Présidentielle durant la grande saison des pluies : Déficit dans la vision d’ensemble
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En convoquant les électeurs le 12 avril prochain, le gouvernement n’a tenu compte ni de sa précédente argumentation ni de l’esprit de l’avis n° 031/CCT du 31 octobre 2024.
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En plaçant la présidentielle en grande saison des pluies, le gouvernement a laissé transparaître un déficit dans la vision d’ensemble, ravivant les critiques sur l’incohérence de l’action publique. © GabonReview
Depuis l’annonce de la date de la prochaine présidentielle, nombre d’observateurs s’interrogent. Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi d’accélérer les choses ? Pourquoi a-t-il pris le risque d’organiser un scrutin aussi déterminant en pleine année scolaire et durant la grande saison des pluies ? Au vu de l’état de notre réseau routier, pourra-t-il déployer et le matériel et le personnel à temps ? Ne risque-t-il pas d’être confronté à des problèmes organisationnels et logistiques, susceptibles de compromettre le bon déroulement du scrutin ou de nourrir les accusations de toute sorte ? À ces questions, les optimistes répondent par la nécessité d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Quant aux sceptiques, ils y voient un subterfuge, une manœuvre politicienne visant à prendre tout le monde de vitesse. Recevables, pertinentes ou discutables, ces réponses ne suffisent pas à apaiser les esprits, à convaincre de la volonté de parvenir à des élections crédibles, c’est-à-dire inclusives, transparentes, compétitives et respectueuses des droits des parties.
Soupçon
D’ici au 12 avril prochain, le ministère de l’Intérieur doit travailler à l’organisation de cette élection. Dans l’immédiat, il doit mettre en place les organes de gestion et leurs démembrements : Commission nationale d’organisation, commissions électorales locales et, Autorité de contrôle des élections et du référendum (Acer). Y parviendra-t-il sans compromettre le bon déroulement de l’année scolaire ? Ne sera-t-il pas contraint d’adapter son rythme de travail à celui des écoles ? Ne devra-t-il pas tenir compte des aléas climatiques ? S’il venait à pleuvoir la veille ou l’avant-veille de la date fatidique, pourra-t-il déployer le matériel et le personnel dans des zones difficilement accessibles ? Déjà, d’aucuns le rappellent : de l’aveu même de l’actuel ministre des Travaux publics, le réseau routier national «ressemble à une jarre trouée». Ne fallait-il pas considérer ce paramètre avant d’arrêter une date ? On n’aura pas la prétention de trancher.
En mai 2023, la révision des listes électorales fut retardée dans plusieurs localités de l’intérieur du pays, faute de routes. À la veille du référendum constitutionnel de novembre 2024, le Premier ministre motiva sa demande de «participation au vote d’une catégorie d’électeurs» par «les fortes intempéries pouvant rendre le déplacement (…) à l’intérieur du pays particulièrement difficile», y voyant une «circonstance constitutive de cas de force majeure». En réponse, la Cour constitutionnelle de la Transition (CCT) autorisa l’ouverture d’«une période exceptionnelle de réclamations». Détail d’importance : il s’agissait alors de petite saison des pluies et pas de la grande, censée intervenir entre mars et juin prochains. Sur ce fondement, l’argument de Raymond Ndong Sima, validé par l’avis n° 031/CCT du 31 octobre 2024, aurait dû gagner en résonance. Or, il n’en a rien été. Sans s’en rendre compte, le gouvernement a ruiné sa précédente argumentation, laissant planer le soupçon.
Cohérence de l’action publique
Pour permettre aux électeurs «de solliciter le changement de centre de vote ou de résidence», la CCT avait implicitement considéré les pluies et «aléas du transport ferroviaire» comme des éléments constitutifs de «cas de force majeure». Pourquoi cet argument n’a pas prévalu cette fois-ci ? Pourquoi le gouvernement a-t-il fait comme s’il n’en avait jamais usé et bénéficié ou comme s’il l’ignorait ? Où l’on en vient à s’interroger sur sa capacité à rester sur la même ligne et sur sa compréhension des avis de la CCT. Même si elle dira ne pas avoir de pouvoir d’auto-saisine, le CCT se trouve indirectement interpellée. Sans minimiser l’importance de la procédure ni l’inviter à la violer, on peut se demander comment a-t-elle reçu cette annonce. Après tout, l’esprit de son avis se trouve ici remis en cause, balayé d’un revers de main par une décision du Conseil des ministres.
Sous le régime déchu et pendant plus de trois décennies, les institutions ont été accusées de prendre les décisions dans leur seul intérêt, sans se soucier de la cohérence de l’action publique. En plaçant la présidentielle en grande saison des pluies, le gouvernement a laissé transparaître un déficit dans la vision d’ensemble, ravivant cette critique. Pourtant, le contenu de la Charte de la Transition laissait augurer d’autre chose. À l’épreuve des faits, ni les valeurs ni les principes énoncés ne semblent respectés. Quant aux objectifs, ils semblent ne plus être ceux de départ. Va-ton s’en sortir ? On l’espère, mais on peut exprimer quelques craintes.
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