Du bulletin unique au bulletin distinct : Dilettantisme
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Le décret fixant les modalités du bulletin de vote aurait été pris en violation de la procédure, sans avoir donné lieu à une nouvelle délibération du Conseil des ministres.
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Du bulletin unique au bulletin distinct : accusant Hermann Immongault de «manipulation», de «faux en écritures publiques», Francis Nkéa a annoncé une action en justice. En son entendement, il ne faut pas laisser s’installer une «insécurité juridique et judiciaire». © GabonReview
En cette période de «restauration des institutions», le contenu du décret fixant les modalités du bulletin de vote pour l’élection du président de la République n’a rien de rassurant. S’il est conforme à la lettre du Code électoral, il ne correspond nullement au libellé du projet récemment adopté par le Conseil des ministres. Pis, il aurait été pris en violation de la procédure, sans avoir donné lieu à une nouvelle délibération. Le ministre de l’Intérieur a beau minimiser la situation, elle n’en demeure pas moins grave. Il a beau plaider la nécessité de corriger une «erreur matérielle», elle laisse songeur. N’en déplaise à Hermann Immongault, cet ajustement ne tient pas seulement de la forme. Relevant du fond, elle souligne les limites d’une pratique politique héritée du passé. Pour ne pas reproduire les fautes du régime déchu, il faut flétrir ces modes de faire. Pour prévenir des dérapages à venir, il crier haro sur ce dilettantisme.
Les fantômes du passé
Ayant proclamé son ambition d’instaurer une «culture de bonne gouvernance», le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) ne peut se montrer laxiste sur la procédure. Ayant pris l’engagement d’organiser des élections «libres, démocratiques et transparentes», il doit prendre la mesure de l’enjeu. Or, à en juger par les déclarations du ministre de l’Intérieur, le gouvernement tient ce manquement pour une peccadille : chez nos confrères de L’Union, Hermann Immongault a joué la carte de la banalisation. Comme si le Conseil des ministres s’était réuni entre-temps, il a parlé de «correction d’erreur matérielle comme il peut y avoir partout ailleurs». Comme si l’exécutif pouvait faire comme lui semble, il a lancé : «Le gouvernement a pris ses responsabilités.» Bon gré mal gré, cet épisode ravive le souvenir d’un autre, d’au moins égale gravité : la réécriture des articles 28, 46 et 93 de la Constitution après son adoption par le peuple souverain. Peut-on s’accommoder de la multiplication de tels actes ?
Au lendemain du référendum, le gouvernement s’était muré dans un silence assourdissant. Comme s’il n’avait de comptes à rendre à personne, il s’était refusé à toute explication, réveillant les fantômes du passé. Malgré les protestations de l’Alliance démocratique et solidaire (ADS), la version retouchée fut validée par la Cour constitutionnelle puis publiée. Ce précédent a-t-il donné des idées au ministère de l’Intérieur ? Certainement. L’a-t-il conforté dans sa décision de contourner la procédure ? Sans doute. N’empêche, comme l’affirme le député de la Transition Geoffroy Foumboula Libéka Makosso, «Ce décret ne peut faire l’objet d’un acte réglementaire publié, car il ne découle d’aucune décision validée par l’exécutif». Effectivement, on se demande quand et où le gouvernement s’est-il réuni pour décider de corriger cette «erreur matérielle». Ayant tenu un Conseil des ministres le 20 février courant, ne pouvait-il pas le faire durant cette séance ? Pourquoi cette précipitation ?
La crédibilité de la présidentielle en jeu
L’attitude du gouvernement suscite colère et circonspection. «Il y a un décret qui a été falsifié», s’est déjà écrié Francis Nkéa Ndzigué, avocat et ancien garde des Sceaux, ajoutant : «Il n’y avait pas d’erreur matérielle. C’est l’esprit du texte qui a été complètement modifié.» Accusant Hermann Immongault de «manipulation», de «faux en écritures publiques», il a annoncé une action en justice. En son entendement, il ne faut pas laisser s’installer une «insécurité juridique et judiciaire». Ira-t-il au bout de sa logique ? C’est une autre paire de maches. En revanche, on doit se demander si le gouvernement entendra ses récriminations, s’il en cernera le sens sous-jacent et s’il en mesurera la portée voire les conséquences éventuelles. Après tout, la crédibilité de la présidentielle du 12 avril prochain se trouve ici en jeu. Dès lors, l’exécutif gagnerait à ne pas faire la sourde oreille, à se poser les bonnes questions et à y apporter des réponses circonstanciées.
Dans son intérêt, comme dans celui du Gabon et de son peuple, le gouvernement de la Transition ne doit sombrer ni dans l’autoritarisme ni dans l’improvisation et, encore moins, dans les bricolages juridiques caractéristiques du régime déchu. Malgré ses insuffisances, ses incohérences et ses ratés, la période actuelle doit nous permettre de passer d’un régime oppresseur et non-démocratique à un autre, beaucoup plus regardant sur l’État de droit, la transparence, la tolérance et la responsabilité des détenteurs de l’autorité publique. Pour ce faire, il faut s’astreindre au strict respect des lois, dans la forme comme dans le fond. Au-delà, il faut se garder de ruser avec les procédures.
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1 Commentaire
L’affaire était déjà étrange dans son énoncé : ERREUR MATÉRIELLE.
Pour n’avoir jamais vu à ce jour une photocopieuse se tromper dans sa production, j’ai compris qu’un autre évênement cherche à poindre.
ERREUR MATÉRIELLE ? Bien faire semble ne plus être la priorité.
et Ce que je comprends par la réaction de M Francis est ceci : iLS savent ce qu’ils font.