Dressant un état des lieux sans concession de la situation politique et sociale dans le département de Bayi-Brikolo, au Gabon, Ernaud Dechanel Ayebe Mickala* propose, à l’aune de la transition politique amorcée par le coup d’État du 30 août 2023, une série de solutions concrètes pour sortir cette région enclavée du Haut-Ogooué de son sous-développement chronique. De l’éveil citoyen au renouvellement de l’élite politique, en passant par la responsabilisation des acteurs locaux, il appelle à une véritable révolution des mentalités pour construire un «Gabon nouveau» où chaque citoyen aurait sa place.

© Facebook/L’éveil de Bayi-Brikolo (Aboumi)

 

Ernaud Dechanel Ayebe Mickala. © D.R.

En dirigeant le coup de la libération aux premières heures du 30 août 2023, le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) a jeté les bases d’un Gabon nouveau dans lequel chaque citoyen a toute sa place et peut à nouveau rêver. Dans un pays longtemps en proie au doute, l’opération militaire est historique, en ce sens qu’elle constitue une démarche salvatrice pour une nation rénovée et digne d’envie, comme le rappellent en mélodie, les paroles de nos illustres précurseurs dans l’hymne national, la Concorde. Le peuple gabonais, témoin de premier plan du jeu politique et arbitre des équilibres démocratiques, est invité à s’approprier cette vision républicaine pour que s’amorce, enfin, la marche collective vers un horizon partagé et mutuellement bénéfique : la Félicité nationale.

Au cœur de ce projet militaire, un triptyque se dégage : la restauration institutionnelle, le retour de la dignité nationale et l’exemplarité dans le service de l’Etat. Car, c’est bien du fait du dévoiement de nos institutions que les pratiques antirépublicaines ont prospéré à tous les niveaux de la société, légitimant ainsi la courageuse expédition de nos Forces de Défense et de Sécurité.

Cette photographie panoramique interroge le cas de la Bayi – Brikolo, Département de la Province du Haut-Ogooué situé à 75 km d’Okondja (Département de Sébé-Brikolo) et dont l’enclavement est endémique. Pour bien comprendre le mal de cette localité, il n’est point besoin de revenir sur les causes de son sous-développement. Ces dernières sont connues. Elles vont de l’absence d’une route praticable en toutes saisons à un exode rural croissant, en passant par l’inexistence d’un système d’hydroélectricité villageoise et des services de santé décents. Le présent examen consistera – à partir des causes susmentionnées – à explorer des solutions concrètes et réalistes pouvant aboutir à une amélioration de la condition de ce Département dans le contexte de la transition politique, voire au-delà. Nous verrons bien, qu’à rebours de l’imaginaire collectif qui conditionne son développement par le bitumage du linéaire Alanga – Aboumi, d’autres pistes de solution, humaines et comportementales celles-là, pourraient se révéler tout aussi utiles à l’avancée de cette région. Intervenant au lendemain de la visite à Aboumi du Président de la Transition, Président de la République, Chef de l’Etat, le Général de Brigade Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA, cette tribune se veut fondamentalement impartiale, car prenant en compte l’actualité et l’ensemble des éléments d’appréciation nécessaires à son objectivité.

 Solution N°1 : Le sursaut citoyen et l’éveil des cadres

«Construisez dans vos villages, car les maisons que vous possédez à Libreville appartiennent à d’autres personnes». C’est en ces termes forts que le Président de la République a ponctué son adresse dans la plupart des Départements du Haut-Ogooué qu’il a récemment visités à l’occasion de sa tournée républicaine. C’est donc un truisme de rappeler à quel point l’implication citoyenne est précieuse dans la construction de nos territoires ruraux. Si l’inaction de la classe politique locale est souvent indexée à tort ou à raison, il n’en reste pas moins que l’absence d’une dynamique citoyenne, elle aussi, participe de l’enclavement de la contrée. On ne le dira jamais suffisamment : des localités régionales comme Ngouoni (Département de Lékabi-Léwolo), Oss’kama (Département de Léconi-Lékori) et même la voisine Onga (Département de la Djoué), pour ne citer que celles-là, sont régulièrement présentées comme des modèles d’une intégration aboutie. La recette de leur réussite est simple : un  développement communautaire basé sur l’action citoyenne, et à l’intérieur duquel chaque salarié se sent investi du devoir de contribuer au progrès de son village ; le tout porté par un attachement fusionnel de chaque ressortissant à sa contrée. Bien évidemment, la portée de ces acquis est à relativiser, car pour la plupart fortement favorisés par des déterminismes environnementaux et socio-économiques plutôt avantageux (routes bitumées, proximité avec les grandes agglomérations provinciales, importante population en activité etc.). Néanmoins, la vision et l’engagement citoyen des ressortissants de ces contrées restent décisifs dans ledit succès. Ainsi considérée, l’implémentation de ce modèle à Bayi-Brikolo reste possible si tant est que l’on s’engage en dynamique sur cette voie-là, et que chaque individu en capacité d’y adhérer, en prenne résolument conscience par l’action citoyenne sur le terrain. Dans cette synergie citoyenne à bâtir, le comportement des cadres non-politiques sera particulièrement déterminant, car leur timidité et leur absence d’initiatives de développement ont aussi favorisé le statu quo aujourd’hui déploré.

