Quand la politique dévore l’administration : le cas Éric Joël Békalé
La révocation brutale, en Conseil des ministres, d’Éric Joël Békalé de son poste d’Ambassadeur Itinérant ravive les craintes d’une chasse aux sorcières au sein de l’administration gabonaise. Cette mise au ban, vraisemblablement motivée par ses liens, pourtant séculaires et purement amicaux, avec une figure de la nouvelle opposition et par son alliance matrimoniale avec l’avocate de la famille Bongo, révèle la fragilité persistante de l’État de droit dans le Gabon post-coup d’État.
Le tout dernier Conseil des ministres a acté le limogeage d’Éric Joël Békalé, ancien ministre délégué auprès du ministre des Transports, diplomate de carrière, auteur reconnu et président de l’Union des écrivains du Gabon (Udeg), de sa fonction d’Ambassadeur Itinérant en charge de la Cellule d’Analyse et de Prévision (CAP). Dans l’opinion publique gabonaise, cette décision interroge quant à sa justification tant elle met en évidence des pratiques qui brouillent les frontières entre administration et politique au Gabon.
La décision du Conseil des ministres, qui s’apparente davantage à une sanction politique qu’à une mesure administrative justifiée, illustre la précarisation croissante des fonctionnaires de carrière au Gabon. En principe et dans bien d’autres pays, le statut d’ambassadeur Itinérant, relevant du corps diplomatique et non de nominations politiques, devrait être protégé des aléas du pouvoir.
Une sanction politique déguisée ?
Dans de nombreux cercles, l’origine présumée de cette éviction cristallise les inquiétudes et alimente les débats : une photographie largement diffusée sur les réseaux sociaux, quelques jours seulement avant le Conseil de ministres, montre M. Békalé partageant un repas avec Alain-Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre désormais figure de l’opposition au régime du Général Oligui. La vraisemblable surveillance des relations personnelles des hauts fonctionnaires évoque, en elle-même, des pratiques de contrôle social préoccupantes.
«J’aimerais comprendre. Alain-Claude est son frère. Ils se connaissent depuis l’âge de 11 ans. Ils ont fait de la 6ème en 3ème dans les mêmes classes. Partagé bien de choses tout le long de leurs vies. Cette fraternité doit-elle cesser parce que Bilie-By-Nzé s’oppose maintenant au nouveau pouvoir ?», rapelle et questionne un internaute sur Infos Kinguélé Libre, grande plateforme gabonaise de discussion sur Facebook.
La situation est d’autant plus étonnante que le parcours professionnel de M. Békalé, ministre délégué auprès du ministre des Transports sous Ali Bongo, est exemplaire, de l’avis de nombreux agents du ministère des Affaires étrangères. Après près de 30 ans de carrière, ses compétences sont unanimement reconnues au sein de son administration. «Il n’a jamais été sanctionné. Jamais une plainte n’a été formulée contre lui. Aucun Conseil de discipline n’a été réuni à son sujet», témoigne un fonctionnaire de la centrale diplomatique. «Est-ce cela la restauration de l’Administration gabonaise ?», interroge un autre Facebookeur.
Une dimension supplémentaire complique l’analyse des internautes : son mariage avec Me Gisèle Eyué Bekalé, avocate de premier plan représentant notamment Sylvia Bongo et Noureddin Bongo dans les procédures post-coup d’État. Cette connexion familiale pèserait-elle, lourdement elle aussi, dans la balance politique ?
Un appel à une administration neutre
Le cas Éric Joël Békalé révèle en tout cas une pathologie profonde de l’État gabonais : la confusion délétère entre administration et politique. La politisation systématique de la fonction publique, où les carrières administratives sont à la merci des fluctuations politiques, sape en effet les fondements même d’un État moderne et efficace. Cette pratique, héritée de décennies de gouvernance défaillante, menace directement la professionnalisation et la stabilité des institutions gabonaises. À l’effet de quoi, un fonctionnaire commente : «Ce sont les politiques qui font et défont les carrières des administratifs. Sans jamais tenir compte de leurs états de service, de leur ancienneté, de leur grade et de leur corps, de leur parcours et de leurs compétences… Et on s’étonne après d’avoir une administration de bras cassés, totalement défaillante».
