Présenté par le Premier ministre de la Transition ce 21 octobre 2024, le projet de Constitution de la Deuxième République gabonaise va absolument susciter de vives discussions à la veille du référendum de novembre. Tandis qu’il ambitionne de refonder l’État et de renforcer les institutions, certains de ses articles suscitent déjà la controverse et contrarient l’opinion publique. De la limitation des mandats présidentiels à la suppression du poste de Premier ministre, en passant par l’instauration d’un service militaire obligatoire, ce texte complexe redessine l’équilibre du pouvoir et pourrait marquer un tournant historique pour le Gabon. L’essentiel des remarques de GabonReview sur 8 points.

Le projet de Constitution 2024 va nécessaire animer la controverse au sein de l’opinion publique, ses dispositions suscitant autant d’espoirs de refondation que de craintes d’un retour à l’autoritarisme. © GabonReview

 

Le projet de Constitution de la Deuxième République gabonaise, adopté par le Conseil des ministres et présenté par le Premier ministre Raymond Ndong Sima ce 21 octobre, pourrait encore susciter des débats intenses sur la scène politique. Conçu pour refonder l’État, le texte introduit plusieurs changements et maintient certains aspects controversés. Ce qui pourrait susciter une division de l’opinion à la veille du référendum de novembre. GabonReview tente ici une analyse détaillée des huit (8) principaux points de ce projet ayant déjà fait l’objet de quelques controverses.

  1. Critères d’accès à la Présidence de la République

Le projet impose des critères d’éligibilité stricts. Seuls les Gabonais nés de parents gabonais, âgés de 35 à 70 ans, et mariés à des citoyens gabonais peuvent se porter candidats à la présidence : «Sont éligibles à la Présidence de la République, tous les Gabonais des deux sexes remplissant les conditions ci-après : être né Gabonais d’au moins un parent gabonais, lui-même né Gabonais ; avoir la nationalité gabonaise unique et exclusive ; être marié(e) à un(e) Gabonais(e) né(e) d’au moins un parent gabonais, lui-même né Gabonais.»

Cette disposition renforce la distinction entre les Gabonais de souche et les autres, excluant les Gabonais naturalisés et ceux disposant d’une double nationalité. Critiquée pour son caractère discriminatoire et excluant, elle restreint l’inclusivité du processus électoral et crée des inégalités fondées sur l’origine. Si cette clause vise à préserver une certaine «pureté» de la nationalité à la tête de l’État, elle suscite des questions sur sa compatibilité avec les principes d’égalité et d’inclusivité démocratique.

  1. Renforcement des pouvoirs exécutifs

Le nouveau projet confère au président un rôle prépondérant, incarnant l’unité nationale et détenant des prérogatives centrales : «Le Président de la République est le Chef de l’Etat, il est le détenteur du pouvoir exécutif […] Il détermine et conduit la politique de la Nation.» L’article 60 accorde au président le droit de proclamer l’état d’urgence ou de siège : «Le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer l’état d’urgence ou de siège, qui lui confère des pouvoirs spéciaux.»

La centralisation du pouvoir exécutif réitère le rôle dominant du président dans la gouvernance du pays. Cette concentration de pouvoir peut favoriser la prise de décision rapide en cas de crise, mais elle génère des inquiétudes quant à la séparation des pouvoirs et aux risques d’abus. Le contrôle démocratique et l’équilibre institutionnel pourraient en pâtir, particulièrement en l’absence de contrepoids institutionnels suffisamment solides.

  1. Suppression du poste de Premier ministre et introduction du «Vice-Président du Gouvernement»

Le projet de Constitution de 2024 introduit une modification importante en remplaçant le poste de Premier ministre par celui de «Vice-Président du Gouvernement». L’article 69 précise : «Le Président de la République est le Chef du Gouvernement. Il est assisté d’un Vice-Président du Gouvernement qui assure la coordination de l’action gouvernementale.» Le texte ajoute également : «Le Vice-Président du Gouvernement est nommé par le Président de la République et met fin à ses fonctions.»

Une présidence centralisée : La suppression du poste de Premier ministre au profit d’un «Vice-Président du Gouvernement» marque un renforcement significatif du régime présidentiel au Gabon. Ce changement signifie que le président devient le chef incontesté de l’exécutif, centralisant l’ensemble des décisions gouvernementales et politiques. Le Vice-Président du Gouvernement, bien que participant aux délibérations gouvernementales, n’est qu’un subordonné du président, sans la possibilité de contrebalancer ses pouvoirs ni d’exercer une influence politique indépendante.

Impact sur le contrôle parlementaire : Le passage d’un Premier ministre, qui pouvait être responsable devant le Parlement, à un Vice-Président du Gouvernement désigné et révoqué à la discrétion du président, diminue le potentiel de contrôle parlementaire sur l’exécutif. Le gouvernement devient entièrement dépendant du chef de l’État, ce qui limite l’autonomie des ministres et du Parlement en matière de politique publique et de décisions exécutives.

Réduction de la dualité exécutive : Cette disposition met fin à la dualité exécutive caractéristique des régimes semi-présidentiels, où le Premier ministre partageait le pouvoir avec le président et représentait l’autorité exécutive au sein du Parlement. Désormais, le Gabon adopte un modèle de présidentialisme affirmé, avec une figure exécutive unique au sommet du pouvoir, le Vice-Président du Gouvernement jouant un rôle secondaire et d’exécution des ordres présidentiels.

