En plongeant dans ses pages, le livre «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon» d’Alain-Claude Bilie-By-Nze offre un regard sans concession sur les dérives du pouvoir, tout en appelant à un renouveau démocratique. Entre mea culpa, critique acerbe et vision d’avenir, l’ouvrage s’impose comme un témoignage de première main pour comprendre les enjeux de la reconstruction nationale. GabonReview s’est contenté ici d’en livrer la quintessence, siphonnée de la préface, de l’avant-propos et de l’addendum (dédicace spéciale à Oligui Nguéma)… essentiels pour une appréhension convenable de l’ouvrage de toutes les controverses depuis sa sortie.

Bilie-By-Nze : «Avant donc que le temps n’efface la mémoire des vivants et que les récits à venir ne percutent le réel, il me fallait écrire avec force que la vulgate actuelle est bien loin de la vérité des faits.» © threads.net/@media.net241

 

Dans le vécu politique gabonais post-coup d’État du 30 août 2023, dans le contexte de la relative période de grâce du nouveau pouvoir et de l’enthousiasme béat de l’opinion nationale, Alain-Claude Bilie-By-Nze brise absolument l’angélisme et apporte sa contribution au débat national avec la publication de son ouvrage «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon». À sa lecture, cet ouvrage présenté officiellement le 16 septembre, résonne comme un témoignage et un appel vibrant à la conscience nationale. Ancien Premier ministre et figure des plus en vue de la vie politique gabonaise sous l’ère Ali Bongo, Bilie-By-Nze livre là une réflexion profonde sur le passé, le présent et l’avenir de son pays, n’hésitant pas à porter un regard critique sur la gouvernance du fils d’Omar Bongo, dont il fut un acteur majeur.

Un héritage familial au service de la nation

Dès les premières pages, l’auteur qui en est à son second livre, ancre son récit dans une profonde connexion avec ses racines gabonaises. La préface, dédiée à sa mère, révèle un homme pétri de valeurs familiales et culturelles : «C’est à toi, ma mère, que je dédie ce livre. Bien sûr tu ne pourras le lire, toi qui, pourtant, veillas à ce que j’ouvre les livres et que je m’en imprègne, quand j’étais petit garçon. Toi qui fus pour nous le livre ouvert que nous ne refermerons jamais, toi dont le regard à lui seul, quand tu le portais sur nous, transmettait le savoir et le précieux legs Fang, Livre des Livres, jamais écrit, mais porté ainsi de mère en fils au fil des siècles

Cette évocation émouvante des enseignements maternels pose les jalons d’une réflexion qui ne cessera d’osciller entre l’intime et le politique. Et Bilie-By-Nze poursuit en rappelant les leçons de modestie et de respect transmises par sa mère : «Tu nous avais appris la possession modeste des fruits de notre terre, le respect dû aux êtres les plus frêles, qu’ils fussent humains ou de ces petits geckos gabonais qu’on apercevait sur les murs de notre maison, là-bas et qu’enfants, nous cherchions à capturer.» Cette sensibilité, forgée dès l’enfance, transparaît tout au long de l’ouvrage, offrant un contrepoint saisissant à la rudesse du monde politique qu’il dépeint sans concession.

Un regard lucide sur les dérives du pouvoir

L’avant-propos plonge le lecteur dans le parcours atypique de Bilie-By-Nze, de son enfance à Makokou jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Ce parcours, profondément ancré dans la réalité gabonaise, confère à l’auteur une certaine légitimité particulière pour aborder les défis auxquels son pays est confronté. Avec une rare franchise, Bilie-By-Nze n’hésite pas à pointer du doigt les errements du régime qu’il a servi.

Dans la section titrée «Une succession de dérives», il dresse un constat sans appel de la gouvernance passée : «Déléguer la gestion de l’État, déléguer la gestion des ressources financières, déléguer la gestion des nominations, déléguer la gestion du Parti, déléguer la gestion de sa propre élection et enfin, déléguer jusqu’à la gestion de sa sécurité, ce qui lui aura été politiquement fatal, a été pour Ali Bongo une succession de désillusions, d’échecs et de scandales

Une analyse critique qui se double d’un appel pressant à «Rétablir la vérité historique» : «Pour autant, et nonobstant l’incroyable dérive à laquelle ont conduit les effets pervers, liés à la cupidité de l’entourage présidentiel et à l’absence de tout contrôle efficient de son action, les réalisations formant le bilan des mandatures d’Ali Bongo méritent d’être jugées avec objectivité. Elles doivent être pesées au trébuchet des résultats obtenus et de ceux qui ne purent être atteints, et justifier une évaluation ex post honnête et conforme à la vérité historique des faits