 Solution N°2 : Responsabiliser et dépassionner le débat politique

La théâtralité qui caractérise souvent le débat politique local est assurément l’une des causes humaines du retard de la Bayi-Brikolo, en ceci qu’elle nourrit inutilement la division et exacerbe les clivages. Un exemple pratique de ce phénomène : Vous rencontrez par hasard un homme ou une femme politique de la localité dans la rue et immortalisez ce moment heureux par une photo que vous publiez ensuite sur les réseaux sociaux. À l’instant, cette image est capturée et transférée avec un commentaire malveillant à un autre acteur politique. Vous voilà subitement l’objet d’un procès d’intention et gratuitement fiché comme « membre de l’autre camp ; sans oublier tout ce que cela occasionne comme méfiance et médisance injustifiées. Des curiosités de cette nature sont légion et peuvent être observées de part et d’autre des forces politiques en présence. Aussi triste que cela puisse paraître, cette basse besogne est souvent l’œuvre de certains jeunes dont la naïveté et la détresse sociale sont habilement exploitées à des fins obscurantistes. À quelque chose malheur étant bon, ces amalgames récurrents sur fond de guerre de leadership sont porteurs d’un  enseignement utile : l’action prônée à Bayi-Brikolo ne concerne pas que le développement matériel. Il implique aussi l’éducation civique de manière à  sensibiliser des masses sur les vertus de la tolérance et les pratiques du jeu politique dans une société libre et démocratique. On est en droit de s’afficher avec un acteur politique sans forcément être contre les autres ; tout comme on peut avoir de la sympathie pour un homme politique sans être obligé de lui être inféodé. Ce sont là des principes de base du vivre-ensemble que chacun devrait pouvoir aisément cultiver. Les rivalités des politiques locaux n’ont pas profité au Département depuis sa création, si ce ne qu’elles ont divisé des familles et ruiné des amitiés. Si la politique est par essence un combat d’idées, sa pratique, elle, doit s’inscrire dans la responsabilité, le rassemblement et l’intérêt supérieur du plus grand nombre. Car, autant le bon sens interdit de changer une équipe qui gagne, autant il oblige de changer celle qui perd. À la lumière de cet échec de la classe politique, il est légitime de lui opposer un modèle social novateur fondé sur l’inclusion communautaire, le développement participatif et l’investissement citoyen ; des alternatives encore magnifiées la semaine dernière par le Chef de l’Etat lors de son message aux populations altogovéennes, et particulièrement à Onga où il a rendu un hommage vibrant à l’entrepreneur Platini ASSARI de NDOUNA pour son admirable œuvre en faveur du développement de sa localité.

Solution N°3 : L’indépendance des Conseils locaux

Dans le contexte d’exception que représente la transition politique, et notamment en l’absence d’un Parlement élu, l’action des Conseils départemental et municipal revêt une importance de poids dans l’animation et la coordination de l’activité politique au sein du Département. Ce rôle leur échoit de fait. Aussi, pour leur fonctionnement efficient, les Délégations spéciales, nommées par décret présidentiel le 05 février dernier, doivent-elles se libérer des influences extérieures et travailler en toute indépendance. Cette souveraineté passe d’abord par l’appropriation et l’application de la feuille de route reçue du Gouvernement de la transition ;  à savoir entre autres, la planification de l’action sociale, l’aménagement de l’espace public et des voiries, l’organisation des transports publics (pour ce qui concerne le Conseil départemental) ; ainsi que l’administration de la ville, la gestion du patrimoine communal, la création des services publics municipaux etc., (pour ce qui est du Conseil municipal). Or, s’il est une vérité de Lapalisse dans l’histoire politique de ce Département, ce sont bien « les rapports incestueux » entre la classe politique et les responsables de la gestion des collectivités. Il va de soi que ces ingérences répétées ne nuisent pas qu’au fonctionnement régulier de ces administrations. Elles entachent également la crédibilité des Délégués spéciaux, devenus depuis quelques mois, pour le regretter, l’objet des railleries et commentaires peu honorables sur les réseaux sociaux. La révolution des consciences suggérée plus haut devrait aussi toucher ces deux services décentralisés, indispensables leviers au développement local.

