[TRIBUNE] Référendum 2024 : Tentative de décodage du projet de Constitution
Téphy-Lewis Edzodzomo Nkoumou, Docteur en Droit public, propose dans cette tribune une brève analyse du projet de Constitution soumis à l’approbation ou non des Gabonais ce samedi. L’enseignant-chercheur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l’Université Omar-Bongo (UOB) de Libreville assure n’appeler à voter ni pour le OUI ni pour le NON, mais souhait simplement «révéler ses subtilités afin de faciliter sa compréhension». Le but étant de «clarifier la manière dont ce texte garantie les Droits et sépare les pouvoirs».
En tant que « norme en gestation », le projet de Constitution de 2024 retiendrait difficilement l’attention de la doctrine constitutionnaliste. Car, l’un des buts du droit constitutionnel est d’étudier non pas les « normes en devenir » mais les « normes valides », c’est-à-dire les règles de droit constitutionnel en vigueur dans une société donnée. Autrement dit, tant que la normativité du projet de Constitution ne sera pas actée, par voie référendaire, toute réflexion portée sur ce texte serait vil d’intérêt scientifique. Est-ce pour autant qu’il faut s’abstenir de le commenter ? Assurément non, ce, pour deux grandes raisons au moins. D’abord, le projet de Constitution soumis à référendum pourrait, en cas d’approbation, marqué l’avènement de la 5e République Gabonaise (il y a République toutes les fois qu’on adopte une nouvelle Constitution, et non quand une Constitution est révisée. Ainsi, on parle de 5e République gabonaise car 4 Constitutions ont déjà été adoptées à ce jour : la Constitution du 19 février 1959 ; la Constitution du 14 novembre 1960 ; la Constitution du 21 février 1961 et la Constitution du 26 mars 1991). Ce faisant, ce projet lierait le peuple Gabonais pour les années futures. Afin de mieux se prononcer sur son approbation ou son rejet, il importe alors que le peuple soit édifié sur son contenu. Or, plus qu’un texte, la Constitution est un véritable « code », et seuls les experts, les constitutionnalistes, peuvent « la décoder ». C’est la raison pour laquelle leurs analyses sont indispensables en cette période historique. En outre, la clarification de ce texte est un devoir dont devrait s’acquitter le constitutionnaliste, surtout s’il est enseignant-chercheur tant la compréhension de cette loi requiert de la pédagogie.
C’est fort de toutes ces considérations que la présente contribution se propose d’analyser les grandes tendances du texte constitutionnel soumis à l’appréciation souveraine du peuple. Le but de cette étude n’est donc pas d’inviter les lecteurs à voter pour l’approbation ou le rejet du texte examiné mais de révéler ses subtilités afin de faciliter sa compréhension. Pour y arriver, on s’efforcera de clarifier la manière dont ce texte garantie les Droits (I) et sépare les pouvoirs (II). Il s’agit, selon l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, des deux impératifs que doit remplir toute constitution.
I. Une protection indéniable des Droits fondamentaux
Pour mieux apprécier le degré de protection des droits fondamentaux par le nouveau projet de constitution, il convient de voir tour à tour les nouveaux droits protégés (A) et le rôle assigné aux protecteurs de ces droits (B).
