Dans la deuxième partie de son ouvrage «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon», Alain-Claude Bilie-By-Nze dissèque sans concession les rouages du pouvoir gabonais. Sous le titre évocateur «Les saboteurs de la République», l’auteur dévoile les coulisses d’un État miné par trois groupes d’influence :  la «légion étrangère», les «Ajeviens», et la sulfureuse «Young Team». À travers un récit émaillé d’anecdotes édifiantes et de révélations, Bilie-By-Nze dresse le portrait d’un régime gangrené par le clientélisme, l’incompétence et les luttes intestines, offrant une perspective inédite sur l’effondrement du système Bongo.

«État dans l’État, sorte de tumeur qui, en grossissant, finit par étouffer les organes vitaux de la République, déréglés dans leur fonctionnement, le cabinet du Président aura été la cellule cancéreuse à l’origine de la maladie de l’Etat, tandis que les directeurs des cabinets successifs du Président auront été autant de naufrageurs du régime», dixit Alain-Claude Bilie-By-Nze. © GabonReview

 

Résolument, «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon», le tout récent livre d’Alain-Claude Bilie-By-Nze, dévoile les dessous d’un régime rongé par les luttes intestines et l’accaparement des ressources de l’État. La suite du décorticage de l’ouvrage amène au cœur de la deuxième partie : «Les saboteurs de la République». Particulièrement édifiante, elle dissèque les trois groupes qui, selon l’auteur, ont contribué à saper les fondements de l’État gabonais : «La légion étrangère», «Les Ajeviens» et «La Young Team». À travers un récit circonstancié, étayé d’anecdotes révélatrices et d’observations personnelles, l’ancien Premier ministre dresse un tableau saisissant des mécanismes de pouvoir à l’œuvre dans les coulisses du palais présidentiel sous l’ère Ali Bongo. Cette plongée dans les arcanes du régime récemment déchu offre une perspective inédite sur les dysfonctionnements ayant conduit à l’effondrement d’un système politique vieux de plus de cinq décennies.

Une présidence sous influence étrangère

C’est sans doute le feuilleton le plus connu de l’opinion nationale, mais qui n’en reste pas moins la plus choquante : pendant des années, le Gabon a été dirigé en sous-main par un groupe de conseillers étrangers, baptisé «légion étrangère» par les Gabonais. À sa tête, un homme : Maixent Accrombessi, directeur de cabinet Béninois d’Ali Bongo de 2011 à 2016.

À cet sujet, Bilie-By-Nze décrit un système tentaculaire : «Accrombessi fut l’inventeur d’un système visant sciemment à totalement limiter les marges de manœuvre financières du gouvernement, notamment par le choix de nomination de personnes chargées d’administrer les finances de l’État, qui est opéré sur la base de leur proximité, pour ne pas dire de leur acoquinement parfois avec le cabinet du Président. Les désignations du directeur du Trésor, de celui des Impôts, de celui des Douanes, de celui du Budget, les patrons d’entreprises publiques, dont celui de la Gabon Oil Company, de la Sogara, de la CDC, du FGIS, etc. furent tour à tour de criantes illustrations du phénomène.» Une parodie de Delta Synergie, pourrait-on dire.

À titre d’illustration, l’ancien Premier ministre livre une anecdote stupéfiante : «À titre personnel, dans mes fonctions successives, je les ai vus fonctionner au quotidien et pu observer, souvent avec effarement, comment de hauts responsables d’institutions, des ministres, des directeurs d’administration centrale, leur ont fait allégeance. Car tout, y compris les arbitrages de l’Etat, se faisait dans le bureau d’Accrombessi

Dans son récit, Bilie-By-Nze met en lumière la relation singulière entre Ali Bongo et Maixent Accrombessi, dépassant le cadre professionnel pour s’ancrer dans une amitié profonde. L’ancien Premier ministre révèle : «Accrombessi, […] était l’ami du Président Ali Bongo.» Cette proximité se manifeste de manière frappante lors de l’interpellation d’Accrombessi à Roissy en 2015. Bilie-By-Nze rapporte qu’Ali Bongo lui a personnellement demandé de défendre son directeur de cabinet dans les médias internationaux. Le président ira pourtant jusqu’à qualifier cette arrestation «d’offense faite aux Gabonais», au grand étonnement de Bilie-By-Nze. L’anecdote illustre en tout cas la profondeur des liens unissant les deux hommes et l’influence considérable d’Accrombessi sur le président gabonais.

