Au Gabon, la consommation de drogues, y compris chez les femmes enceintes, est une problématique de santé publique souvent méconnue et peu documentée. Pourtant, ses conséquences sont multiples et préoccupantes, tant pour la mère que pour l’enfant à naître. Face à ce fléau, l’ONG Entraid’dépendances, sous l’impulsion de sa fondatrice Marie Stella MAREHIN, mène des actions de sensibilisation et d’accompagnement. À travers cette tribune, l’auteure, Maître-Assistant CAMES en psychologie clinique et psychopathologie, met en lumière les enjeux liés à l’addiction en période périnatale, les défis de la recherche sur le sujet, ainsi que les pistes d’intervention pour une meilleure prise en charge et prévention.

Au Gabon, la consommation de drogues, y compris chez les femmes enceintes, est une problématique de santé publique souvent méconnue et peu documentée. © D.R.

 

Marie Stella Marehin, psychologue clinicienne. © D.R.

Le Gabon est confronté à une hausse de substances psychoactives sur le marché comme le démontrent les saisies de drogues et le démantèlement des cartels de « dealer » véhiculés dans les médias modernes (Gabon Review, Gabon Media Time, Gabon Actu). Cette triste réalité est dépeinte dans le rapport sur les drogues publié en 2024 par l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), qui met l’accent sur le rôle majeur des pays de l’Afrique Centrale et de l’Ouest comme plaques tournantes du trafic de stupéfiants. On comprend ainsi que l’addiction est une pathologie qui touche tous les sexes, les classes sociales et les régions confondues. C’est un champ complexe qui implique la médecine, la psychiatrie, les sciences sociales, la prévention, l’épidémiologie et la politique.

Depuis 2021, chaque 09 septembre à l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation au Syndrome d’Alcoolisation Fœtale (SAF), l’ONG Entraid’dépendances mène des campagnes de sensibilisation sur les dangers liés à la consommation d’alcool chez les femmes enceintes. Cette campagne s’organise par la distribution de prospectus et la diffusion de capsules via les réseaux sociaux. La consommation de drogues (alcool, tabac, cannabis, cocaïne, etc.) notamment chez les femmes enceintes mérite d’être abordée au regard des conséquences  souvent irréversibles des toxiques. Il est important de tirer la sonnette d’alarme.

Un phénomène mondial difficilement maitrisable

Les chiffres sur la consommation de drogues des femmes en gestation sont mal connus dans le monde entier. La majeure partie des recherches porte sur la consommation d’alcool. Pourtant, nous relevons dans notre pratique clinique une polyconsommation au sein de ce groupe. Plusieurs facteurs pourraient ainsi  contribuer à ce manque d’informations :

La stigmatisation : La femme enceinte qui consomme des drogues est une mauvaise mère, ce cliché culturel est un véritable frein qui peut conduire ces dernières à ne pas déclarer leur consommation durant le suivi prénatale ou à ne pas rechercher de l’aide à travers les soins adaptés.

Le manque de recherche spécifique : L’absence de recherche menée sur la question au Gabon, même si nous notons qu’au niveau international, la recherche sur la consommation de drogues est en hausse. Toutefois, ces travaux comportent de nombreuses lacunes en ce qui concerne l’usage de drogues chez les femmes enceintes.

La complexité des données : Les pratiques de polyconsommations, les effets des substances qui peuvent varier selon les facteurs de la grossesse, la dose et les fréquences de consommation rendraient difficile la collecte et l’interprétation de données.

L’accès aux structures de soins : Dans les zones reculées ou par défaut de ressources financières plusieurs femmes enceintes n’ont pas toujours accès aux soins prénatals, ce qui réduit les chances de recueillir des informations sur leur consommation de drogues.

L’absence de repérage précoce : Lorsque les femmes enceintes ont accès aux structures de soins, le manque de professionnels formés au repérage et à la prévention des addictions ne facilite pas l’identification des concernées.

Une consommation à risque pour la femme, le nouveau-né et l’enfant

En période périnatale, les conséquences de l’usage de drogues sur le fœtus, l’enfant et la mère sont nombreuses. Chez la femme, cette pratique est dangereuse en dépit du produit, accroit la morbidité, et les conséquences diffèrent selon la période d’exposition. Les recherches de Chanal et coll en 2021 attestent qu’en période péri-conceptionnelle, la consommation d’alcool augmente le risque de fausse couche spontanée, de retard de croissance intra-utérin, d’éclampsie, de mort fœtale in utero. En 2016, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) soulignait qu’au premier trimestre de la grossesse, il existe de surcroît un risque malformatif chez l’embryon. Aux 2e et 3e trimestres, cette consommation est responsable d’une diminution du contenu cérébral en Acide désoxyribonucléique (ADN), de survenue d’anomalies de la migration neuronale, de mort neuronale, d’atteinte d’autres organes liés à sa toxicité cellulaire. Chez le nouveau-né et l’enfant, l’exposition prénatale à l’alcool est une cause majeure des troubles du neurodéveloppement (TND) ainsi que la première cause non génétique du déficit intellectuel chez l’enfant. Les troubles de l’alcoolisation fœtale (TSAF) peuvent s’exprimer par des troubles spécifiques des apprentissages (dyscalculie, dyspraxie, et autres dys), un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), des troubles du comportement et une dysrégulation émotionnelle. Les études de Chan menées en 2011 chez des enfants exposés admettent que les pratiques de polyconsommation (alcool, tabac, cannabis) peuvent favoriser l’apparition de psychose, d’anxiété, de dépression et des problèmes d’interaction.

