À Doubou, village situé à une vingtaine de kilomètres de Mouila dans la province de la Ngounié, les populations sont vent debout contre le projet de création d’une Zone à forte productivité (ZAP) à Idemba et Mboukou, deux villages qu’elles jugent trop proches du leur et dont elles craignent que la pollution causée là-bas impacte leurs cours d’eau et partant leur qualité de vie. Aussi, par l’entremise de l’Association Gulusenu, les habitants ce village rattaché au canton Tandu (département de Tsamba-Magotsi) ont-ils adressé au président de la transition une lettre ouverte que nous publions intégralement, dans laquelle ils sollicitent l’annulation de ce projet officialisé par un décret d’octobre 2020.  

Les habitants du village Doubou mobilisés contre la ZAP. © D.R.

 

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Le dimanche 18 août 2024, à la suite d’un communiqué officiel rendu public par les autorités de la Transition, les membres du Gouvernement sont désormais invités à passer leurs vacances à l’intérieur du pays, dans leurs localités respectives, pour «encourager un retour aux sources» et «s’imprégner des réalités et attentes des populations locales». Une décision sage et pleine d’espoir pour nos régions de l’arrière-pays souvent oubliées par les autorités. Certaines de leurs préoccupations étant malheureusement négligées ou très largement sous-évaluées.

Monsieur le Président de la République, permettez-nous de vous exprimer directement, au nom de toute la population du village Doubou, dans le département de Tsamba-Magotsi, notre désarroi face à la concession agricole d’une nouvelle partie de notre territoire, après celle déjà accordée à la société Olam et pour laquelle, les populations villageoises ne bénéficient pas des retombées de son exploitation. Il s’agit de la mise sous concession agricole d’une nouvelle zone forestière contenue dans le projet ZAP (Zone à forte productivité) Idemba et Mboukou, dont le décret de création date d’octobre 2020.

Votre Excellence, le village de Doubou se trouve à 25 kilomètres de la ville de Mouila, mais est administrativement rattaché au canton Tandu du département de Tsamba-Magotsi, qui comprend également les villages de Mboukou, Mutamb-sane-Fumu, Guidouma, Rembo, Guiamba et Idemba.

Autant dire, Monsieur Le Président de la République, que les zones agricoles d’Idemba et Mboukou nous concernent directement tant la proximité et l’environnement nous lient à un destin commun. On peut donc aisément imaginer que notre village sera un de ceux qui seront fortement impactés du fait de sa position en aval de la rivière Doubou, qui est d’ailleurs le principal cours d’eau de la zone d’impact. Par conséquent, toute pollution engendrée en amont de la rivière aura des répercussions sur les différents cours d’eau annexes et sur la qualité de vie des populations directement concernées.

C’est donc en tant que peuple en détresse que nous venons vous exposer nos préoccupations, afin que certaines dispositions soient prises pour éviter de revivre ce que nos populations subissent depuis quelques années maintenant.

Pour mieux comprendre les enjeux, il faut savoir que la zone la plus productive du village, cultivée par les villageois et la plus facile d’accès, est actuellement sous le contrôle d’Olam. Les terres qui devraient abriter la future ZAP ont jusqu’à présent été utilisées pour la chasse, la pêche et la cueillette. Il s’agit d’activités de subsistance pour les populations villageoises.

Il apparait clair que la rivière Doubou, qui traverse le village qui porte son nom, offre l’essentiel de nos protéines animales par la pêche qui y est pratiquée en toute saison. Les populations exploitent l’eau de la rivière pour leurs besoins quotidiens du fait de l’absence d’eau potable. Nous passerons les autres biens et services dont bénéficient les populations grâce à la forêt et autres ressources dérivées.

Notre village, autrefois riche de son potentiel environnemental, a déjà payé un lourd tribut depuis l’arrivée de la société Olam. En effet, Monsieur Le Président de la République, le village Doubou, comme bien d’autres autour de lui, connait une situation inédite consécutive à la destruction à grande échelle de ses espaces naturels.

Avec la disparition de nombreux habitats et la perte de nombreux services que la nature nous offrait gratuitement, l’avenir de notre cher village est sombre et le village subit une série d’effets négatifs dont, entre autres :

– la fermeture des zones d’activité villageoises, servant jadis aux activités de pêche, de chasse ou de cueillette ;

– la coupe de nombreuses essences utiles pour l’approvisionnement en produits forestiers non ligneux ;

– la perte des lieux culturels sacrés, essentiels à la préservation de nos valeurs traditionnelles ;

– la réduction des espaces cultivables ; – l’intensification du conflit homme-faune, source de tensions entre les populations et les autorités du Ministère des Eaux et Forêts ;

– la dégradation de la qualité de l’eau et du sol par l’utilisation des pesticides comme le Glyphosates, interdit ailleurs pour ses effets cancérigènes. Les conséquences sanitaires, environnementales et sociales sont donc évidentes aujourd’hui.

Est-il encore besoin de rappeler, Monsieur Le Président de la République, historiquement, nos villages ont survécu à de nombreuses crises qui ont touché la ville, notamment parce que leurs environnements immédiats assuraient le bien-être des populations par l’exploitation traditionnelle des ressources naturelles locales.

Cette résilience a été possible grâce à notre capacité à extraire de nos milieux immédiats les ressources utiles à notre survie. Aujourd’hui, Votre Excellence, nous sommes de plus en plus tributaires des denrées alimentaires venues de la ville et vendues excessivement cher pour les petits budgets des villageois que nous sommes, dont les seuls revenus dépendent de cette même production locale.