Bilie-By-Nze affirme : «Le Gabonais est d’un naturel ouvert, accueillant mais jaloux de sa liberté et de son indépendance. Il respecte et aime l’étranger, mais peut-être parce que la mémoire du système colonial est présente au fond de chacun d’entre eux, ne supporte pas que celui-ci puisse le commander, surtout s’agissant de fonctions d’Etat, qui sont l’apanage à ses yeux des nationaux. N’avoir pas compris cette dimension de la conscience nationale gabonaise a été l’erreur commise par eux et leurs membres. Sa persistance devint une faute irréparable

Selon la confirmation de l’ancien porte-parole de la Présidence, le départ de Maixent Accrombessi de son poste de directeur de cabinet d’Ali Bongo est consécutif des raisons de santé : «Lors de la Présidentielle de 2016, Maixent Accrombesi est victime d’un AVC en pleine campagne électorale et ne se trouve plus en état de reprendre du service et de diriger le cabinet.» Ce qui suggère que la fin au règne d’Accrombessi n’est pas une décision politique ou stratégique, mais un événement imprévu lié à sa santé. De même, ce fait souligne la fragilité des positions de pouvoir, même pour ceux qui semblaient les plus solidement installés dans l’entourage présidentiel.

Ce départ inopiné d’Accrombessi a ouvert la voie à de nouveaux acteurs dans l’entourage d’Ali Bongo, notamment Brice Laccruche-Alihanga et plus tard la «Young Team». Bilie-By-Nze explique : «Ali Bongo nomme d’abord un de ses cousins, Martin Boguikoma, en qualité de directeur de cabinet, puis, en août 2017, un illustre inconnu de la vie politique prendra sa succession : il s’agit de Brice Laccruche-Alihanga, ami proche de son fils Nourredin.» Cette transition marque un tournant important dans la gestion du pouvoir au Gabon, passant d’une influence étrangère forte à une mainmise plus familiale et clanique sur l’appareil d’État.

Les «Ajeviens» : l’ère du clientélisme débridé

Après la mise à l’écart d’Accrombessi, un autre groupe prend les rênes : les «Ajeviens», menés par Brice Laccruche-Alihanga. Bilie-By-Nze dresse un portrait sans concession de ce nouveau maître du palais : «Brice Laccruche-Alihanga, en effet, avait un parcours atypique : il fut directeur général de la compagnie de navigation intérieure, société de transport maritime et fluvial et auparavant, avait fait un début de parcours professionnel à BGFI et au sein du cabinet international Price Waterhouse. Il fut exfiltré de la BGFI, à la suite d’une suspicion de malversations qui le conduisit in fine en prison

Selon Alain-Claude Bilie-By-Nze, les Ajéviens ont profondément nui aux affaires du Gabon par leur incompétence flagrante et leur népotisme effréné. L’auteur souligne que Laccruche-Alihanga «n’avait aucune expérience de la gestion de l’État», mais que malgré cela, «comme Accrombessi, il s’empresse de faire nommer les siens à toutes les fonctions ‘sensibles’ de l’Etat, avec l’assentiment d’Ali Bongo.» Cette gestion clientéliste s’est notamment manifestée par une distribution inconsidérée des ressources publiques à des fins politiques. L’ancien Premier ministre décrit ce système clientéliste effréné : «Il distribue beaucoup d’argent, et au moment des élections de 2018, il prend directement la main sur le parti et se met à délivrer lui-même les investitures, évidemment à ses affidés

Le comportement autoritaire de Laccruche-Alihanga a également engendré une instabilité gouvernementale chronique, Bilie-By-Nze révélant que «selon ses humeurs, qui sont inégales, et le font varier de la courtoisie à l’irascibilité en quelques minutes, les ministres valsent à son gré, suivant une formule qui lui est attribuée et qu’il a dû prononcer souvent : ‘Qui boude bouge’.» Cette attitude, couplée à une obsession pour le contrôle financier – «ce qui l’intéresse, pour ne pas dire ce qui l’obsède, c’est la gestion de la manne financière de l’État» – a conduit à l’adoption d’un comportement que l’auteur décrit ainsi : «Il adopte au fil des mois un comportement que certains qualifieront de mafieux et qui, selon moi, s’inspire de sa passion pour des séries télévisées mettant en scène des personnages à la fois à la fois sulfureux, séduisants et violents.»

L’ingérence de Laccruche-Alihanga dans le fonctionnement du parti au pouvoir et ses ambitions personnelles démesurées ont achevé de déstabiliser les institutions gabonaises. Bilie-By-Nze évoque même des rumeurs d’aspirations présidentielles, notant qu’«on lui prêta alors des intentions présidentielles, que cette immersion dans les territoires du pays pouvait laisser supposer.» Ainsi, par leurs actions, les Ajéviens ont contribué à saper les fondements mêmes de l’État, détournant ses ressources à des fins personnelles et politiques, et instaurant un climat délétère de méfiance et d’instabilité au cœur même du pouvoir.

La Young Team : quand les ‘’collégiens’’ dirigeaient le pays

Mais le plus ahurissant reste à venir. Après la chute de Laccruche-Alihanga, c’est un groupe de trentenaires, surnommé la «Young Team», qui prend les commandes. L’arrivée de cette écurie aux affaires est directement liée à la chute de Brice Laccruche-Alihanga et des Ajéviens. L’auteur décrit ce processus comme une transition brutale au sein du cercle de pouvoir d’Ali Bongo.

