Iboga : l’Occident s’enrichit, le Gabon distrait laisse filer son or vert
Gabon, combien de temps resteras-tu spectateur du pillage silencieux de ton trésor botanique ? Alors que le pays peine à protéger efficacement son iboga, les États-Unis s’apprêtent à ouvrir grand les portes d’un marché qui pourrait valoir des milliards de dollars. L’annonce de Robert F. Kennedy Jr. de vouloir légaliser l’ibogaïne amène à s’interroger : les autorités gabonaises mesurent-elles vraiment l’urgence de la situation ? Entre brevets pharmaceutiques, bio-piraterie et appropriation culturelle, c’est tout un patrimoine national qui risque d’échapper définitivement au Gabon si rien n’est fait rapidement.
Le 9 janvier dernier, Robert F. Kennedy Jr., potentiel futur responsable des Services de Santé américains sous l’administration Trump, a annoncé sa volonté de déclasser l’ibogaïne et l’ensemble des substances psychédéliques. Cette déclaration, loin d’être anodine, pourrait marquer un tournant décisif dans l’histoire d’une substance aux enjeux considérables, tant thérapeutiques que géopolitiques et culturelles, dont le Gabon devrait pourtant bien jouir. Le pays étant à l’origine de la découverte et de l’utilisation de l’iboga, plante endémique de son territoire avant sa transplantation dans d’autres contrées.
Les promesses thérapeutiques d’une substance controversée
L’histoire personnelle de Robert F. Kennedy Jr. avec l’ibogaïne n’est pas étrangère à cette prise de position. Ancien toxicomane lui-même, il aurait trouvé la guérison grâce à un traitement à base de cette substance. Aujourd’hui, plus d’une dizaine de brevets américains concernent les applications thérapeutiques de l’ibogaïne, couvrant un large spectre de pathologies : des troubles post-traumatiques à la dépression, en passant par la dépendance aux opiacés et les maladies neurodégénératives comme Alzheimer et Parkinson.
Mais derrière ces avancées médicales se cache une réalité plus complexe. L’ibogaïne, principe actif extrait traditionnellement de l’iboga, plante sacrée du Gabon, fait l’objet d’une véritable course industrielle qui pourrait exclure le pays de son propre héritage. Face aux difficultés d’approvisionnement en iboga, l’industrie pharmaceutique développe des alternatives : extraction à partir de la Voacanga Africana, plus commune, et bientôt, production d’ibogaïne synthétique en laboratoire.
Le pillage d’un patrimoine ancestral
Cette évolution amène à une question cruciale : le Gabon pourrait se voir privé des retombées économiques d’une industrie basée sur ses ressources naturelles et son savoir ancestral, exportés illégalement depuis près de deux siècles.
Le phénomène va au-delà de la simple exploitation des ressources naturelles. On assiste à une véritable appropriation des connaissances traditionnelles gabonaises, notamment des techniques initiatiques du Bwiti. De nombreuses cliniques et laboratoires à travers le monde s’inspirent ouvertement de ces pratiques ancestrales, sans reconnaissance ni compensation pour leurs gardiens traditionnels.
Face à cette situation, des acteurs s’engagent. Yann Guignon, franco-gabonais fondateur de l’ONG Blessings Of The Forest (BOTF), mène depuis 2006 un combat pour la reconnaissance des droits du Gabon. Son action a notamment contribué à l’adoption d’un arrêté, signé par l’ancien ministre des Eaux et Forêts Guy Bertrand Mapangou, le 4 février 2019, interdisant l’exportation de l’iboga hors du cadre du Protocole de Nagoya.
Course contre la montre pour préserver l’héritage gabonais
BOTF poursuit son engagement sur plusieurs fronts. L’ONG participera du 3 au 7 mars prochain à Genève à la 49ème session du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle de l’OMPI. Par ailleurs, elle finance depuis 2018 un ambitieux projet de domestication de l’iboga impliquant 14 associations communautaires gabonaises.
Une première licence d’exportation de 100kg d’iboga a été obtenue en 2023 par l’Association A2E dans l’Ogooué-Ivindo, permettant au Gabon d’exercer un contrôle sur l’utilisation de la ressource et le partage des bénéfices. Cependant, la lourdeur administrative et l’insuffisance des volumes poussent les investisseurs vers d’autres solutions, tandis que le braconnage, principalement orchestré depuis le Cameroun, continue de menacer cette ressource sacrée.
La potentielle légalisation de l’ibogaïne aux États-Unis pourrait accélérer ces dynamiques. Si elle représente une avancée majeure pour la recherche médicale et les patients, elle pose avec encore plus d’acuité la question de la préservation des droits du Gabon sur son patrimoine naturel et culturel.
L’enjeu est désormais de concilier l’accessibilité d’une substance aux vertus thérapeutiques prometteuses avec la protection des droits légitimes du Gabon et de ses communautés traditionnelles. Un défi qui nécessitera une coopération internationale renforcée et une reconnaissance effective des droits de propriété intellectuelle liés aux savoirs traditionnels.
1 Commentaire
Le problème est que un patrimoine se protège. Et il existe des mécanismes pour le faire. Le Gabon devrait d’abord passer par un processus de certification de son Iboga auprès des entités Nationale, mais également Internationales. Sais t ok comment l’Iboga sort il du pays pour arriver outre mer? Quels sont les rapports de l’Office Pharmaceutique National avec les firmes Pharmaceutique extérieures qui utilisent la molécule de cette plante?