L’éviction d’Éric Joël Békalé apparaît ainsi comme un signal d’alarme : la «restauration» promise par le nouveau régime risque de perpétuer les dysfonctionnements qu’elle prétendait corriger, compromettant davantage l’intégrité et l’efficacité de l’appareil d’État gabonais. Le cas de ce fonctionnaire et ancien ministre ainsi que les commentaires y relatifs résonnent comme un appel à des réformes profondes pour garantir l’indépendance de l’administration et restaurer la confiance dans les institutions. Sans une séparation claire entre politique et gestion publique, le Gabon risque de prolonger une spirale d’inefficacité et de déclin institutionnel.
6 Commentaires
Éric Joël Békalé, haut fonctionnaire d’une administration supposée neutre, a lui-même partagé une photo d’une rencontre privée avec Alain Claude Bilié Bi Nze, une figure politiquement marquée dans l’opposition au pouvoir en place. Un geste audacieux, il faut le reconnaître. À un tel niveau de responsabilité, il est évident qu’il faut être prudent sur ce que l’on partage sur les réseaux sociaux. Était-ce une forme de provocation ? Je ne cautionne pas la politisation de l’administration, mais, honnêtement, peut-on vraiment croire que le CTRI est en mesure de transformer le Gabon en un paradis démocratique en si peu de temps ? Il savait ce qu’il faisait en partageant ces photos privée sur ses réseau en ces temps de lutte politique entre Bilie Bi Nze et les tenants du pouvoir.
Bonjour les amis,
Nous connaissons la proximité de Monsieur Eric Joël Bekale avec http://www.gabonreview.com, en témoigne la présence des uns et des autres au Chasse-Spleen, mais sachons raison garder.
Éric Joël Bekale avait la responsabilité de la Cellule d’Analyse et de Prévision (CAP), c’est-à-dire un instrument stratégique du de la diplomatie Gabonaise. Cette fonction induit une obligation de loyauté et même de loyalisme.
C’edt parce qu’il est l’intime de Monsieur Billie Bi Nze que ce dernier le fit nommer au Gouvernement comme Ministre Délégué jusqu’au Coup d’Etat. Malgré cela, Monsieur Régis Onanga l’a proposé à la nomination dans la fonction de patron de la CAP.
En publiant lui-même cette photo privée sur les réseaux sociaux, Éric Joël Bekale a voulu montrer à l’opinion sa loyauté envers son ami. Il doit en assumer les conséquences. Il reste fonctionnaire du MAE et peut désormais librement s’afficher avec qui il veut.
Vous parlez de démonstration de loyauté. Est-ce donc blâmable ? M. Bilie-By-Nze serait-il devenu un pestiféré dont les amitiés et fraternités sont interdites à l’affichage public ? N’y a-t-il pas un distinguo à établir entre la vie sociale et l’activité politique ?
Par ailleurs, quand donc voyez-vous souvent les membres de GabonReview au café dont vous parlez, où il n’est d’ailleurs pas interdit de s’arrêter. Vous vous méprenez sur un nom de famille dont l’entièreté des membres n’est pas sociétaire de GabonReview. Et même si, serait-il interdit à un média de s’interroger sur une actualité concernant une connaissance ? La chasse aux sorcières et les procès d’intention ont plusieurs facettes. Attention aux clivages inféconds. Ça ne fait pas progresser notre démocratie.
Non, rassurez-vous nous ne nous méprenons guère, le Directeur de la Publication de http://www.gabonreview.com est lui aussi un habitué du Chasse Spleen que ses autres frères.
Ceci dit, Éric Joël Bekale n’a pas été licencié. Il a été déchargé de sa fonction. Le Ministre des Affaires étrangères ne peut proposer ou maintenir à la tête de la CAP une personne compétente et de confiance. L’intéressé rempli assurément la première condition et pas la seconde. Le scandale serait qu’il se retrouve sans emploi. Ce qui pour le moment n’est pas le cas.
Vous ne pouvez pas jurer, la main sur le cœur ou la Bible, y avoir vu le DP de GabonReview une seule fois durant l’année qui s’achève. Ceci dit, notre proximité avec certaines personnalités publiques et même certains membres du gouvernement, nous interdit-elle de traiter l’actualité les concernant ? Soit !
Il reste que vous empruntez des raccourcis et assénez la pensée commune sinon vulgaire comme arguments. Cet article, depuis son titre, pose le problème de la séparation entre la politique et l’administration publique, en dessous des ministres et leur cabinets. Le cas E.J. Békalé est un révélateur.
Primo, la séparation entre la politique et l’administration s’applique dans les 2 sens. À ce titre, M. Ntoutoume Ayi à montré l’exemple et votre journal s’en est fait l’echos. On parle alors d’obligation de réserve.
Secundo, la CAP est directement rattachée au Cabinet du Ministre des Affaires étrangères.