 Solution N°4 : Le (nécessaire) renouvellement de l’élite politique

Par l’effet de l’usure et de la dégénérescence de la créativité cérébrale chez l’Homme, il est admis par la science que plus un système s’établit dans la durée, moins vertueux et productif il devient. C’est pourquoi, ayant compris ce principe de la nature, les grandes démocraties mettent particulièrement l’accent sur la régénération cyclique des ressources à tous les niveaux de l’échelle sociale et économique, y compris dans les secteurs industriel et technologique, pourtant dominés par l’automatisation. En politique, domaine d’activité dans lequel l’exigence d’efficacité est élevée, ce postulat apparaît plus que pertinent. Toutefois, que la portée de cette recommandation ne soit pas travestie ou mal comprise : le renouvellement préconisé ici ne consiste pas à isoler, stigmatiser ou opposer les politiques au reste de la société. Qu’on le veuille ou non, de par leur expérience, leurs ramifications et leurs avis, ils restent une composante essentielle de la vie du Département. Il s’agit plutôt de tirer, en toute objectivité et conséquence, les enseignements d’une gouvernance locale stérile, égocentrique et éloignée des aspirations élémentaires des populations. En effet, à plus d’un quart de siècle d’existence, et en dépit d’importants moyens alloués par l’Etat au cours de la même période, la Bayi-Brikolo demeure l’un des derniers Départements du pays alors que constituée seulement de quatre petits villages faiblement peuplés. La précarité continue de rythmer la vie des populations d’Aboumi, Obori, Youma et Ontogo, l’eau potable et l’électricité restent des produits rares, la téléphonie un luxe, l’école départementale se meurt inexorablement, la micro-économie à même de générer l’activité et d’occuper la jeunesse désœuvrée, reste peu valorisée. Plus alarmant : le Département est littéralement « balkanisé », avec d’un côté des leaders politiques qui se parlent, mais refusent de s’accorder sur l’essentiel, et de l’autre, des partisans surexcités qui n’hésitent pas à souffler sur les braises. Ce climat électrique qui a pour origine une mauvaise pratique de la politique, commande un changement de cap, et donc une actualisation des ressources à la manœuvre. Ne pas reconnaître cette évidente nécessité serait non seulement manquer de lucidité, mais aussi se dévoyer et porter sur sa conscience la co-responsabilité de la régression du Département et du malheur des générations à venir, condamnées à hériter du même environnement demain. Pour y arriver, les supporteurs des leaders politiques de tous bords gagneraient à se libérer des postures rétrogrades que sont le clientélisme et la flatterie, lesquelles consistent à défendre et à applaudir à tout va les acteurs politiques, y compris lorsque ces derniers sont clairement dans l’erreur. Cette complaisance a ceci d’enivrant qu’elle finit souvent par endormir les hommes politiques dans une zone de confort ou dans une forme d’autosatisfaction coupable, les privant ainsi de la nécessaire autocritique, attitude indispensable à tout effort et à toute amélioration. Le renouvellement réclamé par la majorité des Bayi-Brikolois serait d’autant plus bénéfique qu’il favoriserait l’émergence d’une nouvelle classe d’hommes et de femmes porteurs d’une vision crédible et fédératrice. Il n’aurait donc pas vocation à combattre des hommes ou des femmes politiques – comme cela pourrait être grossièrement interprété – mais un système de gouvernance et des méthodes de gestion qui ont montré leurs limites depuis des décennies et dont les velléités de perpétuation par les uns et les autres constituent aujourd’hui une réelle menace pour la cohésion et l’avenir du Département.

 *Ernaud Dechanel AYEBE MICKALA

Jeune Cadre administratif et fils de la localité

Analyste politique

 
GR
 

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