Bilie-By-Nze ne mâche pas ses mots : «La Young Team, comme sa dénomination l’indique, c’est d’abord, en référence à leur âge, un groupe de jeunes hommes, pour l’essentiel trentenaires, dénués de toute expérience de la gestion des affaires de l’État. Rien dans leur parcours ne pouvait justifier leur accession si subite à un tel niveau de responsabilités

L’ancien Premier ministre décrit un mode de fonctionnement surréaliste : «Leur mode de fonctionnement est lié à leur mode de vie de trentenaires se sentant appartenir à une élite mondialisée, entre voyages à l’étranger, fêtes, visioconférences tenues depuis les quatre coins du monde, etc. Nourredin Bongo, par exemple, est souvent absent du territoire gabonais, vivant entre Londres et Dubaï, entre résidence familiale et ville d’affaires cosmopolite

Plus grave encore, affirme Bilie-By-Nze : «Ils gèrent tout de la vie du Président, aussi bien ses audiences publiques que privées et ses déplacements. La porosité entre sphère publique et sphère privée devient totale. Ils contrôlent la presse et un certain nombre d’activistes, relais d’opinion sur des réseaux sociaux. Ils contrôlent le parti au pouvoir, quelques formations politiques satellites, voire des partis d’une opposition contrôlée et des syndicats

Oligui Nguema : de la «Young Team» à la présidence

La révélation la plus explosive concerne peut-être le général Brice Clotaire Oligui Nguema, actuel président de la transition. Selon Bilie-By-Nze, il était un membre influent de la Young Team : «Parmi la dizaine de membres, le général Brice Clotaire Oligui est l’un des doyens de ce petit cercle opérant en vase clos. Il y argue de son expérience des questions d’ordre public ainsi que de sa connaissance intime, par la direction des services spéciaux qui lui a été confiée, des enjeux sécuritaires

L’ancien Premier ministre va plus loin, affirmant qu’Oligui Nguema était le «supporter n°1 de Sylvia Bongo Ondimba». Il révèle même : «Pour bien montrer son appartenance à la Young Team ainsi que son allégeance à Sylvia Bongo Ondimba, le Général Oligui sera le seul haut responsable gabonais, je l’écrivais précédemment, à baptiser une infrastructure publique du nom de la Première dame : le complexe scolaire les bérets verts Sylvia Bongo Ondimba, construit dans l’enceinte de la caserne GR de la Cité de la démocratie

Ces révélations jettent une lumière nouvelle sur le récent coup d’État. Bilie-By-Nze conclut, cinglant : «D’entendre Brice Clotaire Oligui justifier sa prise de pouvoir par le fait qu’il n’avait pas à recevoir ses ordres ‘des enfants’ est une vaste blague. Après avoir été proche de Brice Laccruche avec lequel il œuvra à écarter du palais et de la GR ceux qui ne se soumettaient pas. Le Général Oligui a intégré la Young Team sitôt Nourredin installé au palais. Il en deviendra un membre influent, allant jusqu’à prêter son expertise sécuritaire afin d’évincer ceux qui dérangeaient ou se refusaient à prêter allégeance

Ces révélations dressent en tout cas le portrait d’un régime gangrené par les luttes d’influence et l’accaparement des ressources de l’État. Elles induisent également de troublantes questions sur la nature du changement promis par les nouvelles autorités. Le Gabon a-t-il vraiment tourné la page, ou assiste-t-on à une simple recomposition du même système ?

Un réquisitoire porteur d’espoir pour l’avenir du Gabon

En définitive, l’ouvrage d’Alain-Claude Bilie-By-Nze, «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon», se révèle être bien plus qu’un simple témoignage. C’est un véritable réquisitoire contre les dérives du pouvoir au Gabon, mais aussi un appel à l’espoir et au renouveau. À travers son analyse sans concession des «saboteurs de la République», l’ancien Premier ministre offre une plongée presque vertigineuse dans les coulisses d’un régime à bout de souffle au moment de sa chute. Mais au-delà du constat accablant, le titre même de l’ouvrage, «Oser l’espérance pour un autre Gabon», laisse entrevoir l’ambition de l’auteur : tirer les leçons du passé pour construire un avenir meilleur. En levant le voile sur ces années troubles, Bilie-By-Nze ne se contente pas de dresser un bilan ; il pose les jalons d’une réflexion profonde sur l’avenir politique et institutionnel du Gabon. Son livre s’impose ainsi comme une contribution majeure à la compréhension des enjeux actuels et futurs de ce pays en quête de renouveau démocratique.

 
GR
 

0 commentaire

Soyez le premier à commenter.

Poster un commentaire