A. La consécration de nouveaux Droits
En comparant la Constitution du 26 mars 1991 et le projet de constitution de 2024, il ressort que le nouveau texte renforce la protection des Droits, Valeurs, Libertés et Principes fondamentaux. En effet, en 1991, le Préambule de la loi fondamentale reconnaissait les droits proclamés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la Charte nationale des libertés de 1990. De plus, un titre préliminaire consacrait 24 principes fondamentaux, à savoir : l’interdiction des traitements dégradants, inhumains et la torture (1) ; l’affirmation de la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication, de pratique religieuse (2) ; la liberté d’aller et venir (3) ; les droits de la défense à l’occasion d’un procès (4) ; le secret de la correspondance (5) ; l’intimité personnelle et familiale des personnes (6) ; le droit d’obtenir un emploi (7) ; le droit à la santé et à la sécurité sociale (8) ; le droit à la protection et à l’assistance de l’État pour les gabonais résidant à l’étranger (9) ; le droit de propriété (10) ; le droit de résidence (11) ; l’inviolabilité du domicile (12) ; la liberté d’association, le droit syndical, la liberté de former des partis politiques (13) ; le mariage comme union entre deux personnes de sexe différent (14) ; la nécessité pour l’État d’organiser un recensement de la population tous les dix ans (15) ; le devoir d’éducation des parents (16) ; la protection de la jeunesse par l’État (17) ; l’égal accès à l’instruction et à la formation professionnelle (18) ; la neutralité et la gratuité de l’enseignement public (19) ; la solidarité et l’égalité de tous devant les charges publiques (20) ; le devoir de défendre la patrie (21) ; l’interdiction des milices (22) ; l’interdiction des détentions arbitraires (23) et l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux (24).
Tout en reprenant ces principes et droits fondamentaux, le projet de Constitution de 2024 en proclame d’autres. Dès le Préambule, il fait allusion à Dieu, à l’Histoire, comme en 1991, mais innove en mentionnant nos Ancêtres. Par cet ajout, le constituant valorise nos traditions, nos cultures, et témoigne son attachement à la maxime africaine selon laquelle « les morts ne sont pas morts ». Puis, le projet en discussion entend proscrire le « vivre-avec » et promouvoir un « vivre-ensemble ». La différence est fondamentale tant le vivre-ensemble est l’une des manifestations de l’unité nationale. Son essor passe nécessairement par la promotion des mariages entre les différentes ethnies et, surtout, par le rejet de toute politique basée sur le repli identitaire, le tribalisme et le régionalisme. Le nouveau texte est également en adéquation avec les impératifs de notre temps parce qu’il tient compte de la nécessité de préserver l’environnement, l’écosystème, et donc garantit un avenir meilleur aux générations futures : il constitutionnaliste un droit au développement durable.
Par ailleurs, le projet de Constitution opère une légère rupture avec l’ancien texte parce qu’il supprime la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. De prime abord, cette suppression pourrait sembler regrettable car cette Déclaration contient 17 principes indéfectiblement attachés à l’État de droit. Mais, à la vérité, son retrait est opportun pour deux raisons. Premièrement, c’est un texte d’origine française, à la différence des autres Déclarations dont l’universalité, lors de leur adoption, est plus affirmée. Le Gabon pourrait donc s’en passer. En second lieu, tous les droits proclamés dans la Déclaration de 1789 sont repris tant par les autres Déclarations reconnus que par d’autres dispositions du projet. Dès lors, il n’y a pas suppression des droits et tous griefs de cette nature est inopérant.
Au contraire, la particularité du nouveau projet est de consacrer de nombreux droits fortement attendus par les Gabonais. Sans être exhaustif, on mentionnera : l’accès à l’eau potable et à l’énergie ([article 37, al.2] ce qui veut dire que les coupures d’électricité seront prohibées et que tous les gabonais devront bénéficier d’une eau potable), la liberté de manifestations ([article 22] ce qui veut dire que les manifestations publiques ne seront plus réprimées par les violences policières), la liberté d’entreprendre (article 12), l’interdiction du clonage des êtres humains (article 11), le droit de travailler, d’obtenir un emploi et un salaire équitable (article 23), le droit à la bonne gouvernance (article 40). Outre ces principes, le nouveau projet garantit de nombreuses valeurs (article 9) tout en imposant des devoirs non négligeables à l’État et aux citoyens (chapitre 2, articles 27 à 40). On peut néanmoins regretter que le droit à l’internet, prévu dans le premier projet de constitution, ait été supprimé dans le projet final. L’admission de ce droit aurait pourtant contribuer au renforcement de la transparence électorale du fait de la diffusion des résultats électoraux qu’il facilite. Dans l’ensemble, le projet de Constitution de 2024 consacre plus de droits et libertés que le texte de 1991. Mais quels sont les mécanismes de protection prévus ?
