Dans un contexte économique en mutation, la Banque Mondiale lance ‘’Business Ready’’, un nouveau référentiel d’évaluation des climats des affaires, ravivant le débat sur l’environnement économique du Gabon. Mark Doumba* analyse ici la position du pays face à ce nouveau baromètre, mettant en lumière les défis structurels et les opportunités de réforme pour stimuler l’entrepreneuriat et l’investissement privé. Entre une prédominance du secteur public et une diversification économique limitée, le Gabon se trouve à la croisée des chemins, devant concilier ses ambitions de développement avec les exigences d’un environnement des affaires moderne et attractif.

Business Read : Au Gabon, et il faut le dire, les politiques publiques ne priorisent pas l’entrepreneuriat et l’investissement privé. © GabonReview

 

Mark Doumba, entrepreneur et financier, Directeur Général de CLIKAFRIK Group et économiste formé à l’université de Harvard. © D.R.

La Banque Mondiale revient sur le devant de la scène avec « Business Ready », son nouveau référentiel d’évaluation des climats des affaires plusieurs années après avoir abandonné son rapport d’analyse comparative « Doing Business ».

L’objectif de ce nouvel outil est d’évaluer un certain nombre d’indicateurs clés en lien avec l’environnement règlementaire et l’offre de services publics aux entreprises. La littérature sur laquelle repose la conception de Business Ready propose d’encourager les États à mener des réformes qui incitent à faciliter le développement de l’entrepreneuriat, de l’investissement privé, et de l’innovation. En effet, les théories de développement pointent toutes l’importance du rôle du secteur privé comme moteur de croissance de l’économie et source principale de création d’emplois. Le rôle de l’investissement public se cantonne traditionnellement à servir de levier à l’investissement privé en mettant à disposition les infrastructures et biens publics tels que les routes, l’eau, l’énergie, mais aussi le cadre institutionnel censé protéger l’investissement privé d’actes d’expropriation, de nuisance et de distorsion du marché.

Mais lorsque l’on observe la configuration de l’économie gabonaise et la nature de certaines politiques publiques, il est difficile de constater une cohérence avec les grandes orientations précitées—bien que celles-ci doivent toujours s’adapter à un contexte donné.

Au Gabon, et il faut le dire, les politiques publiques ne priorisent pas l’entrepreneuriat et l’investissement privé.

Cela s’illustre notamment par le fait que l’État est le premier employeur du pays. Avec l’annonce de création de 16 000 postes budgétaires, le secteur public comptera 124 000 emplois en 2025. A titre de comparaison, le secteur privé emploie près de 100 000 travailleurs, selon une étude du cabinet américain McKinsey. Les autres emplois relèvent de l’auto-entrepreneuriat par le biais de micro, petites et moyennes entreprises (MPME) qui évoluent dans l’informel. Ces emplois concerneraient entre 400 000 et 500 000 travailleurs au Gabon.

Cela s’illustre également par la faible émergence de nouveaux champions nationaux au cours des vingt dernières années. A l’exception d’entreprises publiques ou opérant sous forme de joint-venture comme Arise au Gabon, aucune entreprise gabonaise à capitaux privés n’a atteint une taille critique malgré la création de mécanismes de financement dédiés à cet effet comme Okoumé Capital, et la volonté politique affichée à nombreuses reprises sans résultats concluants.

Aussi, il suffit d’étudier l’évolution de la composition de la production et du panier des exportations. A l’exception du sciage de bois, le panier d’exportation n’est ni plus complexe ni plus diversifié qu’il ne l’était en l’an 2000. Les recettes fiscales sont toujours principalement tirées par le secteur extractif (pétrole, mines) sur une base brute. L’acquisition d’Assala et le lancement de l’exploitation du gisement de fer à Bélinga sont de nature à accentuer à court terme la production, les exportations et les recettes fiscales sur le secteur extractif et non pas à la diversifier. Or, la diversification de l’économie est nécessaire pour permettre l’émergence de secteurs d’activités et d’entreprises à plus forte employabilité que ne le sont celles qui opèrent dans les secteurs extractifs et avec des externalités plus larges sur le reste de l’économie.

Ce constat est documenté de manière empirique et la situation du Gabon, en matière de chômage (+ de 35%) et de dégradation du revenu par habitant en sont le reflet. En effet, selon des données de la Banque Mondiale, la productivité et le revenu réel par habitant (PIB) ont divergé avec ceux de la Côte d’Ivoire entre 2003 et 2023, locomotive de la zone CFA.  Un Ivoirien qui produisait un revenu moyen de 100 000 FCFA en 2003 génère 145 000 FCFA de revenu moyen en 2023, alors qu’un Gabonais qui gagnait 100 000 FCFA en 2003 a vu son revenu baisser à 91 000 FCFA sur la même période.

Le dénominateur commun des illustrations faites est le rôle prévalent de l’État qui est à la fois la conséquence d’un faible appétit ou d’une faible capacité du secteur privé à générer de l’investissement au Gabon ; auquel cas l’État comble un déficit d’investissement car la microéconomie n’est pas suffisamment compétitive ; et la conséquence d’investissements publics qui évincent l’investissement privé et crée des distorsions de marché à l’échelle macroéconomique. Les nationalisations récentes s’apparentent un peu plus au second cas avec des conséquences probables sur les finances publiques. Fondamentalement, l’efficacité des interventions publiques doit être analysée et optimisée pour changer le cours de l’histoire.

En ce sens, la réintroduction de Business Ready dans le paysage institutionnel doit participer à améliorer la gouvernance économique et à recentrer l’importance de soutenir les entreprises et de leur garantir l’état de droit, la facilité de se formaliser, et des raisons objectives de rester formalisées et engagées dans le processus de transformation structurelle du pays. Cela doit également contribuer à engager des réformes qui sont dans l’intérêt général, mais qui sont parfois, empêchées afin de protéger des intérêts particuliers.

L’ANPI-Gabon, en partenariat avec l’entreprise Gabonaise CLIKAFRIK SARL, a été précurseur en 2020 en déployant le Guichet Numérique de l’Investissement « GNI » : portail numérique qui a permis de formaliser plus de 37,000 entreprises depuis juin 2020 et d’ouvrir des perspectives positives pour une économie plus entrepreneuriale, plus inclusive, plus transparente et mieux intégrée aux services publics. Cette réforme représente le type de dynamique promue par Business Ready que le Gabon doit multiplier et étendre à d’autres administrations publiques tout en intégrant plus d’entreprises gabonaises dans la chaine de valeurs dans des domaines telles que les services financiers et les logiciels de gestion pour ne citer que ceux-là.

Les impôts ont emboité le pas en 2024 sous l’impulsion du Ministère de l’Économie et des Participations. La CNSS et la CNAMGS ont un portail commun qui est prêt à être déployé à tout moment et qui permet également d’étendre l’offre de services publics aux entreprises telles que le préconise la Banque Mondiale.

Il reste désormais à l’administration publique gabonaise de poursuivre des réformes ciblées en faveur des entreprises, de lever les contraintes multiformes, mais aussi d’adopter une approche plus volontariste, inclusive et solidaire de l’entrepreneuriat, de l’innovation et de l’investissement privé national et international.

Il y a tout un modèle de développement à repenser et le chantier est vaste pour rendre le Gabon Business Ready !

 

Mark Doumba*,  entrepreneur et financier, Directeur Général de CLIKAFRIK Group et économiste formé à l’université de Harvard.

 

 

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GR
 

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