«Un président beaucoup plus à la manœuvre» et, «un exécutif (…) qui n’a pas (…) à rendre compte de l’action gouvernementale au Parlement». Dans un pays traumatisé par les transgressions des proches d’Ali Bongo, il faut être au clair sur les droits et devoirs du président de la République, y compris sa responsabilité politique et pénale.

Le Comité constitutionnel national (CCN) ne risque-t-il pas d’enfanter d’un régime bâtard, inopérant et porteur d’incertitudes voire d’instabilité politique et institutionnelle ? © GabonReview

 

Désormais à l’œuvre, le Comité constitutionnel national (CCN) doit composer avec les délibérations du Dialogue national inclusif (DNI) et les orientations du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Dans sa réflexion, le CCN doit concilier deux impératifs : «un régime plus présidentiel que ce que nous avons connu jusque-là» et une «séparation rigide des pouvoirs». Au-delà, il doit jeter les fondements de «la refondation de l’Etat», garantir «l’indépendance de la justice» et, consacrer «la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés publiques». Y répondra-t-il ? Parviendra-t-il à inventer un modèle endogène répondant aux fondamentaux du droit constitutionnel ? Ne risque-t-il pas d’enfanter d’un régime bâtard, inopérant et porteur d’incertitudes voire d’instabilité politique et institutionnelle ? Là réside tout le défi.

Esbroufe et mystification

Selon la sous-commission «Régime et institutions politiques» du DNI, les contributeurs auraient milité pour «un président beaucoup plus à la manœuvre» et, «un exécutif totalement indépendant, qui détient beaucoup plus de pouvoirs (…) et qui n’a pas (…) à rendre compte de l’action gouvernementale au Parlement». Comme si le développement du pays n’a pas été entravé par l’hyper-présidentialisation, certains veulent en rajouter. Prétendant faire écho à la pratique politique du CTRI, ils échafaudent des théories brumeuses. Comme si la concentration des pouvoirs entre les mains d’un homme n’a pas débouché sur l’usurpation de pouvoir par les proches d’Ali Bongo, ils cherchent à soustraire l’exécutif de tout contrôle, y compris parlementaire. Ne tirant aucune leçon du passé, ils font mine de convoquer le modèle américain, se contentant de l’écume des choses.

Plaident-ils pour «une véritable séparation des pouvoirs» ? Ils n’en déclinent pas les modalités pratiques. S’ils se prononcent pour un exécutif monocéphale, ils se gardent de dire si le président de la République perd le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale. S’ils affirment être acquis à un Parlement délesté du droit de censure, jamais ils n’évoquent la mise en accusation du président. De même, ils éludent le débat sur la place de la justice, observant le mutisme sur la Cour constitutionnelle. En revanche, ils maintiennent le président de la République dans le statut de président du Conseil supérieur de la magistrature. Comment comptent-ils «consacrer l’indépendance du pouvoir judiciaire» ? Quelle différence font-ils entre «autorité judiciaire» et «pouvoir judiciaire» ? Comment espèrent-ils passer d’autorité à pouvoir ? Simplement en l’écrivant ? Ou en établissant des modalités pouvant aller de l’élection à la nomination à vie, selon les catégories de magistrats ? Mystère et boule de gomme. Du coup, ils laissent le sentiment de faire dans l’esbroufe et la mystification.

Une supposée science ou des émotions recuites

De toute évidence, la réflexion de la sous-commission «Régime et institutions politiques» est parcellaire, désarticulée et inaboutie. À l’analyse, elle ne vise nullement la mise en place d’«institutions fortes, crédibles et légitimes garantissant un État de droit, un processus démocratique transparent et inclusif, apaisé et durable». Le CNN est-il face à un traquenard ? Dans un pays traumatisé par les transgressions de Brice Laccruche Alihanga, Sylvia Bongo et Noureddin Bongo Valentin, il faut être au clair sur les droits et devoirs du président de la République, y compris sa responsabilité politique et pénale. L’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo aurait-il pu se faire passer pour son «messager intime» si le président de la République était responsable devant l’Assemblée nationale ? Ou si la menace d’une dissolution ne pendait pas au nez des députés ? Son épouse et son fils se seraient-ils substitués à lui si le Premier ministre détenait une partie du pouvoir exécutif ? Ou si les carrières des magistrats, y compris ceux de la Cour constitutionnelle, ne dépendaient pas du président de la République ?

Sur toutes ces questions, la sous-commission «Régime et institutions politiques» est restée muette. Du haut de leurs certitudes, les délégués ont préféré étaler ou une supposée science ou des émotions cuites et recuites. Or, si le régime semi-présidentiel a réellement apporté la preuve de ses limites et si le choix est celui du régime présidentiel, il faut aller au fond du débat. Froidement et sans arrière-pensées politiciennes, chaque option ayant ses avantages et ses inconvénients, ses facilités et ses exigences. «L’essor vers la félicité» ne saurait se faire au moyen de calculs personnels, arrangements d’arrière-cour, demi-vérités ou mensonges. Mais par la prise en compte de notre histoire commune ainsi que des poids et contrepoids spécifiques à chaque régime politique.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Bertin dit :

    belle analyse et vous avez toute mon admiration

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