B. La protection des Droits consacrés
La reconnaissance explicite d’un droit, d’un devoir, d’une liberté ou d’une valeur n’entraine pas immédiatement son effectivité. En réalité, l’effectivité de ces instruments est conditionnée par le dynamisme des pouvoirs publics. L’article 10 du projet de constitution de 2024, reprenant l’article premier du titre préliminaire de la Constitution de 1991, l’atteste en ces termes : « La République Gabonaise reconnait et garantit les droits inviolables et imprescriptibles de l’Homme, qui lient obligatoirement les pouvoirs publics ». En conséquence, les principes et valeurs affirmés par cette potentielle loi fondamentale doivent nécessairement être garantis par les pouvoirs publics, à savoir : le Législateur, l’Exécutif et les Juges. En vertu de cet impératif constitutionnel, députés et sénateurs ne sauraient adoptés des lois iniques ou liberticides. Quant à l’Exécutif, le Président de la République, les Ministres et autorités décentralisées et même déconcentrées ne peuvent méconnaître ces instruments lors de l’application de la loi. Pour que cette exigence ne demeure pas un simple vœu pieux, c’est aux juges qu’incombent la charge de veiller au respect de ces principes consacrés. À l’analyse du projet de constitution de 2024, il ressort que si l’office des juges judiciaire, financier et administratif n’a pas véritablement changé en la matière, il en va autrement de celui du juge constitutionnel. En effet, le constituant de 2024 l’habilite à s’auto-saisir pour contrôler la constitutionnalité des lois et ordonnances censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Si cet office semble actuellement ériger le juge constitutionnel en juge administratif, notamment parce qu’il connait des recours pour excès de pouvoir en matière d’acte réglementaire, tout porte à croire qu’il pourrait également le transformer en juge judicaire dans la mesure où le constituant de 2024 lui donne la compétence de statuer « généralement sur les violations des droits de la personne humaine » (article 119 alinéa 3). En effet, c’est le juge judiciaire qui est traditionnellement chargé de protéger les droits de la personne humaine. Pour ce faire, il est saisi au moyen d’une plainte, et non d’un recours (comme l’est le juge administratif en matière d’excès de pouvoir) encore moins d’une requête (comme l’est le juge constitutionnel en contentieux électoral par exemple). Ce faisant, les types de sanctions qu’il inflige aux acteurs de violations des droits humains ont un caractère pénal : amende et peines privatives de libertés. Or, la Cour constitutionnelle Gabonaise ne condamne pas les parties aux dépens. Ainsi peut-on se poser la question de savoir si, en octroyant au juge constitutionnel le droit de statuer généralement, et non exceptionnellement, sur les violations des droits humains, le constituant de 2024 ne l’invite pas à partager cet office avec le juge judiciaire. La question est digne d’intérêt tant, en droit comparé africain, notamment au Bénin, le juge constitutionnel est aussi juge judiciaire. Puis, si la Constitution actuelle fait du juge constitutionnel un juge administratif d’exception, rien n’interdit de penser que le constituant de 2024 veut également l’amener à devenir un juge judiciaire original. Dans tous les cas, force est de reconnaître que ce nouvel office constitue une avancée dans le mécanisme de protection des droits fondamentaux. Il en est ainsi car le juge constitutionnel pourrait doublement sanctionner les autres pouvoirs publics, législateur et exécutif, en cas de méconnaissance des droits fondamentaux. Il pourrait non seulement les sanctionner virtuellement, en invalidant un texte contraire aux principes fondamentaux, mais aussi dans la pratique, toutes les fois qu’il serait saisit de voies de fait. Ce faisant, la Cour Constitutionnelle jouerait un rôle de contre-pouvoir. Reste à savoir si les autres pouvoirs ne pourraient pas la brider.
II. Une timide séparation des pouvoirs
Il convient d’apprécier la manière dont le projet de constitution promeut la séparation des pouvoirs tant au niveau horizontal, c’est-à-dire entre les différents pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel (A), qu’à la verticale, entre l’État et les collectivités locales (B).
