Opération Scorpion : Le lit de la défiance
Les traitements différenciés offerts aux anciens cadors de la défunte Association des jeunes émergents volontaires (Ajev) exhalent des effluves d’arrangements de couloir voire de combinaisons politiciennes.
Détenus depuis décembre 2019 dans le cadre de l’opération Scorpion, les anciens cadors de la défunte Association des jeunes émergents volontaires (Ajev) recouvrent la liberté les uns après les autres. Après Renaud Allogho Akoué en septembre 2023, Justin Ndoundangoye et Grégory Laccruche-Alihanga en octobre de la même année, Ike Ngouoni Aïla Oyouomi en avril 2024, Tony Ondo Mba et Brice Laccruche-Alihanga en mai dernier, Christian Patrichi Tanasa a été libéré le 27 du mois courant. Comme à chaque fois, les mêmes questions reviennent. Cette décision est-elle juridiquement valide ? Est-elle proportionnelle aux chefs d’accusation ? Pourquoi maintenant et pas avant ? La justice a-t-elle agi en toute indépendance ou sous le coup de pressions ? N’y a-t-il pas, derrière tout cela, un message de portée politique ? N’est-on pas en face d’une autre manifestation de ces collusions institutionnelles et liaisons incestueuses moult fois dénoncées ?
Une justice à la tête du client ?
Ce questionnement ne doit pas être compris comme une incitation à l’acharnement judiciaire. Il ne saurait non plus être entendu comme une caution aux outrances du régime déchu. Il traduit simplement les doutes d’une partie de l’opinion. Au-delà, il souligne la volonté de se faire une meilleure idée du travail de l’appareil judiciaire. Surtout en cette période si particulière, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) ayant pris l’engagement d’œuvrer au «renforcement de l’indépendance de la justice». Après tout, les conditions de ces mises en liberté ne sont pas compréhensibles par tous. Si rien n’a été dit au sujet de Renaud Allogho Akoué et Ike Ngouoni Aïla Oyouomi, Justin Ndoundangoye et Grégory Laccruche-Alihanga jouissent d’une liberté provisoire. Si Tony Ondo Mba et Brice Laccruche-Alihanga ont été reconnus coupables puis libérés pour avoir déjà purgé leurs peines fermes, Christian Patrichi Tanasa a définitivement été innocenté. Or, au début de l’affaire, ils étaient, à quelque chose près, accusés des mêmes crimes.
Pourquoi ces traitements différenciées ? Assiste-t-on à une justice à la tête du client ? En août 2022, Ike Ngouoni Aïla Oyouomi et Christian Patrichi Tanasa n’y étaient pas allés avec le dos de la cuillère. De façon solennelle, ils avaient publiquement mis en cause Sylvia Bongo et Noureddin Bongo Valentin. Si une confrontation paraissait improbable à cette époque-là, le coup d’Etat l’a rendue envisageable. Pourquoi n’a-t-elle jamais été organisée ? Pourquoi s’est-elle limitée à un face-à-face entre l’épouse d’Ali Bongo et Brice Laccruche-Alihanga ? Même si on n’y apportera pas de réponse, il faut le rappeler : quand elles sont comprises et acceptées, les décisions de justice renforcent la confiance du citoyen dans les institutions, contribuant ainsi à «l’instauration (de cette) culture de bonne gouvernance et de citoyenneté responsable» prônée par le CTRI. À l’inverse, quand elles sont incomprises ou controversées, elles font le lit de la défiance.
Un système corrompu à l’extrême
Le 30 août 2023, le CTRI n’avait pas seulement «décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place». Il s’était aussi élevé contre «une gouvernance irresponsable, imprévisible». Comment y remédier quand des décisions de justice suscitent la méfiance ? Ou quand les citoyens doutent de leur objectivité ? Ou encore quand ils les tiennent pour l’expression de la volonté politique voire d’une autre forme d’arbitraire ? Les cours et tribunaux auront beau requalifier les faits, évoquer des circonstance atténuantes et plaider pour des sursis. Ils seront toujours suspectés d’obéir au gouvernement ou de décider sur injonction. Ils pourront annoncer des enquêtes complémentaires. Leurs décisions exhaleront quand même des effluves d’arrangements de couloir voire de combinaisons politiciennes. Surtout au regard de la célérité avec laquelle certains détenus d’hier ont proclamé leur volonté d’accompagner le CTRI.
Que reste-il de l’opération Scorpion ? Rien, hormis de douloureux souvenirs pour les mis en cause. Qu’en retiendra l’opinion ? Rien, sauf des révélations sur la gouvernance d’Ali Bongo et les pratiques de sa famille nucléaire, accusée d’avoir mis en place un système corrompu à l’extrême, où l’abus de pouvoir le disputait au trafic d’influence, l’opacité à l’irresponsabilité, où régnaient la loi du plus fort, les règlements de comptes, la vengeance et la violence. Quelles leçons le CTRI peut en tirer ? Aucune, si ce n’est la nécessité de ne pas prêter le flanc aux accusations d’immixtion dans les affaires judiciaires. Quels défis se présentent alors à lui ? De nombreux, notamment la réforme des organes de régulation du secteur judiciaire, l’indépendance du parquet, la formation des personnels et, l’introduction d’une démarche qualité visant la satisfaction du justiciable. Si la justice doit être au service de la bonne gouvernance, il faut engager ces chantiers.
1 Commentaire
Merci, Roxy….👌😉