En moins d’une semaine, Hervé Patrick Opiangah est passé du statut d’homme politique influent à celui de fugitif. Après avoir critiqué le référendum constitutionnel du 16 novembre et dénoncé un accord controversé de 65 milliards de FCFA avec la société Webcor, l’ancien ministre des Mines de la transition fait l’objet d’une vaste opération judiciaire. Perquisitions nocturnes, interpellations familiales, accusations troubles : une enquête aux allures de règlement de comptes politique qui met à l’épreuve les promesses démocratiques du régime de transition. Tout ce qu’il faut savoir de cette affaire où se mêlent enjeux de pouvoir, millions évaporés et soupçons de complot.

«Des stratagèmes pour m’accuser d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation» – extrait de la plainte d’Hervé Patrick Opiangah déposée quelques heures avant les perquisitions. © GabonReview (montage)

 

Alors que l’atmosphère politique y est encore relativement fragile, le Gabon se retrouve secoué par une affaire qui transcende les simples arcanes judiciaires. Hervé Patrick Opiangah (HPO), président de l’Union pour la Démocratie et l’Intégration Sociale (UDIS), ancien ministre des Mines de la transition et figure singulière du paysage politique national, se retrouve au cœur d’une série d’événements mêlant accusations judiciaires, perquisitions musclées, et soupçons de motivations politiques.

«Mon général, ce n’est pas ce qu’on s’est dit»

Avant cette crise, HPO, comme on le surnomme, jouissait d’une position privilégiée. Ancien intime d’Ali Bongo, il avait su rebondir après le coup d’État en jouant un rôle d’intermédiaire crucial entre l’opposition et le général Oligui Nguema. Dans certains cercles, il était perçu comme le seul civil du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Certains lui prêtent même un rôle dans le déferlement des populations, surtout des jeunes, dans les rues de Libreville dans la matinée ayant suivi le coup d’État nocturne. Cette habileté politique lui avait valu le portefeuille des Mines dans le premier gouvernement de transition, dont il fut écarté en janvier 2024.

Le 14 novembre 2024, dans une sortie remarquée, l’ancien ministre des Mines interpelle publiquement le général Oligui Nguema : «Mon général, ce n’est pas ce qu’on s’est dit.» Cette intervention, suivie d’un appel à voter «Non» au référendum constitutionnel du 16 novembre, marque le début d’une série d’événements inquiétants pour lui. Hervé Opiangah a publiquement critiqué un texte jugé inéquitable et manipulatoire, accusant le gouvernement de transition de sous-estimer les citoyens.

Mais, au cœur des tensions figure également le contentieux Webcor, une affaire aux enjeux financiers considérables. Le 21 juin 2018, cette société avait perdu un procès contre l’État gabonais devant la cour d’appel de Paris. Pourtant, un récent accord transactionnel prévoit le versement de 65 milliards de francs CFA par le Gabon à Webcor. Hervé Opiangah s’est publiquement élevé contre cet arrangement qu’il qualifie «d’escroquerie manifeste», une prise de position qui pourrait avoir précipité sa chute.

72 heures de turbulences judiciaires

Tout commence le mercredi 20 novembre 2024, lorsque Hervé Patrick Opiangah est convoqué par la Direction des affaires criminelles, située au sein de l’État-Major des Polices d’enquêtes judiciaires. La convocation, reçue à 10 heures pour une comparution deux heures plus tard, soulève immédiatement des questions sur son timing. Ce délai restreint, qualifié d’«insuffisant» par ses avocats, pousse ces derniers à demander un report, invoquant leur incapacité à préparer une défense adéquate. Malgré leur démarche, l’audition est maintenue, mais HPO choisit de ne pas s’y rendre.

Selon des sources proches du dossier, la convocation porterait sur une affaire de mœurs, notamment une accusation présumée d’inceste. Toutefois, les actions entreprises par les forces de l’ordre laissent planer un doute sur les véritables intentions des autorités. Tandis que ses avocats, Gisèle Eyue Bekalé, Jean Paul Moumbembe et Célestin Mba Ondo, se battent pour obtenir des informations claires, la situation s’aggrave avec des perquisitions successives.

Dans l’après-midi du 20 novembre, le domicile d’HPO est fouillé par des agents de police et de la Garde Républicaine. Des coffres contenant de l’argent liquide et des bijoux sont saisis. Plus tard, le siège de l’UDIS, situé à Owendo, est également pris d’assaut. Les forces de l’ordre enfoncent des portes, interrogent le personnel sous la menace et procèdent à des fouilles méticuleuses. La résidence secondaire de l’homme politique, ainsi qu’une ferme lui appartenant située un peu après la commune de Ntoum, subissent le même sort. Ces interventions, effectuées sans mandat confirmé, suscitent au sein de l’opinion, notamment de la presse locale, des critiques sur leur légitimité.

