Le secteur pétrolier gabonais est gangrené par la corruption et des contrats léonins bradant les ressources nationales au profit d’affairistes sans scrupules. À l’immeuble du Pétrole à Libreville, l’administration laisse des petites compagnies pétrolières mafieuses dominer le secteur, avec des contrats défavorables pour le Gabon. Cette dénonciation cinglante d’un ancien cadre du pétrole, mis en exergue ici par Gilles Térence Nzoghe, ancien journaliste et ancien Conseiller-membre au Conseil national de la communication (CNC), appelle à un grand sursaut pour recouvrer la souveraineté perdue et renégocier les termes d’un pillage devenu insoutenable.

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Gilles Térence Nzoghe, ancien Conseiller membre du Conseil national de la communication (CNC). © D.R.

Telle la lèpre cette maladie infectieuse chronique plus ou moins contagieuse qui tue encore dans 14 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, le mal grave qui tue notre économie sévit dans cette administration très spécialisée logée à l’angle du Boulevard Triompha Omar Bongo et du Boulevard Bessieux dans un immeuble cossu baptisé « immeuble du pétrole » où la gabegie financière et la mauvaise gestion règnent comme nulle part. Mais ce phénomène très ancré qui s’est amplifié durant les deux mandats d’Ali Bongo échappe curieusement aux critiques des journalistes et des observateurs depuis au moins trente ans, durée qui correspond à l’arrivée dans notre pays de ces petites compagnies pétrolières mafieuses et leurs sociétés de prestation de services tout aussi mafieuses, qui font la une des journaux et des réseaux sociaux ces derniers temps, et qui sont pratiquement toutes dirigées par des affairistes.

 Pour éradiquer ce redoutable fléau, le meilleur des remèdes en cette période historique de la restauration des institutions c’est un grand coup de balai dans cette vieille structure ministérielle héritée du régime déchu et dont l’organisation et les attributions n’ont pas évolué depuis plusieurs années, tant et si bien qu’elle ne peut que mériter aujourd’hui son qualificatif de haut lieu de la corruption qui gangrène le secteur des hydrocarbures dont l’économie du Gabon reste fortement tributaire.

En effet, à en croire les révélations scandaleuses et inadmissibles d’un ancien haut cadre de cette administration, l’autre jour sur les antennes de la télévision d’Etat, Gabon première, la grande corruption qui nous hisse parmi les 33 pays les plus corrompus d’Afrique commence bel et bien dans cet immeuble maudit où opèrent comme des robots des  cadres supérieurs usés par un système qui les oblige à négocier, l’échine pliée devant, les contrats léonins qui ont livré notre pétrole à des  pseudos investisseurs depuis la fin des années 80 jusqu’à ce jour.

Parce que les Gabonais oublient vite, en plus de cette lamentable tendance qu’ils ont à être complètement indifférents aux sujets qui peuvent fâcher sous d’autres cieux, il est important de rappeler ici les souvenirs douloureux de cet ingénieur des Mines et du Pétrole, aujourd’hui à la retraite. Il répondait ce jour-là à la question d’une journaliste voulant savoir si le Gabon tire effectivement profit des revenus de son or noir.  Voici résumées ses réponses :

« En réalité le Gabon ne profite pratiquement pas de sa manne pétrolière pour une raison simple : quand ces sociétés viennent négocier pour la première fois, elles nous disent : on va investir dans le pétrole. On leur signe des comptes rendus de réunions avec lesquels ils courent aussitôt négocier des prêts auprès des banques en France et ailleurs en Europe. Mais au lieu de nous ramener des capitaux, de l’argent frais, ces gens-là nous ramènent des dettes que le Gabon doit rembourser à leur place dans le cadre de l’exploitation du pétrole brut en se soumettant à des délais d’amortissement très courts de 2 ou 3 ans, et à des taux d’intérêts  très élevés qui se montent en général entre 10  et 15% ; alors même que l’entreprise étrangère en face de nous a emprunté à un taux d’intérêt qui ne dépasse pas les 3% et que sa banque lui a accordé un délais de remboursement d’une durée de 15 à 20 ans.

Plus grave, au niveau du partage de production qui n’interviendra qu’après le remboursement par le Gabon de la dette contractée par l’opérateur pétrolier, le contrat signé à cet effet par l’Etat permet encore à cette entreprise pétrolière étrangère de se tailler la part du lion en s’accaparant de 55 à 60% des parts qui restent des produits pétroliers. Un contrat de dupes ; et c’est là que commence aussi la corruption. Le pays est floué en permanence ; il va aller de dettes en dettes, donc incapable de se développer. Ce qui fait du Gabon un pays pétrolier pauvre», conclu l’ancien haut cadre du pétrole et des mines. Ces propos n’ont jamais été démentis.

