Gabonisation de l’économie : le pari risqué de la transition
Ceca-Gadis, FlyGabon, Assala Energy… en vue de redéfinir son paysage économique, le Gabon, sous la houlette du général-président Brice Clotaire Oligui Nguema, semble s’engager dans une vaste opération de nationalisation d’entités économiques. Ni officielle ni formellement déclinée, cette stratégie, aussi ambitieuse que risquée, soulève des questions cruciales sur l’avenir économique du pays et sa capacité à supporter le poids financier des acquisitions effectuées ou envidsagées, dans un contexte d’endettement déjà préoccupant.
Dans la logique «Gabon d’abord» impulsée par les pères de l’indépendance mais aussi dans la foulée des recommandations du Dialogue national d’avril dernier, et même bien avant ces assises, le gouvernement de transition, dirigé par le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema, s’est lancé dans une ambitieuse stratégie de nationalisation économique. On n’en voudra pour preuve que la série d’acquisitions et de prises de participation dans des secteurs clés de l’économie nationale.
Série d’acquisitions et de prises de participation
Parmi les opérations les plus marquantes, on note l’acquisition de 35% de Ceca-Gadis, leader de la grande distribution, dans le but de promouvoir les produits locaux et de réduire la dépendance aux importations. Mais aussi la prise de 56% de participations dans le capital d’Afrijet pour créer FlyGabon, la nouvelle compagnie aérienne nationale. Et, tout récemment et très spectaculaire, le rachat d’Assala Energy, deuxième producteur pétrolier du pays, pour un montant de 1,3 milliard d’euros.
Si cette politique volontariste vise à stimuler l’économie nationale et à renforcer la souveraineté économique du pays, elle soulève cependant des questions quant à sa viabilité financière. Notamment au regard de la situation économique actuelle du Gabon. Le pays est, en effet, déjà plombé avec une dette dépassant 70,5% du PIB. De plus, le déficit budgétaire se creuse, passant de 1,8% du PIB en 2023 à une prévision de 3,6% en 2024 et 5,1% en 2025. Et, le budget 2024 prévoit une augmentation significative des dépenses publiques, comprenant notamment une hausse de 12% de la masse salariale du secteur public et une augmentation de 67% de l’investissement public.
Face à cette politique budgétaire expansionniste, le Fonds Monétaire International (FMI) n’a pas manqué d’exprimer ses inquiétudes, soulignant les risques qu’elle fait peser sur l’économie gabonaise, tandis que, par ailleurs, l’agence de notation Moody’s a récemment dégradé la note du pays de Caa1 à Caa2. Ce qui indique, plus simplement, que la situation financière de l’emprunteur Gabon s’est détériorée.
Indicateurs d’appel à la prudence
Dans ce contexte, le Gabon a-t-il les moyens financiers pour nationaliser tel qu’envisagé, vu qu’en mars dernier, le journal Jeune Afrique, évoquait l’ambition des autorités de procéder à la nationalisation du leader des télécoms, Moov Gabon ? Ce pour coller à une recommandation de la commission économique et financière du Dialogue national d’avril 2024.
Au regard de la situation chiffrée, plusieurs facteurs laissent entrevoir que le pays pourrait rencontrer des difficultés à financer durablement cette politique. Quatre (4) indicateurs, notés plus haut, appellent en tout cas à la prudence :
- Le niveau d’endettement élevé : avec une dette dépassant 70,5% du PIB et 70% des recettes consacrées au remboursement de cette dette, le Gabon dispose d’une marge de manœuvre financière limitée.
- Le déficit budgétaire croissant : l’augmentation prévue du déficit budgétaire indique que le pays dépense déjà plus qu’il ne génère de revenus, ce qui pourrait compliquer le financement de nouvelles acquisitions.
- Les inquiétudes des institutions financières internationales : les préoccupations exprimées par le FMI et la dégradation de la note par Moody’s pourraient rendre plus difficile et plus coûteux l’accès du Gabon aux financements internationaux.
- Les incertitudes sur la rentabilité des investissements : bien que certains défenseurs de cette politique parlent de «bonne dette», il n’est pas garanti que ces investissements généreront suffisamment de revenus pour couvrir les dépenses engagées, surtout à court terme.
Il reste que, si ces acquisitions parviennent à stimuler l’économie nationale et à générer des revenus supplémentaires comme l’espère le gouvernement, elles pourraient à terme renforcer la position financière du pays. Le succès de cette stratégie dépendra donc largement de la gestion efficace de ces nouvelles acquisitions et de la capacité du gouvernement à maintenir un équilibre budgétaire tout en poursuivant ses objectifs de développement économique.
En résumé, bien que les autorités de la transition préconisent, visiblement, une série de nationalisations, la capacité financière du Gabon à la soutenir sur le long terme reste incertaine et dépendra en grande partie des résultats économiques de ces investissements.
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