A. La timide séparation horizontale des pouvoirs
En droit constitutionnel, le terme pouvoir désigne à la fois un organe et une fonction. Au sens organique, le pouvoir se rapporte aux différents gouvernants, aux acteurs étatiques. Au niveau de l’Exécutif, ces organes sont : le Président de la République, les Ministres, les Gouverneurs, les Préfets, les Maires, les Recteurs, etc. Le Législatif, lui, est composé des Députés et des Sénateurs. Quant au Juridictionnel, enfin, il comprend le juge administratif, le juge judiciaire, le juge financier et le juge constitutionnel. Dans son acception fonctionnelle, le pouvoir s’entend non plus comme un acteur étatique titulaire d’une compétence mais comme une mission assignée à l’État. À ce propos, trois grandes missions sont dévolues à l’État : l’élaboration de la loi, son application et le règlement des litiges.
Fort de cette distinction, il résulte de l’analyse du projet de constitution de 2024 que si la séparation des organes est apparente, la séparation des fonctions ne pourrait être effective. En réalité, il y a certes une distinction des organes perceptible à la lecture des titres III (sur l’Exécutif), IV (sur le Législatif), VI et au chapitre 3 (sur la justice ou le Juridictionnel), mais surtout un partage de fonctions, de missions, d’activités entre tous ces organes. La fonction Législative, à titre d’exemple, est partagée entre le Président de la République et le Parlement car tous deux disposent de l’initiative des lois (article 100). Techniquement, cette fonction est également exercée par les juges du fait de leur activité jurisprudentielle, c’est-à-dire, lorsqu’ils dégagent les grands principes du droit au moyen de leur interprétation. S’agissant particulièrement du Conseil d’État, sa fonction législative est indéniable dans la mesure où il participe à l’édiction des projets de lois à travers ses avis consultatifs. La fonction juridictionnelle n’est pas en reste. Normalement dévolue aux juges administratif, judiciaire, financier et constitutionnel, elle est aussi exercée par les parlementaires et même le Président de la République. Alors que les parlementaires pourraient intervenir dans l’activité juridictionnelle à l’occasion d’un procès devant la Haute Cour de Justice (article 138), le Président de la République assume cet office par le truchement de son droit de de grâce (article 58) et en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature (article 128, alinéa 2). Enfin, la fonction Exécutive n’échappe pas à cette règle de partage. Elle est exercée par les juges, et pour ne retenir que cette illustration, car dire le droit revient à l’appliquer, et donc à l’exécuter.
En tenant compte de cette collaboration entre les pouvoirs, tout porterait à croire que le projet promeut un régime parlementaire, car c’est dans ce genre de régime que le partage des pouvoirs est valorisé. Or, le constituant ayant opté pour un présidentialisme, cette collaboration des fonctions est un leurre. À la vérité, le projet analysé confère des fonctions à chaque pouvoir mais ne les place pas sur une situation égalitaire. L’examen du projet révèle en effet une potentielle supériorité du Président de la République sur le Parlement. Deux raisons peuvent légitimer cette assertion. D’abord, le président est irresponsable à la fois politiquement, parce qu’il ne peut être renversé par le Parlement, et pénalement, tant sa destitution par la Haute Cour de Justice demeure improbable. Il suffit de lire les articles 136, 137, 138, 138, 139 et 140 du projet de constitution de 2024 pour s’en convaincre. À l’article 138, par exemple, il est clairement indiqué que le Président choisit 7 des 13 juges censés le juger. Une telle hypothèse nous parait logiquement improbable dans la mesure où on image mal un accusé choisir, comme juges, s’il en a la possibilité, ceux qui ne sont pas acquis à sa cause. En outre, le droit de dissolution (article 62) confèrerait une hégémonie au Président de la République sur le Parlement. Il pourrait en être ainsi tant le Parlement ne dispose pas de moyens similaires à l’égard du Président de la République.
