Les opérateurs économiques du secteur de la nuit au Gabon vivent un véritable calvaire depuis l’instauration du couvre-feu le 30 août dernier. Outre les pertes financières colossales, ce sont des milliers d’emplois qui sont menacés et toute une économie parallèle qui se meurt. Alors que le pays célèbre la Fête du Travail ce 1er mai, ces entrepreneurs et leurs employés crient leur détresse, se sentant délaissés par les autorités malgré les promesses d’inclusion du Dialogue national qui vient de s’achever. Tour d’horizon d’un secteur asphyxié qui peine à se remettre d’une crise sans précédent.

Représentant 4% du PIB du Gabon et y ayant contribué pour plus de 230 milliards de francs CFA en 2019, le secteur du tourisme et de l’hôtellerie suffoque sous les restrictions nocturnes. © GabonReview

 

Alors que le Gabon célèbre la Fête du Travail, de nombreux opérateurs économiques exerçant dans les activités nocturnes se sentent exclus de cette commémoration, subissant les effets dévastateurs du couvre-feu instauré depuis le 30 août dernier. Bien que le pays vienne de sortir d’un Dialogue national inclusif, ces entrepreneurs estiment n’avoir pas été pris en compte dans l’inclusion tant promue avant et lors de ces discussions.

Selon les chiffres alarmants, ce ne sont pas moins de 2000 entités de la nuit qui tirent le diable par la queue depuis l’instauration du couvre-feu. Paolo, un opérateur économique évoluant dans ce secteur, souligne que «les activités fonctionnent au ralenti non seulement depuis le 30 août, mais bien avant, c’est-à-dire durant les élections et bien au-delà, depuis la période de la pandémie de la Covid-19». Lui-même a dû fermer définitivement son entreprise, le Milano Love, à Akanda, mettant au chômage près de 15 Gabonais formés dans les écoles d’hôtellerie et sur le tas et donc n’ayant pas d’autres compétences à faire valoir dans d’autres secteurs, qui d’ailleurs ne recrutent presque pas en ces moments difficiles.

40.000 personnes et plus de 120 entreprises légales : un secteur économique dans la tourmente

Les répercussions économiques et sociales sont incommensurables. Représentant 4% du PIB du pays et y contribuant pour près de 230 milliards de francs CFA en 2019 (selon la Direction générale de l’Économie et de la Politique fiscale), le secteur du tourisme et de l’hôtellerie suffoque sous les restrictions nocturnes. Selon le Club de tourisme de Libreville, plus de 40.000 personnes et plus de 120 entreprises sont en difficulté. Le tissu commercial essentiel à la vie du pays est entravé, tout comme les chaînes d’approvisionnement et de services. Des milliers de travailleurs du secteur informel, actifs principalement la nuit, voient leurs revenus s’effondrer. Même le secteur des transports, avec des taxis et des citoyens désemparés face à l’impossibilité de transporter des malades de nuit, crie au désarroi.

Fait plus alarmant encore, le couvre-feu alimente une insécurité et une délinquance croissantes dans les quartiers populaires, avec leurs arrières-rues et pistes non contrôlées par les forces de l’ordre. Cette hausse paradoxale de la criminalité en période de restrictions strictes démontre l’inefficacité et l’absurdité de la mesure.

La détresse des entrepreneurs et de leurs employés

Comme Paolo, plusieurs patrons d’établissements de nuit ne savent plus où donner de la tête. Dr Joël, propriétaire du groupe APJ Empire à Akanda, comprenant une boîte de nuit et une terrasse, témoigne : «J’avais 45 employés, aujourd’hui j’en ai que six. Hier, vendredi, j’ai fait une recette de 30.000 francs CFA». Avant la fermeture de son établisssement, Paolo, patron du restaurant bar le Milano, en avait fait écho : «Un vendredi, mon établissement a fait 100.000 francs CFA».

Depuis l’instauration du couvre-feu, le secteur de nuit est dans une situation délicate, sans que cela n’émeuve la moindre autorité. Une attitude qui fait croire aux promoteurs de ce secteur d’activités qu’ils sont négligés par les autorités du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Pourtant, comme le souligne Murphy Tomo, patron du snack-bar Ibiza à Nzeng-Ayong, «malgré cette situation, qui a des conséquences énormes sur nos entreprises, nous payons toujours le même montant des impôts et autres taxes. Rien n’a baissé. Pour ceux qui sont locataires, ils continuent de payer chaque mois les charges locatives. Les bailleurs n’en ont rien à faire de cette situation».

Face à cette situation critique, certaines entités ont dû s’adapter en réorganisant leur manière de travailler, ouvrant de 18 heures à 23 heures. Malgré tout, ce n’est toujours pas rentable. D’autres, plus téméraires, ont décidé de maintenir ouvertes leurs structures pendant les heures du couvre-feu, au risque de se faire verbaliser par les forces de l’ordre.

Un employé d’un établissement de nuit s’offusque : «Notre asphyxie grandit davantage chaque jour un peu plus, faisant de nous des chômeurs poussés à la mendicité, livrés à l’oisiveté et à la précarité, voire à devenir des sans-abris, faute de revenus permettant de pouvoir subvenir à nos charges».

Des interrogations légitimes

Nombreux de ces entrepreneurs déplorent le silence des autorités quant à la durée du maintien du couvre-feu. «Qu’ils nous disent quand ce sera levé. Si c’est dans six mois, chacun va prendre ses dispositions. Mais nous laisser dans l’angoisse, c’est encore pénible», souligne l’un d’entre eux. Un autre opérateur propose : «Je me pose toujours cette question, à laquelle personne n’arrive à me répondre, pourquoi ne pas lever le couvre-feu, et laisser les barrages. Si le problème c’est le maintien de la sécurité, on peut juste fouiller les véhicules et les passants».

Comparant la situation au Gabon avec les mesures sécuritaires instaurées ailleurs en Afrique après les derniers coups d’État, de nombreux entrepreneurs et leurs employés s’interrogent. Au Mali, le couvre-feu instauré le 22 mars 2012 après le putsch ayant renversé le président Amadou Toumani Touré avait été levé 7 jours après le coup d’État. Au Niger, les militaires ayant pris le pouvoir ont levé, le 4 août, le couvre-feu instauré le 26 juillet, jour du coup d’État, après seulement 10 jours de restriction des libertés individuelles et collectives, malgré les menaces de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Pourtant, dans le cas du Gabon, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) n’a pas exprimé de telles menaces, ce qui soulève des interrogations dans l’opinion publique quant à la prolongation du couvre-feu, qui court désormais à son neuvième mois.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Akoma Mba dit :

    Ils doivent poursuivre le gouvernement devant L Organisation Internationale du Travail ou devant le Tribunal International des Droits de l’Homme

  2. Prince dit :

    9 mois de couvre-feu c’est sérieux là ? Cette question n’à même pas été débattu ? Pour un pays où le chômage bat son plein ? Ou le gouvernement ne peut donner du boulot à tout le monde on met au chômage un secteur aussi rentable et on vient nous bourrer les oreilles avec les discours du genre Un nouveau Gabon

  3. Alain MAKAYA dit :

    De quoi ils ont peur pour maintenir cette pression sur la population ? Quelque part ils ne doivent pas être si tranquille sinon ils ne feraient pas souffrir ce secteur d’activité autant en gardant ce couvre feu ! Nul part dans le monde il n’y a eu ça … 9 mois de couvre feu ( hormis deuxième guerre mondiale dans les zones occupées par les envahisseurs )

Poster un commentaire