Y critiquant ses anciens alliés tout en louant le nouveau régime, l’interview exclusive accordée par Robert Bourgi au journal gabonais La Loupe, ce 7 octobre, interroge avant tout sur la capacité de certains acteurs à se réinventer au gré des bouleversements politiques. Si les révélations du Janus de la Françafrique, qui touchait au Gabon 600 millions de francs CFA par an, offrent quelques anecdotes croustillantes, elles donnent plutôt l’impression d’un regard ambigu, sinon intéressé, sur l’histoire récente du pays.

Robert Bourgi, l’homme aux mille visages de la Françafrique, s’est confie à ‘La Loupe’. Derrière son sourire énigmatique, un passé controversé et un avenir incertain dans les relations franco-africaines. © La Loupe

 

GabonReview a tiré l’essentiel de ce qui est dit, concernant le Gabon, par Robert Bourgi dans son livre «Ils savent que je sais tout : ma vie en Françafrique». Mais, dans une interview exclusive accordée, ce 07 octobre, au journal gabonais La Loupe, Robert Bourgi, l’acteur emblématique de la Françafrique a été appelé à aller un peu plus loin, rajoutant des choses autres que celles lues dans le livre. Confident des présidents Omar et Ali Bongo, l’avocat franco-libanais, un brin baratineur et égocentrique, livre un témoignage vraisemblablement orienté et biaisé sur les coulisses du pouvoir au Gabon.

Omar Bongo : un dirigeant complexe et controversé

Amené à indiquer si Omar Bongo se souciait du développement du Gabon, Bourgi se contente d’un portrait nuancé du dirigeant. «Omar Bongo avait quelque chose qui lui venait d’ailleurs, il avait une qualité qui échappe à l’entendement», confie-t-il à La Loupe. «Il aimait passionnément son pays. Il était Gabonais, aimant son pays, mais il était authentiquement Africain. Il aimait le continent et la curiosité qu’il avait de ce qui se passait dans les autres pays d’Afrique, que ce soit en Afrique de l’Ouest ou centrale, il avait de l’amour pour eux

Bourgi ne cache cependant pas les lacunes de la gouvernance de Bongo : «Le tort, si je puis dire, des autorités gabonaises entre 1965 et 1995, c’est d’avoir trop axé le développement du Gabon sur le pétrole, les manières premières, les richesses minérales du pays, en oubliant de faire les routes, des ponts, de construire des logements sociaux, des hôpitaux, des universités. Tout cela est venu sur le tard et j’ose dire que c’était trop tard

Et lorsque le journal La Loupe demande comment il peut expliquer les assassinats dont on parle lors de son règne, alors que Bourgi le présente «comme un bon démocrate, comme quelqu’un qui acceptait la contradiction», le françafricain se montre prudent : «Tel que je connais Omar Bongo, c’était pas un homme capable de faire du mal. Vraiment. Qu’il ait eu, lors de sa gouvernance, des faits divers regrettables, je ne crois pas qu’il était associé à cela. Peut-être que, autour de lui, au niveau de la Garde, au niveau de certains soldats ou hommes de main, on ne peut pas le nier. Mais le président Bongo, je l’imagine différemment donner des ordres pour tuer telle ou telle personne.»

La succession Bongo : Pascaline Totem, Ali un poil dans la main

Par ailleurs, Bourgi rapporte à La Loupe les propos d’Omar Bongo sur sa succession, offrant un éclairage saisissant sur les dynamiques familiales au sommet de l’État : «Fiston, un jour ou l’autre se posera la question de ma succession. […] Ecoute, tu le sais très bien, mon totem c’est Pascaline, mais elle est une femme. Le Gabon n’est pas prêt à être dirigé par une femme. Il y a Ali. Il est mon fils, il exerce des fonctions ministérielles. Mais je dois te le dire, fiston, et je sais que tu le répéteras à nos amis à Paris. Ali a un poil dans la main, il ne travaille pas. Il ne sait pas travailler.»

Des confidences qui jettent une lumière inédite sur les défis de la transition politique au Gabon et les réserves d’Omar Bongo concernant ses héritiers potentiels.