L’ancien Premier ministre ne se contente pas de dresser un bilan. Il s’attaque également aux mécanismes ayant permis la perpétuation d’un système qu’il juge défaillant. Dans une section intitulée «Dans le vrombissement des fourgons, l’invention d’une doxa», il décortique la machinerie propagandiste du nouveau régime : «Cette négation de l’évidence, cette réécriture caricaturale, voire grotesque de la réalité, cette doxa bâtie à la hâte et de toutes pièces dans le vrombissement des fourgons blindés qui sillonnèrent Libreville un soir d’août 2023, pour justifier une prise de pouvoir dictée en réalité par d’autres motivations que celle, prétendue, de mettre un terme à un soi-disant immobilisme, doivent être démenties

Face à cette sorte de dérive discursive, Bilie-By-Nze oppose la nécessité de préserver «La mémoire des vivants» : «Avant donc que le temps n’efface la mémoire des vivants et que les récits à venir ne percutent le réel, il me fallait écrire avec force que la vulgate actuelle est bien loin de la vérité des faits. Certes nous n’avons pas tout réussi. Certes, le Président Ali Bongo Ondimba n’a pas traduit en actes concrets tous ses engagements, ce qu’il a du reste reconnu à plusieurs reprises et en des occasions solennelles. Mais de là à affirmer qu’il n’a rien fait, il y a là une forme de populisme et de démagogie qui ne peut laisser indifférent

Un appel à l’espoir et à la responsabilité

Malgré la sévérité de son constat, l’ancien porte-parole de la Présidence ne sombre jamais dans le pessimisme. Au contraire, «Au cœur de mes convictions, une lueur d’espérance», une autre section de la partie introduction titrée «Et pourtant…» témoigne de sa foi inébranlable en l’avenir du Gabon : «Je suis légitimiste. Ma ligne de conduite est le respect des institutions de la République, que j’ai toujours veillé à servir en respectant les règles constitutionnelles. J’observe à regret que celles-ci sont sciemment déformées ou ignorées par des personnalités dont la formation aussi bien que le devoir sont de les suivre fidèlement

Cette vision d’avenir s’accompagne d’un appel à la responsabilité collective. Bilie-By-Nze exhorte ses compatriotes à «Rassembler en se gardant des émotions faciles et des passions destructrices»: «Il nous faut rassembler, rassembler et encore inlassablement rassembler, autour des seuls et des seules légitimes, celles et ceux qui ont connu le baptême du feu électoral, dans une commune, un département, une circonscription législative, ces fils et ces filles du Gabon, et ce pour mener une politique de raison, qui se garde des émotions faciles et des passions destructrices, aussi bien que des intrigues de palais : voilà la voie à retrouver !»

Dédicace spéciale à Oligui Nguema

Mais c’est peut-être dans l’addendum, adressé, à la fin du livre après même la conclusion, au général Brice Clotaire Oligui Nguema, que le message de Bilie-By-Nze prend toute sa dimension politique. Avec une audace rare, il interpelle directement le nouvel homme fort du pays : «Vous aviez pris l’engagement public de rendre le pouvoir aux civils à l’issue de la transition. Soyez un homme d’honneur et tenez parole. Le peuple aura à ouvrir une nouvelle ère après celle que vous aurez refermée, au terme de ces deux années de transition et vous assurer la place qui vous reviendra alors dans la communauté nationale, en tant qu’ancien chef de l’État

Cette adresse directe au pouvoir en place témoigne de la détermination de Bilie-By-Nze à jouer pleinement son rôle d’homme d’État, au-delà des clivages partisans. Il n’hésite pas à pointer les divergences fondamentales qui le séparent du régime militaire : «Sans doute seront-elles assez différentes, pour ne pas dire profondément divergentes. Mais hélas, vous avez préféré le chemin de la dissimulation à travers un dialogue préfabriqué dont tous les participants avaient été choisis par vos soins. […] Vous êtes de formation militaire, je suis un civil. Je ne doute pas que nous partagions la même conception de l’exercice de l’autorité, ferme mais juste, mais celle-ci est inspirée de principes évidemment différents : l’autorité militaire a pour finalité de conduire à la victoire par la force des armes face à l’ennemi désigné ; l’autorité civile a pour finalité la concorde nationale par la force du débat et la recherche du consensus.»

S’il n’hésite pas à pointer les divergences fondamentales qui le séparent du régime militaire, il ne continue pas moins à appeler à une forme de réconciliation nationale : «Nous devons travailler à n’exclure personne. Nos contradictions politiques ne devraient se situer que sur la façon d’aborder les questions essentielles pour le développement de notre pays. En d’autres termes, nos approches ne devraient être appréciées qu’à l’aune des regards différents que les unes et les autres portent sur une seule et même réalité : le Gabon, notre patrie chérie

L’ouvrage se clôt sur un appel solennel, qui résonne comme un avertissement et une main tendue : «Par-delà les discours, nous avons le devoir républicain de bâtir ensemble des institutions plus démocratiques, qui prennent en compte les réalités et les complexités de notre belle Nation. […] Ce livre n’a pas vocation à servir de contre-évangile nihiliste. Il présente les faits tels que je les ai vécus, mais aussi la réalité que je souhaite la plus objective du bilan d’Ali Bongo – et qui est exposée pour en permettre l’approfondissement et le débat sur son contenu avec les limites inhérentes à un tel exercice.»

«Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon» s’impose ainsi comme un témoignage exceptionnel, à la croisée de l’autobiographie politique et du manifeste pour l’avenir. Par sa franchise, sa lucidité et son sens de l’État, Alain-Claude Bilie-By-Nze livre bien plus qu’un simple récit personnel. Il offre une réflexion profonde sur les enjeux de la démocratie en Afrique, sur les responsabilités du pouvoir et sur le rôle des élites dans la construction nationale.

Cet ouvrage, sur lequel GabonReview reviendra et décortiquera d’autres chapitres, résonne comme le cri du cœur d’un «enfant ordinaire mais conscient» du Gabon, qui, fort de son expérience au sommet de l’État, appelle ses compatriotes à se saisir de leur destin. Dans un contexte politique incertain, la voix de Bilie-By-Nze se veut celle de la raison et de l’espoir, une petite lumière tentant d’appeler le Gabon vers un avenir meilleur.

Demain dans GabonReview, des notes de lecture sur la deuxième partie titrée «Les saboteurs de la République». Il y est question de «La légion étrangère», «Les Ajeviens» et «La Young Team».

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Gayo dit :

    Ali Bongo a toujours été un homme de délégation, principalement parce qu’il est paresseux de nature. Cela se sait depuis qu’on a vu Accrombessi et Alihanga se comporter comme les véritables chefs d’État. Ali Bongo n’avait d’autre choix que de déléguer, car en tant qu’élève médiocre, sa paresse est inscrite dans son ADN. Et vous, Bilie Bi Nze, en opportuniste égoïste, avez soutenu un tel homme pendant 14 ans. Pour quel résultat ? Année après année, vous avez été témoin de l’aggravation de la pauvreté au Gabon, comme en témoignent les chiffres de la Banque mondiale. Pourtant, vous vous auto-congratulez pour des résultats maigres, qui n’ont pas empêché la détérioration de la situation sociale dans notre pays. Sous la gouvernance d’Ali Bongo, la pauvreté a augmenté de 9 points. Les chiffres ne mentent pas, Bilie Bi Nze. Ce chiffre, tout comme celui d’Ali 9, devrait suffire à vous convaincre du bilan négatif de votre règne de 14 ans.

    Même avec la meilleure volonté du monde, lorsque l’incompétence, la médiocrité et la paresse sont évidentes, elles ne font qu’enfoncer un pays dans le sous-développement et la pauvreté. Dans ce contexte, s’accrocher au pouvoir par des moyens déloyaux et anti-républicains est inexcusable, d’autant plus lorsque l’arrogance et le mépris, comme ceux dont vous avez fait preuve, sont également de la partie. Maintenant qu’Ali Bongo est affaibli, vous tentez de nous convaincre que le coup d’État est illégitime, alors que continuer à déléguer avec un président malade n’aurait mené qu’à des résultats encore plus désastreux. Vous affirmez ne pas comprendre pourquoi un infirme ne pourrait pas être président. Être infirme peut avoir plusieurs significations, mais la raison est simple : nous ne voulons plus d’un président qui délègue sans contrôle, faute d’énergie pour assumer pleinement ses responsabilités.

    Le poste de président de la République est une charge lourde, et il peut exiger de longues heures de travail, parfois avec très peu de sommeil, lorsque des dossiers cruciaux pour la nation doivent être traités. C’est pourquoi nous devons nous assurer que la personne qui occupe cette fonction a les ressources physiques et mentales nécessaires. L’exemple de Roosevelt n’est pas adapté à un pays qui fait encore face à de nombreux défis. Parler d’institutions solides dans un pays où 40 % de la population est pauvre relève de l’utopie. Malheureusement, dans une telle situation, le pays a besoin d’un leader fort, mais un leader qui respecte ses engagements, qui respecte la dignité de son peuple, et qui ne s’accroche pas au pouvoir quand son incapacité et ses échecs sont évidents.

    En effet, dans un pays où la pauvreté pousse parfois les gens à se vendre pour survivre, où l’on vote pour le parent du village dans l’espoir d’obtenir un poste ou un carton de poulet, le concept de république perd de son sens pour une grande partie de la population. Une véritable république et des institutions portées par le peuple se construisent lorsque l’on n’a plus 40 % de la population concentrée uniquement sur comment assurer leur prochain repas.

  2. Gayo dit :

    C’est faut lorsque Bilie Bi Nze essaie de faire croire que la tête suffit pour diriger. Le volume de travaille d’un président qui ne délègues pas ses charges comme Ali Bongo est lourd physiquement. Dieu seul sait en ce moment combien de nuit des gens comme Oligui ou Kagame ne dorment pas assez parce qu’ils veulent suivre tout ce qui se passe dans les dossiers pour redresser les choses quand ca ne va pas. Ali Bongo lui continuait a dormir même lorsque la situation était alarmante. Un troisième mandat, c’était pour enterrer le Gabon.

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