Comment croire sérieusement que nous  pouvons bâtir un nouveau Gabon,  transformer en profondeur ce pays, comme voulu par le Dialogue national inclusif, si nous n’avons même pas le courage de dénoncer et de renégocier ce type de contrats de domination imposés par de toutes-petites entreprises étrangères ; contrats qui sont actuellement en cours d’exécution et qui cantonnent le Gabon dans une posture humiliante inacceptable pour un Etat souverain qui est censé définir librement les objectifs de sa politique en matière de pétrole et d’avoir un droit de regard sur les activités pétrolières sur l’ensemble du territoire national ?

Il est temps que les militaires, qui ont l’intelligence, le pouvoir et le devoir de restaurer les institutions et la dignité des Gabonais, rétablissent entièrement la souveraineté perdue du Gabon dans ce secteur très sensible du pétrole par la mise en place dans ce Ministère de nouveaux dispositifs mieux à même de lutter contre la corruption et de protéger effectivement les intérêts vitaux du Gabon et des Gabonais.  Pour notre essor vers la félicité. Car tous les graves dysfonctionnements et dérives constatés sur les sites pétroliers comme sur les terminaux prennent source dans ce département ministériel vieillot et visiblement à court d’imagination.

 Dans l’un de mes libres propos sortis au mois de novembre 2023, j’aiguillonnais déjà le CTRI et le Gouvernement en leur suggérant, sinon d’annuler, tout au moins de rediscuter tous les contrats d’exploration et de partage de production (CEPP) signés sous le règne du chaos et qui, comme nous le savons maintenant, ne défendent pas les intérêts du Gabon. Mettre définitivement fin au pillage criminel de notre pétrole par des affairistes mafieux permettrait d’envoyer un signal fort à tous les autres aventuriers désargentés qui seraient à leur tour tentés de venir s’installer au Gabon à moindre frais pour y extraire du pétrole destiné, non pas au raffinage dans le pays producteur ce qui est fort regrettable, mais à l’exportation sans se soucier des intérêts vitaux des Gabonais qui ont maintenant hâte de retrouver leur dignité.

Que notre rêve collectif soit bien compris : une rupture impérieuse avec les magouilles des partenaires sans scrupules qui ne respectent pas la souveraineté de notre pays  ne signifie pas rupture des liens étroits que  le Gabon entretient avec la France. Car ce n’est pas la France, dont de nombreuses entreprises performantes et florissantes sont présentes dans d’autres secteurs de notre économie, qui demande à ses ressortissants opérant dans le secteur pétrolier chez nous de se comporter comme des voyous. Et ce n’est pas la faute de la France si nos élites politiques et administratives sont corrompues.

Il est donc souhaitable que les futures négociations avec les opérateurs pétroliers s’inscrivent dans une logique permettant de comprendre que les choses ont changé et que désormais tout se fera dans les règles et dans la transparence. A commencer par la signature et l’application stricte des contrats sur les permis d’exploration et de partage de production (CEPP) tenus secrets jusqu’à présent, pour des raisons évidentes de corruption, et qui devraient désormais être rendus publics pour permettre aux Gabonais de vérifier que ces nouveaux contrats sont conformes aux règles de l’équité et à la volonté des militaires au pouvoir d’assainir durablement le secteur des hydrocarbures.

L’autre signal fort à envoyer à ces petits opérateurs pétroliers qui volent notre pétrole pourrait consister en l’interdiction stricte de contracter avec des entreprises non gabonaises une quelconque activité pouvant être réalisée par une entreprise locale. Sans oublier la mesure innovante qui contraindrait l’ensemble de ces sociétés pétrolières nostalgiques de l’époque coloniale de mettre en place un plan de gabonisation progressif du personnel dans tous les domaines, comme à l’époque du Président Omar Bongo. Car il est évident que ce que font les travailleurs clandestins Nigérians, Congolais, Français et autres Camerounais sur nos sites pétroliers les Gabonais peuvent le faire.

Les nouveaux contrats pétroliers qui sont attendus avec impatience par la nation toute entière devraient aussi rapidement mettre fin à la mafia des sociétés de prestation de services, un secteur presque entièrement dominé par des étrangers, et rendre obligatoires les recrutements directs pour une meilleure garantie des droits des travailleurs nationaux. De même sur un tout autre plan, celui de l’éthique et de la morale, les avantages et privilèges indus accordés aux personnels et auxiliaires de commandement dans les provinces pétrolières doivent être supprimés dans les nouveaux contrats pour mettre fin à la collusion de plus en plus flagrante qui fait passer ces dignitaires Gabonais pour les défenseurs des intérêts des opérateurs pétroliers, corrupteurs et pollueurs invétérés, contre ceux des travailleurs et des Riverains gabonais.