En réalité, bien qu’il semble consacré un déséquilibre entre les pouvoirs Exécutif et Législatif, ce droit de dissolution n’est pas pour autant inutile et inadapté à la logique du présidentialisme. Au contraire, utile, il l’est parce qu’il permet au Président de la République de discipliner le Parlement dans l’hypothèse où cette institution voudrait développer une politique différente de la sienne. C’est, entre autres, l’absence de ce droit dans la Constitution Gabonaise du 14 novembre 1960 qui facilita l’essor d’un régime conventionnel (régime dans lequel l’Assemblée nationale est toute puissante) alors que le texte prévoyait un régime parlementaire (régime dans lequel les pouvoirs collaborent). C’est le lieu de souligner que si l’élection présidentielle accorde la victoire au candidat élu, seule l’élection législative lui garantit le pouvoir. Par conséquent, il est important pour le Président de la République d’avoir une majorité stable et fiable au sein du Parlement. Le droit de dissolution l’aide considérablement en ce sens.
En droit comparé, précisément français, cet outil a permis au Président de la République de neutraliser le Parlement au moins à six (6) reprises depuis 1958. On distingue à cet effet : la dissolution punitive (ce fut le cas le 9 octobre 1962, lorsque le Général de GAULLE décida de dissoudre l’Assemblée nationale à la suite du renversement du Gouvernement POMPIDOU au moyen d’une motion de censure) ; la dissolution référendaire (elle a pour but de faire trancher un problème grave par le peuple et fait office de substitut au référendum. C’est un moyen de contournement du Parlement. Il fut utilisé par le Général de GAULLE le 30 mai 1968) ; la dissolution d’alternance (elle vise à assurer au président une nouvelle majorité parlementaire conforme à la majorité présidentielle. Ce furent les cas des dissolutions de l’Assemblée nationale par François MITTERAND le 22 mai 1981 et le 14 mai 1988) ; la dissolution tactique (elle permet au Président de conforter sa majorité au sein du Parlement. Jacques CHIRAC l’utilisa le 21 avril 1997) ; la dissolution dissuasive (ici, cet outil n’est pas utilisé mais est évoqué par le Président de la République afin de discipliner les parlementaires) et la dissolution neutralisante (celle du 9 juin 2024 par laquelle le Président de la République a neutralisé la montée de l’extrême droite).
Aux États-Unis, cet outil n’a pas été explicitement consacré par le constituant de 1787. Néanmoins, force est de reconnaître qu’il existe indirectement. N’est-ce pas le cas lorsque les élections des deux chambres du Congrès se tiennent au milieu du mandat quadriennal du président américain (midterm elections) ? Une réponse affirmative semble la plus appropriée car avec ces élections de mi-mandat, la Constitution américaine consacre en quelque sorte une « dissolution automatique ». Ce n’est donc pas une curiosité gabonaise que prévoit l’article 62 du texte commenté mais une pratique indispensable à la survie d’un régime politique. Du reste, c’est un instrument de démocratie continue, théorie chère à Dominique ROUSSEAU, en ce sens qu’il permet aux gouvernés de contrôler l’action des gouvernants dans un délai limité. Nous pensons d’ailleurs que c’est en valorisant l’impératif de démocratie continue que la culture de l’alternance pourrait progressivement s’instaurer au Gabon. Comme souligné plus haut, cette théorie implique que les gouvernants ne soient pas seulement contrôlés à l’issue de leur mandat mais de manière continuelle.