Arrestations en cascade dans l’entourage de HPO

L’escalade atteint un sommet dans la nuit du 20 au 21 novembre, lorsque plusieurs proches de HPO sont arrêtés. Parmi eux, sa fille Élisabeth, sa femme Lucie, deux de ses fils, et d’autres membres de sa famille élargie. Si certains sont relâchés peu après, ces arrestations renforcent le sentiment d’une pression coordonnée contre l’ancien ministre. L’enquête s’étend jusqu’à la clinique de son frère, le Dr Cyril Mouyopa, président du Conseil de prévention de l’organisation nationale antidopage du Gabon. Son autre frère César et son neveu Warren sont également interrogés.

Parallèlement, des perquisitions touchent les bureaux de son avocat, Me Moumbembe, et d’autres lieux associés à HPO, suggérant une opération d’envergure aux ramifications encore inconnues.

Questions et implications d’une affaire complexe

L’affaire prend un tournant inattendu lorsqu’on apprend qu’Opiangah a lui-même déposé une plainte contre X le 20 novembre au parquet de Libreville. Il accuse des dignitaires proches du CTRI de comploter contre lui. Plus exactement, la plainte mentionne une réunion secrète entre «hautes personnalités» où des stratagèmes auraient été planifiés pour l’accuser «d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation».

Dans l’opinion, cette affaire soulève des interrogations cruciales sur la nature du régime de transition. Comment interpréter ces méthodes d’investigation musclées, rappelant les pratiques d’un passé que le CTRI prétendait révolu ? La simultanéité entre la position politique d’Opiangah sur le référendum et le déclenchement des poursuites interroge sur l’indépendance de la justice.

L’absence de mandat de perquisition confirmé lors des interventions nocturnes, la précipitation des procédures, et le caractère spectaculaire des opérations suggèrent une instrumentalisation possible de l’appareil judiciaire à des fins politiques. Les rumeurs citées plus haut d’une accusation d’inceste, évoquées sans fondement apparent, ajoutent une dimension mystérieuse à cette affaire.

Cette affaire constitue en tout cas un test majeur pour la transition gabonaise. Elle met en lumière les tensions entre les promesses de renouveau démocratique et la persistance de réflexes autoritaires. La suite de cette affaire sera scrutée comme un indicateur de la capacité du régime de transition à gérer la dissidence politique dans le respect de l’État de droit. En attendant, Hervé Patrick Opiangah reste introuvable, son téléphone coupé, laissant planer le doute sur son sort et sur l’avenir de la démocratie gabonaise.

Dernières nouvelles : Selon un confrère proche du dossier, Réfugié à l’ambassade des États-Unis à Libreville, Hervé Patrick Opiangah sollicite l’asile politique. La justice gabonaise compte cependant demander son extradition après avoir entendu son épouse, révélant des accusations de viol et de détournement de mineur par ascendant. Un élément troublant : l’épouse serait la mère de la victime présumée.

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Gayo dit :

    Tout ca pour Opinanga? Une personnalité controversée au cœur du système de prédation des Bongo. Plus qu’un simple homme politique, il est une figure aux capacités de nuisance considérables, notamment grâce à son contrôle sur la SGS, une entreprise de sécurité bénéficiant d’un monopole injustement maintenu par le régime. Sur le plan politique, Opiangah ne représente pas une réelle menace, pas plus que Bilie Bi Nze, qui a été le principal artisan de la campagne pour le « non », utilisant des arguments fallacieux et un discours particulièrement virulent.

    Si Opiangah est, comme certains le prétendent, persécuté, ce n’est certainement pas en raison de ses opinions politiques, mais plutôt à cause de ses présumées activités illégales visant à déstabiliser le régime et, par extension, la nation. Si le but était d’éliminer un adversaire politique, Bilie Bi Nze serait une cible bien plus logique. Contrairement à lui, Opiangah n’a mené aucune campagne pour le « non » et n’a pas prononcé de discours marquant. Un seul appel au non, probablement dans une tentative de se présenter comme une victime politique et un martyr parce qu’il était conscient que son heure avait sonné.

    Il s’agit plutôt de la chute d’un des piliers de l’ancien régime, qui, dans l’impunité totale, a commis des actes criminels. Il est temps de démanteler la SGS, afin de permettre à d’autres Gabonais de trouver leur place dans ce secteur et d’instaurer une concurrence équitable. Cela épargnerait également les Gabonais de l’exploitation imposée par les agents de la SGS et favoriserait une nouvelle dynamique économique plus juste.

  2. MONSIEUR A dit :

    Du déjà vu en République Gabonaise…..

    HPO, La YOUNG TEAM, BLA et ses boys, Héritage & Modernité, etc…

    Ne faisons pas semblant de ne pas comprendre le contexte politique Gabonais. L’oiseau oubli souvent le piège, mais le piège n’oublie jamais l’oiseau.

    Ainsi fonctionne le GABON et le Monde des Humains.

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