S’il regrette que les revendications d’ordre matériel prennent le dessus sur la quête des valeurs nécessaires à une justice fiable, ce mardi 21 janvier le ministre de la Justice a indiqué que la satisfaction des revendications actuelles des magistrats couterait à l’État plus de 25 milliards de francs CFA par an. Paul-Marie Gondjout se demande si ça en vaut la peine, alors que l’opinion n’est pas du tout satisfaite du rendu de la justice. Les réalités sur lesquelles s’adosse ce ressenti n’en ont que plus de pouvoir évocateur.

Paul-Marie Gondjout, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, s’exprimant, le 21 janvier 2025. © GabonReview

 

Au Gabon où greffiers et magistrats ont tour à tour lancé des mouvements de grève face à la non-satisfaction de certaines de leurs revendications, le ministre de la Justice regrette cet état de fait. «L’opinion comprendrait d’autant plus facilement ces avantages si elle était satisfaite des prestations de la justice», a lâché le Garde des Sceaux ce mardi 21 janvier. «A contrario, dans le contexte de l’actualité, l’opinion pourrait-elle comprendre que la satisfaction des revendications actuelles des magistrats coûterait à l’État plus de 25 milliards de francs CFA par an alors qu’elle n’est pas du tout satisfaite du rendu de la justice ?», a-t-il interrogé.

«Il y a un lien indéfectible entre vos devoirs et vos droits», a dit Paul-Marie Gondjout aux personnels judiciaires, leur rappelant que la justice est faite par les équilibres pour éviter une concentration des tâches et des pouvoirs entre les mains d’un seul acteur ; et pour les équilibres tant elle doit s’imposer dans les rapports interpersonnels. Alors que les magistrats crient à l’indépendance de la justice, Paul-Marie Gondjout assure que la nouvelle Constitution la consacre en son article 111 qui stipule que «le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, dans le respect des dispositions de la présente Constitution. Les magistrats ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi».

Quid de l’indépendance de la justice ?

Il souligne tout aussi que les articles 2 et 3 du décret n°0369/PR/MJGS du 17 mars 1999 portant attributions et organisation du ministère de la Justice, Garde des Sceaux, confèrent audit ministère la mission de concevoir et d’appliquer la politique du gouvernement en matière de justice, particulièrement, d’assurer le bon fonctionnement des juridictions placées sous sa dépendance. Dans un contexte global où, le ministère de la Justice, placé sous l’autorité du ministre gardien et conservateur des sceaux de l’État et premier détenteur de l’action publique, assure également la liaison entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire, conformément aux textes en vigueur en la matière.

«Il résulte que la justice constitue une chose commune qui fait l’objet d’une cogestion. Elle n’est nullement l’apanage des magistrats. En réalité, l’indépendance du pouvoir judiciaire se traduit fondamentalement par la soumission du magistrat l’autorité de la loi», a déclaré Paul-Marie Gondjout. «En tant que ministre, je connais les limites de la loi, et ce ne sont pas les sollicitations qui manquent pour pousser le Ministre à y déroger», a-t-il soutenu. S’il relève que les maux qui minent la Justice relèvent de plusieurs problématiques, il indique que la réponse des pouvoirs publics à toutes ces problématiques ne saurait ni être instantanément complète ni être indéfiniment reportée.

Ces réalités qui menacent la bonne administration de la justice

En clair, a-t-il, le traitement des maux qui minent qui le système judiciaire exige une planification qui procède d’un choix politique. «En l’occurrence, la priorité du président de la République et du gouvernement est donnée à l’amélioration de l’environnement professionnel des magistrats et greffiers», a-t-il fait savoir évoquant succinctement les efforts fournis en ce sens et opposant aux personnels judiciaires, des questionnements traduisant l’image très peu reluisante de la justice au sein de l’opinion. Entre autres, le maintien en détention des personnes ayant purgé leurs peines, les cas de détention préventive au-delà du délai légal sans décision judiciaire, procédure de référé durant des années, procédure abrégée et procédures de flagrance traitées comme procédures ordinaires.

Dossiers relatifs à l’état des personnes et aux successions sans réponse pendant plusieurs mois voire des années, durée excessivement longue des procédures collectives d’apurement du passif, faible taux d’exécution des peines d’amende, les lenteurs dans la mise à disposition des copies et expéditions des jugements aux parties, disparition des dossiers et l’absence de leurs traces dans les registres institués par la loi, jugements rendus à l’insu des parties pour leur priver des voies de recours prévues par la loi, recours formés non transmis à la juridiction compétente plusieurs mois, voire des années plus tard, délibérés non vidés aux dates indiquées aux parties ni même prorogés.

Mais encore…

Décisions prises en cours de délibéré altérées unilatéralement par un membre du collège délibérant. Est-il conforme à la loi que le nom d’un magistrat qui n’a pas assisté aux débats et à la délibération puisse figurer sur le jugement ? Est-il normal que les magistrats du siège puissent à l’insu de leurs collègues du Parquet, se rendre dans des commissariats de police et les brigades de gendarmerie pour poser des actes de trafic d’influence ? a interrogé le ministre décrivant des réalités qui menacent la bonne administration de la justice. «Il devient inacceptable de rester insensible face à cette triste réalité», a soutenant Paul-Marie Gondjout.

Alors que les services judiciaires sont au centre d’un atelier, il assure que «la nécessité se fait ainsi de plus en plus sentir de procéder à une autopsie de l’écosystème organisationnel et fonctionnel de la justice». Une perspective qui appelle à confronter la lettre des textes organiques et les pratiques d’autant plus que les rapports d’inspection relatifs au fonctionnement et à l’organisation de la Justice postulent la perfectibilité des pratiques et usages des services judiciaires. Il rappelle «la nécessité pour les élites de la magistrature de construire elles-mêmes leur indépendance en responsabilité dans l’obligation qu’elles ont de rendre la justice au nom de la loi et du peuple gabonais».

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Mike dit :

    Monsieur le ministre ne regrette certainement pas que ,  » alors que l’opinion n’est pas du tout satisfaite » de la pléthore des ministres, sénateurs, députés, généraux de corps d’armée ,…, la quête des privilèges indus qui s’y rattachent, prenne le dessus sur la recherche de la satisfaction des besoins primaires des populations meurtries par l’augmentation tout azimut des coûts des produits de première nécessité.
    Soit dit! Combien coûte finalement à l’Etat, chaque année, la pléthore des ministres, sénateurs, députés, généraux de corps d’armée,…? N’est-ce pas une forme  »non fiable » d’injustice qu’il conviendrait à corriger ?

    • Biswe dit :

      N’entrainer pas la confusion et l’amalgame.

      Il est ministre de la Justice, et cela seul suffit déjà .

      Sinon, vous pourrez aisément poser la question au « candidat naturel de la transition « (comme c’est le jargon chez nous) lors des prochaines élections présidentielles

      Bien à vous!

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