Une jeunesse à la dérive qui pourrait handicaper le pays de ces futurs dirigeants

Peut-on envisager une restauration des institutions sans la participation active d’une jeunesse en bonne santé physique et mentale ? Dans la perspective macroéconomique des pays de la CEMAC paru en Mai 2023 sur 2,28 millions d’habitants que compte le Gabon, 54% de cette population est âgée de moins de 25 ans, soit 1,23 millions est âgée de  0-24 ans. Il faut préciser que la tranche de 15-24 ans est très vulnérable quant à l’apparition de troubles mentaux. L’ensemble des études épidémiologiques situent l’entrée dans les addictions entre 12 et 15 ans. L’usage des drogues et le mésusage de médicament (tramadol) seraient alors un danger pour des pays ayant une forte population jeune pour diverses raisons :

Atteinte à la santé mentale et physique : L’exposition aux drogues est un facteur qui contribue au déclenchement précoce des troubles mentaux ( anxiété, dépression, psychose, trouble de l’humeur) et somatiques (cancers, tuberculose).

Augmentation des crimes : Les drogues et la criminalité affectent la communauté entière.

Déperdition scolaire et difficultés professionnelles : L’usage du cannabis est propice à l’installation du syndrome amotivationnel caractérisé par un désintérêt des apprentissages. La consommation d’alcool engendre des troubles cognitifs, des difficultés de mémorisation et de concentration. Comme conséquence on observe un faible rendement scolaire et professionnel, une déperdition scolaire, et des multiples arrêts maladie. Au regard de la stigmatisation, les personnes addicts peinent à trouver du travail et ne bénéficient d’aucune prise en charge.

Problème économique : Une population jeune sujette à la consommation de drogues va affecter la productivité économique, au regard des coûts élevés de la prise en charge (traitements de substitution). Les soins en matière de santé vont peser sur l’économie du pays, et cela pourrait se traduire par des bénéficiaires économiquement faibles de plus en plus nombreux au niveau de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale (CNAMGS).

Que faut-il faire ?

Comment vivre avec une maladie chronique représente le défi actuel des systèmes de santé au XXIe siècle. Ce qui sous-entend qu’il faudrait « soigner » le biologique, le psychisme et le social. L’addiction étant une maladie chronique s’inscrit dans cette perspective. L’accent doit être mis sur la prévention primaire par la création des programmes éducatifs, les campagnes de sensibilisation de masse et la promotion des modes de vie sains. La prévention secondaire et tertiaire qui nécessite la création des structures spécialisées afin de procéder au diagnostic précoce, de renforcer les capacités des acteurs et des professionnels de santé, puis de prendre en charge par des traitements adaptés ceux qui sont en phase d’abus ou de dépendance (syndrome de sevrage) pour réduire les séquelles liées aux produits et les complications somatiques. Par l’application des politiques sociales favorisant l’insertion professionnelle. Au moment où, le Gabon se dote d’un ministère en charge de la famille, il serait important de se pencher sur cette pathologie qui concerne la quasi-totalité des ménages, si on élargit le spectre aux addictions comportementales (sexe, jeu pathologique, achat compulsif, conduite alimentaire). Les ministères en charge de la santé, des affaires sociales, de la justice  et de l’économie ne sont pas laissés pour compte face à ce problème de santé publique.

Du 4 au 7 février 2025 se tiendra à Malabo le 5e congrès International de la Société Africaine de Santé Mentale sous le thème « prévention et détection précoce des troubles mentaux ». Sous le haut patronage de son Excellence Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Président de la République de Guinée Équatoriale. A cet effet, nous présenterons nos travaux sur l’addiction et la périnatalité : profil psychopathologique et déterminant de la consommation. C’est pour nous l’occasion d’échanger et de profiter de l’expérience des chercheurs et praticiens sur les avancées en matière de recherches et d’approches thérapeutiques sur les addictions.

Marie Stella MAREHIN

Maitre-Assistant CAMES en psychologie clinique et psychopathologie, université Omar BONGO, Libreville-Gabon, Psychologue clinicienne orientation clinique des addictions, Fondatrice du Cabinet de psychologie clinique ESPOIR & de l’ONG Entraid’dependances.

 
GR
 

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