Conséquences politiques : Si cette centralisation peut favoriser une meilleure cohésion et une plus grande efficacité dans la prise de décision, elle comporte également le risque d’un autoritarisme accru. L’absence d’un contre-pouvoir exécutif interne pourrait rendre le régime plus vulnérable aux abus de pouvoir, et cette concentration pourrait affaiblir la responsabilité politique, notamment en ce qui concerne les orientations gouvernementales et les engagements internationaux.

On pourrait dire que la suppression du poste de Premier ministre dans le projet de Constitution 2024 symbolise la volonté d’instituer une présidence forte et centralisée. Ce changement radical redéfinit la structure du pouvoir exécutif au Gabon, avec des implications majeures pour l’équilibre des pouvoirs et la gouvernance démocratique du pays.

  1. Service militaire obligatoire

La nouvelle Constitution maintient l’obligation de servir dans les forces armées : «Le service militaire est obligatoire pour les Gabonais des deux sexes, dans les conditions fixées par la loi.»

Le service militaire obligatoire, bien qu’il puisse être perçu comme un moyen de renforcer le patriotisme et la cohésion nationale, représente une contrainte directe sur les libertés individuelles. Elle peut entrer en conflit avec les convictions religieuses ou philosophiques des citoyens. Le caractère obligatoire de cette disposition est controversable, et certains avaient déjà suggéré plutôt des alternatives civiques volontaires ou des programmes éducatifs renforcés pour inculquer l’amour de la patrie.

  1. Restriction de la propriété foncière

L’article 20 déclare que les modalités d’accès à la propriété sont déterminées par la loi : «Toute personne a droit à la propriété. Les conditions et modalités d’accès à la propriété sont fixées par la loi.»

Cette disposition a déjà amené à des préoccupations car elle permet d’introduire, à travers de futures législations, des restrictions d’accès à la propriété foncière pour les non-Gabonais ou les entreprises étrangères. Si cela peut favoriser la souveraineté économique, elle risque aussi de décourager les investissements étrangers et de créer une insécurité juridique pour les investisseurs. Ce point demande des clarifications pour éviter les malentendus et les conflits d’intérêt économique.

  1. Limitation des mandats présidentiels

La nouvelle Constitution introduit une limitation claire des mandats présidentiels : «Le Président de la République est élu pour sept (07) ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats successifs.»

La limitation à deux mandats consécutifs de sept ans est une tentative d’encourager l’alternance politique et de réduire la possibilité de maintien prolongé au pouvoir. Le texte laisse cependant place à des interprétations ambiguës concernant un retour potentiel après une pause. Cette ambiguïté pourrait permettre à des présidents de contourner l’esprit de la limitation des mandats, sapant ainsi la confiance dans le système électoral et les institutions démocratiques.

  1. Commémoration du coup d’État

Le projet de Constitution propose de faire du 30 août, jour du coup d’État de 2023, la «Fête de la libération» : «La fête de la libération est célébrée le 30 août.»

Cette décision de commémoration est controversée par quelques leaders d’opinion car elle semble légitimer l’accession au pouvoir par la force, fragilisant la transition vers une démocratie pleinement légitime. Alors que certains considèrent cette journée comme un moment de rupture avec un régime passé, d’autres estiment qu’elle envoie un message problématique sur l’usage de la force pour changer de régime, risquant de créer un précédent dangereux pour l’avenir politique du pays.

  1. Impossibilité pour les descendants d’un ancien Président de se porter candidats à l’élection présidentielle

Le texte interdit aux descendants directs d’un ancien président de se présenter à la présidence : «Le conjoint et les descendants d’un Président de la République ne peuvent se porter candidats à sa succession.»

Cette disposition vise clairement à éviter la formation de dynasties politiques, problème souvent observé en Afrique. Elle peut cependant être perçue comme discriminatoire et limitative des droits fondamentaux des descendants d’anciens présidents. Elle pose également des questions sur l’équilibre entre la prévention de l’abus de pouvoir et le respect des droits politiques de tous les citoyens, quelle que soit leur origine familiale. L’interdiction peut également sembler injuste pour des individus qualifiés et désireux de servir le pays, mais pénalisés en raison de leur filiation.

En définitive, le projet de Constitution 2024, tout en cherchant à introduire des réformes structurantes et à refonder l’État, maintient ou introduit des dispositions qui divisaient déjà l’opinion publique. Si certains articles encouragent la stabilité et l’alternance, d’autres comportent des restrictions sur les libertés et l’inclusivité démocratique, susceptibles de freiner le développement d’un véritable État de droit. Le peuple gabonais aura la responsabilité de se prononcer lors du référendum, un moment clé pour l’avenir politique du pays.

Télécharger la version diffusée par la Primature gabonaise en cliquant ICI.

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GR
 

2 Commentaires

  1. Azimuts dit :

    Vive l’intelligence artificielle

    • La Rédaction dit :

      Oui, l’image est faite par Dall-E. Il faut vivre avec et dans son temps. Si l’I.A. a été inventée c’est bien pour être utilisée, non ? L’arrimage avec la modernité ne saurait être un tort, et personne ne doute de notre professionnalisme et avant-gardisme.

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