Toute forme d’opposition politique est réprimée, soit par des moyens légaux (lois antiterroristes ou anti-dissidence), soit par la violence directe ou indirecte (arrestations, emprisonnements, exils forcés).
- Progrès vers un autoritarisme systématique : Bien qu’il n’y ait pas toujours une transition formelle vers une dictature, le régime évolue lentement vers un contrôle autoritaire total, avec peu d’espoir de retour à la démocratie.
- Manipulation de l’opinion publique : Le gouvernement utilise souvent la propagande pour justifier ses actions et s’assurer que la population accepte ou soutienne sa prise de pouvoir, parfois par la manipulation des médias ou la diffusion de fausses informations.
Un coup d’État permanent repose donc sur l’idée que le renversement de l’ordre constitutionnel n’est pas un événement ponctuel, mais un processus continu qui modifie progressivement les fondations du régime politique en faveur d’un pouvoir personnel et personnifié entre les mains de l’auteur dudit coup d’État et de son cercle restreint.
En tout état de cause, la prise en otage du Gabon et de ses populations, dans un coup d’état permanent, par le Général Brice Clotaire Oligui Nguema depuis le putsch du 30 aout 2023 ne fait aucun doute. Plusieurs éléments en attestent.
- L’adoption de la Charte de la Transition du 4 septembre 2023, révisée par la loi n°001/2023 du 6 octobre 2023, par laquelle le Général a pris le soin de s’ériger en seul homme fort de la Transition, centralisant l’ensemble des pouvoirs sur sa seule personne et évinçant de la course à l’élection présidentielle à venir, grosso modo, tous les acteurs de cette Transition… sauf lui.
- L’ordonnance n°0004/PR/2024 du 23 janvier 2024 modifiant et complétant certaines dispositions de l’ordonnance n°007/PR/2010 du 25 février 2010 portant Statut particulier des Militaires, ratifiée par la loi n°18/2010 du 27 juillet 2010. Nouvelle démonstration de la personnification du pouvoir entre les mains du Général qui, pour des urgences personnelles, n’a pas hésité à prendre cette ordonnance afin d’autoriser le mariage polygamique des officiers généraux et supérieurs. Il n’a d’ailleurs pas tardé à s’en servir pour prendre une deuxième épouse seulement 4 mois plus tard.
- Le Dialogue National Inclusif d’avril 2024. Ce rendez-vous s’est révélé être une manipulation grotesque de l’opinion pour asseoir le règne du Général, à travers des participants au dialogue expressément désignés par celui-ci, pour des résultats préétablis par le Pouvoir, et donc biaisés. Les véritables aspirations du peuple, comme la dissolution du Parti Démocratique Gabonais et la mise hors-jeu des anciens barons de ce régime, ont été balayées d’un revers.
- L’adoption de la Constitution du 17 novembre 2024. Un texte taillé sur mesure pour le Général, qui vient constitutionnaliser la concentration de l’ensemble des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) sur la tête de celui-ci, entre exclusions et discriminations. Et, puisque le respect des principes de l’État de droit s’écroule désormais face à la préservation des intérêts du Chef, cette constitution a fait l’objet de modifications substantielles de façon unilatérale et sournoise au moment de sa promulgation par le Président de la République.
- L’adoption du nouveau code électoral en janvier 2025, consacrant l’éligibilité à la magistrature suprême des militaires notamment, afin d’offrir une voie royale au Général qui, lors de sa prise de pouvoir transitionnel, avait pourtant indiqué remettre le pouvoir aux civils à l’issue de la Transition. Par ailleurs, ce code électoral a également confié la responsabilité de l’organisation des élections au Ministère de l’Intérieur, en dépit du problème majeur d’indépendance et de transparence que cela soulève, quand on sait que le Ministre de l’intérieur actuel, comme l’ensemble des membres du gouvernement de Transition, n’est qu’un faire-valoir du Général entièrement à sa solde.
- L’élection présidentielle programmée le 12 avril 2025. Pour parachever l’œuvre du Général-Président, le porte-parole du Gouvernement a, le 23 janvier 2025, annoncé la tenue de l’élection présidentielle le 12 avril 2025, raccourcissant ainsi le chronogramme de la Transition et piétinant par là même une coutume qui était celle de l’organisation de cette échéance au cours du mois d’aout. Une manœuvre affaiblissant les groupes d’opposition inéluctablement surpris par cette annonce, leur donnant à peine trois mois pour se préparer, avec une période de campagne présidentielle limitée à 15 jours. Un tapis rouge tout dressé pour Oligui Nguema qui, selon plus d’un, aura conduit la Transition comme une période de précampagne et qui, en tout état de cause, dispose des moyens de l’État pour la campagne à venir.
Définitivement, il est manifeste que le Général Brice Clotaire Oligui Nguema a instauré un coup d’État permanent au Gabon afin d’asseoir son pouvoir personnel, pour lequel il s’est aidé de la nomination discrétionnaire de l’ensemble des parlementaires de Transition ainsi que de celle ses proches à la tête de la Cour constitutionnelle de Transition et des hautes administrations.
À côté de cela, on observe régulièrement des entorses impunies à l’exercice de libertés fondamentales. Par exemple, en février 2024, un lanceur d’alerte a été incarcéré sans aucune forme de procès pour avoir dénoncé les délestages à l’Hôpital général de Libreville. Le même mois, la Plate-forme Ensemble Pour Le Gabon, menée par l’ancien Premier Ministre Alain-Claude BILIE-BY-NZE a été interdite de manifestation dans le Woleu-Ntem.
De même, les médias nationaux traditionnels sont devenus une propagande quotidienne pro OLIGUI NGUEMA, organisant des émissions télévisées commandées sur mesure.
En toute hypothèse, depuis le 30 aout 2023, le Gabon est clairement passé d’un événement ponctuel qui était censé être libérateur, à son accaparement par un personnage qui, comme ses prédécesseurs, a sa place à la table de l’autocratie.
Dr. Peter Stephen ASSAGHLE
Peter Stephen Assaghle est Docteur en sciences juridiques. Après avoir exercé en tant qu’Avocat au Barreau de Valence en France, il a entrepris de rentrer au Gabon en novembre 2024 pour se mettre au service de son pays.

1 Commentaire
Et oui! Dans un pays de bénis oui oui ce cas de figure ne peut que prendre corps