De plus, Monsieur le Président de la République, tel un serpent qui se mord la queue, cette situation conduit-elle progressivement à la paupérisation des villages, voire à leur abandon. En effet, l’exode rural des populations vers les grands centres urbains entraîne une dégradation des villages et ainsi un impact sur leur développement et leur croissance, tout en augmentant une population urbaine à la recherche, parfois illusoire, de meilleures conditions de vie.

Loin de nous l’idée de compromettre la mise en œuvre de ce projet d’importance nationale, étant donné qu’il a le potentiel de jouer un rôle non négligeable dans le développement local et national, grâce à la diversification économique. Notre seul objectif est de trouver un équilibre au bénéfice des habitants du village.

À ce jour, le bilan des différents projets ZAP et autres (projet graine) est attendu tant le bien-être des populations impactées est faiblement perceptible. Au contraire, nous pensons qu’il s’agit d’une volonté masquée de spoliation des terres villageoises et de pillage des richesses par des promoteurs véreux. Ces derniers n’hésitent pas à proposer aux populations de payer 10% des bénéfices issus de l’exploitation de leurs bois produits lors des phases d’ensoleillement et de terrassement des zones cultivables. Une arnaque qui n’a que trop duré en violation des dispositions qui confèrent aux populations autochtones le droit de propriété de leurs terres et d’y exercer librement leurs activités de subsistance. Excellence, Monsieur Le Président de la République, nous avons entrepris plusieurs démarches auprès des autorités de l’ancien régime, notamment le Gouverneur de la Ngounié, le Président du Conseil départemental, le Premier Ministre, le Ministre des Eaux et Forêts, le Ministre de l’Agriculture, le Ministre des Travaux publics et d’autres membres du gouvernement pour échanger sur cette question, sans donner une suite à nos revendications légitimes, pour que ce décret soit abrogé. Nous sollicitons Votre bienveillance et Votre indulgence afin de l’annuler.

À défaut, Monsieur Le Président de la République, nous saisissons cette occasion pour solliciter une médiation ordonnée par Vous, afin d’assurer la mise en œuvre de contrats sociaux efficaces, élaborés dans le cadre de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), en collaboration étroite avec une représentation des populations locales. Monsieur le Président de la République, selon la procédure administrative de lancement d’un tel projet, le promoteur doit réaliser une étude d’impact environnemental et social, et c’est dans ce cadre que des agents du bureau d’études (TEREA) se sont rendus à Doubou le 25 août 2020 pour s’entretenir avec les villageois.

La deuxième étape, après le travail d’évaluation et la collecte de données environnementales et sociales sur le terrain, aurait dû être la présentation des résultats de l’enquête de terrain aux différentes parties prenantes, en particulier aux communautés villageoises. Il est évident qu’à ce stade, les promoteurs devaient expliquer clairement les différents impacts négatifs et les mesures d’atténuation, ainsi que les impacts positifs, notamment les retombées d’un tel projet sur le tissu social.

À l’issue de toutes ces étapes, une consultation publique devait être organisée par le promoteur dans chaque village en présence des différents experts, des administrations techniques et provinciales, des autorités administratives et autres organisations parties prenantes ; cela aurait permis de débattre des résultats des différentes études et ainsi les communautés villageoises auraient pu exprimer leurs avis, attentes ou doléances voire Département de Tsamba-Magotsi – Association Gulusenu de Doubou-Tel : 00241 77091973 inquiétudes. Tout ceci aurait alors été, comme il se doit, consigné dans un procès-verbal et intégré dans le rapport final de cette étude.

À ce jour, seule la première phase a eu lieu dans le village, malgré l’attente d’un rapport d’étude d’impact pour entamer les discussions entre les parties concernées. De plus, il n’y a aucune information relative au contact direct entre les populations locales et les entreprises respectives. Toute chose qui faciliterait les relations et les discussions à venir.

Excellence Monsieur Le Président de la République, au regard de tout ce qui précède et dans l’attente du rapport final de l’étude d’impact ainsi que des mesures de compensations éventuelles, nous, populations de Doubou, disons NON ! à une exploitation de nos ressources dans le cadre du projet ZAP IDEMBA-MBOUKOU.

Nous disons NON ! à une expropriation de nos terres par l’attribution des titres fonciers aux acquéreurs de nos terres.

Nous disons NON ! au harcèlement et à l’intimidation pour une défense de nos intérêts collectifs.

Et dans le cas d’une négociation éventuelle, les populations souhaiteraient disposer librement des richesses extraites de leurs forêts dans les zones d’activité immédiates conformément à la cartographie participative élaborée initialement, et sous réserve de l’application des textes prévus par le code forestier en République gabonaise. Nous restons disponibles pour échanger avec Votre Excellence, et en toutes circonstances, si toutefois nos revendications sont jugées légitimes, lors d’une rencontre que vous voudriez bien nous accorder.

Dans l’espoir que notre requête parvienne jusqu’à votre Excellence, Monsieur Le Président de la République, nous vous prions de recevoir, l’expression de notre plus Haute considération.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Pierre Nathanièle KOUMBA dit :

    Bonjour Gabonreview, je vous remercie de mettre en lumière le cri d’alerte d’une population qui ne comprend pas pourquoi un projet de plus vient s’implanter dans son village alors que OLAM a déjà occupé une grande partie de son territoire imppactant grandement ce village DOUBOU et le village frère MBOUKOU. Loin de nous l’idée de refuser le développement du pays en s’appuyant sur DOUBOU, mais les choses doivent être faites dans les normes et le respects des populations autochtones. Ce projet avait été initié par l’ancien régime et nous leur avions fait savoir notre désaccord via des courriers administratifs et une rencontre avec le ministre de l’agriculture de l’époque. Grande est notre surprise de les voir revenir à la charge…NOUS POPULATIONS DE DOUBOU DISONS NON AUVPROJET ZAP IDEMBA/MBOUKOU.

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