Des missions d’audits pourraient être envoyées, si possible, avec l’appui des cabinets internationaux pour avoir une vision claire des manquements observés sur les différents sites et terminaux pétroliers où le CTRI et le Gouvernement pourraient d’ailleurs nommer et affecter en permanence des inspecteurs pour s’assurer de la concrétisation des nouvelles mesures à venir.

Concernant enfin les questions cruciales de recrutements des personnels, de leurs conditions de vie et de travail après le drame de Perenco, et en attendant la renégotiation inévitable des contrats pétroliers, on pourrait envisager des enquêtes périodiques conjointes des Ministères du Travail et de la Fonction Publique, enquêtes qui seraient diligentées au niveau de toutes les entreprises pétrolières et de leurs sociétés de prestation de services dont les pratiques mafieuses sont de plus en plus décriées par les personnels.

Gilles Térence NZOGHE. Diplômé de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Serge dit :

    Bonjour,
    A part arrêter le fléau que vous dénoncer,
    il est encore plus urgent de nous aligner avec
    la marche du temps. En effet, plusieurs pays
    occidentaux on décidé de ne plus utiliser de
    véhicules à moteur thermique à l’horizon 2035.
    Ce qui va sérieusement impacter les revenus
    des pays tels que le Gabon.
    si nous ne trouvons pas d’autres sources de revenus
    que la vente de pétrole brute ,ce n’est pas la corruption
    Que nous allons dénoncer, mais plutôt le manque chronique
    De moyen financier.
    Il y a urgence, il nous reste 10 ans pour radicalement
    Transformer notre économie. Si nous ne le faisons pas
    Ce qui est sûr c’est que le prix du pétrole brute sera fortement déprécier
    A cause de la baisse de la consommation occidentale ainsi que la
    Consommation chinoise.
    Alors devons nous nous battre pour
    recouvrer une certaine souveraineté dans un secteur qui est
    Est dans sa Phase de déclin ou devons nous utiliser le temps
    Qui nous reste pour trouver et exploiter un nouveau filon économique ?
    En tout cas ce

  2. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonjour Monsieur Serge,

    Juste une précision par rapport à cette phrase de votre commentaire :  » En effet, plusieurs pays occidentaux ont décidé de ne plus utiliser de véhicules à moteur thermique à l’horizon 2035″.

    Sauf qu’il s’agit d’une réglementation européenne. Il est prévu que 66% des voitures neuves vendues en 2030 soient électriques, et la totalité en 2035. Ça ne veut pas dire qu’on aura plus le droit de rouler en véhicules thermiques. Le résiduel sera certainement envoyé en Afrique qui n’a pas les moyens de financer sa transition écologique en raison d’une absence de fiscalité « verte ».

    Alors que le parc de véhicules légers électriques est de 1.5% (parc de 38.9 millions de véhicules), il doit atteindre 42% en 2035. Selon de nombreux experts, c’est une équation « impossible » à atteindre. L’accessibilité des véhicules est limitée pour les ménages à faible revenu. Un véhicule se vend selon les marques entre 40000 et 60000 € même après déduction de bonus écologique.

    En revanche, j’adhère à votre analyse sur l’urgence d’une diversification de l’économie gabonaise trop longtemps fondée sur l’économie pétrolière. De production globalement. Prenons l’exemple du Qatar ou l’Arabie Saoudite qui a investi dans des secteurs tendus: hôtellerie, football, média, eau virtuelle (production de légumes hors de leur pays au sol aride), etc. Le Maroc a investi dans le tourisme, l’agriculture, le secteur portuaire, la production d’énergie solaire, etc.

  3. DesireNGUEMANZONG dit :

    … j’aimerai rajouter que l’essor de l’économie gabonaise par une diversification de ses activités est freiné par l’existence d’un capitalisme « familial » prépondérant.

    Il sera question peut-être de mettre en place des mécanismes juridiques visant à réduire les transferts de capitaux vers l’étranger. En Europe, Tracfin surveille les mouvements de capitaux suspects pour des raisons de sécurité évidentes. Par ailleurs, la détention d’actions majoritaire de particuliers (familles) dans les sociétés impliquées dans des secteurs auxquels l’Etat peut tirer des avantages concurrentiels doit être interdite.

    La corruption, les conflits d’intérêts, l’existence massive de transactions informelles difficilement imposables appauvrissement le budget de l’Etat et limitent son champ d’action globale.

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