Notons tout de même que cette exigence peut trouver un écho favorable au sein des contre-pouvoirs reconnus dans le projet de constitution de 2024. À titre d’exemple, le Parlement, en tant que contre-pouvoir politique, pourrait affaiblir l’Exécutif à travers ses interpellations, ses questions écrites et orales, ses questions d’actualités, ses enquêtes, ses contrôles et ses évaluations des actions gouvernementales (article 80). D’ailleurs, un dixième (1/10) des parlementaires pourrait remettre en cause un projet de loi en contestant sa constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle (article 119 alinéa 2). Ce droit de saisine accordé à la minorité parlementaire témoigne de la constitutionnalisation de l’opposition constitutionnelle comme contre-pouvoir (article 6 alinéa 4). Dans la même veine, le juge constitutionnel, en sa qualité de contre-pouvoir juridictionnel, pourrait neutraliser à la fois le Parlement et l’Exécutif en cas de tentative d’érosion de la loi fondamentale. Deux grandes techniques permettraient à cette Haute juridiction d’y parvenir : le contrôle de constitutionnalité des lois, parce qu’il garantit la suprématie de la Constitution sur les lois, et la régulation du fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics (articles 113, 114 et 115). Toutefois, au regard des mécanismes de désignation de ces juges (article 123), leur rôle de contre-pouvoir ne peut être assuré que s’ils font montre d’ingratitude à l’égard des autorités nommantes. Dans tous les cas, la séparation horizontale des pouvoirs semble affirmée en théorie, seule la pratique témoignera de son effectivité ou non. Il en est de même de la séparation verticale des pouvoirs.
B. Le timide séparation verticale des pouvoirs
Sur le plan vertical, la séparation des pouvoirs a lieu entre le pouvoir central et les entités infra-étatiques, à savoir les collectivités locales et les établissements spécialisés. Elle s’opère au moyen d’une déconcentration et d’une décentralisation. Généralement, avec la déconcentration, l’autorité centrale est représentée sur le plan local par une autorité nommée ; tandis qu’avec la décentralisation, la mission dévolue à l’autorité centrale est assurée sur le plan local par une autorité élue.
Contrairement à la Constitution de 1991 qui consacrait timidement l’autonomie des collectivités locales, le nouveau texte semble plus explicite parce qu’il renforce le caractère décentralisé de l’État. Dès l’article premier, le constituant affirme le caractère décentralisé et unitaire de l’État Gabonais. Concrètement, cela signifie que les entités décentralisés (collectivités locales et établissements publics) bénéficieraient désormais d’une véritable autonomie administrative et financière. C’est d’ailleurs ce qu’affirme le nouveau constituant dans l’article 155 en ces termes : « L’État assure la gouvernance des collectivités locales par une politique de décentralisation efficace et efficiente, garante d’un développement local équitable, démocratique et inclusif ».
Seulement, l’effectivité de la décentralisation ainsi affirmée parait douteuse en raison d’une contradiction entretenue par le constituant. En effet, après avoir reconnu la nécessité de cette séparation verticale des pouvoirs, le constituant tend encore à la relativiser en plaçant les entités décentralisées sous la tutelle de l’État. L’article 161 alinéa 2 du projet de constitution dispose à cet effet que « Le représentant de l’État veille au respect des intérêts nationaux et des lois et assure le contrôle de tutelle ». Cette tutelle intervient généralement sur les plans administratif et financier. Il aurait été judicieux pour le constituant de retenir le terme « contrôle », plus adapté à la logique de la décentralisation, et de supprimer celui de « tutelle », appropriée au processus de la déconcentration pour rendre plausible l’idée d’une décentralisation effective. En jumelant les deux termes, la consécration du caractère décentralisé de l’État semble inachevé. Tout porte à croire que le pouvoir central limiterait considérablement l’action des entités infra-étatiques. On conviendra alors avec Odilon BARROT qu’avec ce processus, en réalité, « c’est toujours le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche […] pour mieux en ajuster les coups ».
En somme, le projet de constitution de 2024 innove parce qu’il renforce les instruments de protection des droits, libertés, valeurs et principes fondamentaux. Il reste tout de même perfectible sur la question de la séparation des pouvoirs tant au niveau horizontal qu’au niveau vertical.
Auteur : Téphy-Lewis Edzodzomo Nkoumou, Docteur en Droit Public, Enseignant-Chercheur à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université Omar Bongo
1 Commentaire
Que de verbiage, pour ne rien dire d’utile.
Je plains sincèrement les pauvres étudiants de l’UOB.
Il faudrait lire ou relire Montesquieu: » De l’esprit des lois ».