De Bongo père à Bongo fils : une transition tumultueuse

Le règne d’Ali Bongo est décrit sans concession par Bourgi : «Ali est un homme violent, méchant, à la différence de Pascaline. Je dois aussi préciser que je n’ai pas revu Pascaline depuis des années. Je la considère comme ma sœur selon elle et selon la volonté de son père. Ali est méchant, son épouse méchante, son fils ultra-méchant. Ce que vivaient les Gabonais était inacceptable

Et Bourgi de relater à La Loupe sa rupture avec Ali Bongo : «En 2013, on me révoque, on me fait comprendre par la voix d’Accrombessi, le grand manitou, que je ne travaillerais plus pour le président Ali. Et on coupe mes émoluments. On me fait savoir que je n’étais plus désirable au Gabon. Mes émoluments étaient de 1 million de dollars (environ 600 millions de francs CFA – ndlr) par an, faut pas le cacher

Pousser Oligui à briguer la magistrature suprême

Amené à se déclarer sur le coup d’État du 30 août 2023, Bourgi préfère parler d’un «comité de salut public». Il déclare à La Loupe, un brin baratineur et faisant, à la limite, un appel du pied au CTRI : «Je n’aime pas le terme ‘putsch’ ou ‘coup d’État’. Un homme s’est levé, des hommes se sont levés, certes, des militaires. Ce n’était pas les citoyens qui se sont levés pour y aller faire tomber le pouvoir, c’est un militaire qui s’est levé. Et le salut est venu d’un fils d’Omar Bongo, le général Brice Oligui Nguema, patron de la Garde républicaine.»

Flagorneur envers le pouvoir comme à son habitude, Bourgi se montre naturellement optimiste lorsqu’il est interrogé sur l’avenir du Gabon sous Oligui Nguema : «Je suis extrêmement confiant et je vais faire un vœu. Je m’adresse directement à Brice. Je vais lui dire ceci : ‘Brice, organise vite les élections présidentielles, organise-les vite et sois candidat. Et je suis certain que les Gabonais, qui sont satisfaits depuis un an, vont te conduire à la magistrature suprême. Je sais que tu aimes les Gabonais et je te vois danser dans toutes les provinces du Gabon, tu danses avec les jeunes, tu danses avec les femmes, selon leurs rythmes, de chez vous, de la forêt. Tu ne peux être qu’un très bon président. Sois vite le président élu des Gabonais.‘»

Un caméléon de la Françafrique en quête de repositionnement ?

Si elle offre un petit regard de l’intérieur sur les coulisses du pouvoir gabonais, l’interview accordée à La Loupe soulève également des questions sur la crédibilité et les motivations de Robert Bourgi. Ancien soutien des successions dynastiques en Afrique, il se positionne aujourd’hui comme un critique d’Ali Bongo, tout en affichant un enthousiasme marqué pour le nouveau régime militaire.

Les propos de Bourgi, tantôt élogieux envers Omar Bongo, tantôt critiques envers Ali Bongo, semblent davantage refléter les changements de la conjoncture politique que témoigner d’une vision cohérente de la gouvernance au Gabon. Son soutien affiché au général Oligui Nguema, qu’il exhorte à se présenter rapidement à une élection présidentielle, pourrait être interprété comme une tentative de se repositionner favorablement auprès des nouvelles autorités gabonaises.

Malgré son statut d’initié, les révélations de Bourgi restent limitées et ne constituent pas de véritables surprises pour les observateurs avertis de la politique gabonaise. Son témoignage, s’il apporte quelques anecdotes intéressantes, ne bouleverse pas fondamentalement la compréhension des dynamiques de pouvoir au Gabon ou des relations franco-africaines.

En fin de compte, cette interview illustre surtout la capacité de certains acteurs de la Françafrique à s’adapter aux changements politiques, tout en maintenant une influence sur le discours public. Elle invite les lecteurs à une lecture critique, au-delà des apparences et des déclarations sensationnelles, pour appréhender les véritables enjeux de la gouvernance et du développement au Gabon.

 
GR
 

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