Trente ans après l’adoption de réformes controversées dans le secteur des médias au Gabon, leur principal effet a été d’entraver le développement et l’épanouissement des professionnels de ce secteur stratégique. Dans cette analyse sans concession, Gilles Térence Nzoghe (ancien journaliste et ancien Conseiller membre du Conseil national de la Communication (CNC) revient sur deux textes qu’il juge particulièrement néfastes : le statut des personnels des médias publics et la réforme ratée de l’audiovisuel de 2011. Évoquant tour à tour les contre-exemples étrangers, les errements technocratiques et le manque de volonté politique des gouvernements successifs, il appelle à une refonte ambitieuse du paysage médiatique national.

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Gilles Térence Nzoghe, ancien Conseiller membre du Conseil national de la communication (CNC). © D.R.

Leurs auteurs ne le savaient peut être pas. Une fausse réforme est une réforme qui ne s’attaque pas sérieusement aux problèmes de fond  et qui par voie de conséquence impacte la transformation nécessaire du secteur concerné. C’est le cas des quatre réformes très controversées que les responsables politiques du département ministériel le plus pauvre de notre haute administration, en termes de législation sur la presse, ont porté sur les trente dernières années. Le présent article critique deux de ces mauvaises lois et propose des pistes de solutions.

 La première fausse réforme qui a fait obstacle à une bonne organisation administrative de l’information et de la communication, un pan important du secteur intellectuel, est le statut particulier des professionnels des médias d’Etat  voté au lendemain de la conférence nationale de 1990. Un texte à l’antipode du bon sens et du progrès, qui n’accorde aucun avantage pécuniaire ni matériel aux quelques centaines d’agents qui travaillent actuellement dans ce secteur très sensible et dont les salaires varient entre 150 000 et 600.000 francs CFA par mois.

Se servant à outrance d’un argumentaire fallacieux dont l’essentiel contestait aux  journalistes et autres assimilés des médias publics le plus petit privilège possible, sous prétexte qu’ils sont avant tout des fonctionnaires comme les autres, un manitou des lois impopulaires qui aime à se mêler de tout, y compris des questions qu’il ne maitrise pas, a ainsi, par son excès de zèle et son orgueil, obstrué depuis plus d’une trentaine d’années l’épanouissement matériel, professionnel et intellectuel des personnels des médias d’Etat. Des femmes et des hommes généreux et dévoués qui exercent des métiers astreignants et qui méritent, comme les médecins, les magistrats, les enseignants des institutions universitaires, et les militaires aussi, de bons statuts particuliers propres à leur assurer un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu.

Dans les autres pays de la sous-région comme le Bénin, le Sénégal, le Bourkina Fasso, et bien d’autres encore qui ne sont pas aussi riches que le Gabon, des textes particuliers abondent, qui ont été aménagés à côté des statuts généraux des fonctionnaires dans le but d’améliorer les conditions de vie et de travail de ces humbles serviteurs de la nation, qui n’ont jamais connu de repos ; condamnés qu’ils sont à pointer les jours ouvrables comme les jours fériés, de nuit comme de jour, sans toucher la moindre prime particulière. Il est temps que le Gabon  qui ne manque pas de moyens imite ces bons exemples de revalorisation des statuts des professionnels des médias qui nous viennent de ces pays  moins nantis que le nôtre mais qui, pour la plupart, ont mis en place, comme en France, des conventions collectives des travailleurs de la presse. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres on n’a pas besoin de réinventer la roue. Un peu de volonté politique suffit.

En lien direct avec les statuts des personnels, viennent ensuite les statuts juridiques des organes de presse de l’audiovisuel public qui les emploient. Comme son nom l’indique, ce domaine est la propriété de l’Etat gabonais, qui doit par conséquent se préoccuper plus que jamais de le restructurer convenablement, de  l’entretenir et de le bichonner toute sa vie durant. Car, bien géré, l’audiovisuel public est un instrument de progrès, un outil de pouvoir dont l’objet est l’expression et la diffusion de la pensée, mais pas uniquement  la pensée officielle. D’où l’importance des cahiers des charges. Ceux qui étaient prévus dans les décrets n° 0724, 0725 et 0726 du 21 juin 2011 portant création de Gabon télévision, Radio Gabon et Télédiffusion du Gabon sont toujours attendus au cabinet du ministre de tutelle et dans les salles de rédaction treize ans après le vote de la réforme.

 Or, les cahiers des charges sont pour les journalistes fonctionnaires de la radiotélévision publique ce que les cahiers de textes sont pour les élèves : ils mentionnent les leçons à apprendre, les devoirs à faire par chaque élève. Ils sont le précis « d’hygiène » des ambitions gouvernementales en matière de politiques journalistiques et de programmation. Leur confection doit se concevoir concomitamment avec l’élaboration des nouveaux statuts des organes de presse employeurs.  L’absence de ces instruments juridiques au sein des rédactions limite manifestement aujourd’hui les possibilités d’épanouissement professionnel et intellectuel de bon nombre de journalistes  bien formés qui, faute d’une ligne officielle clairement tracée, se croient obligés de s’autocensurer et d’exceller en culte de la personnalité pour plaire aux dirigeants politiques qui, toutefois, ne leur exigent plus tant de servitudes.

N’en déplaise à ses artisans, la réforme de l’audiovisuel public de 2011, dont les seules innovations ont consisté en l’obtention de la relative autonomie financière des trois nouvelles unités et en la création prématurée des chaines thématiques sans objectifs précis et sans animateurs qualifiés, était vouée à l’échec comme tout le monde peut le constater aujourd’hui. C’est la parfaite illustration d’une fausse réforme qui entrave quasi définitivement tout  autre projet structurant pouvant permettre de révolutionner un domaine crucial de l’administration resté longtemps à l’abandon.

Plutôt que d’aller calquer en France, notre pays de référence, un petit bout incomplet et contrefait du vieux statut d’établissement public de l’Etat qui depuis 1964 était celui de l’Office de la radiodiffusion télévision française (ORTF), les auteurs de la réforme de 2011 auraient dû simplement nous reproduire, sans complexe, le statut de société nationale de programme radiotélévision  choisi par la grande réforme audiovisuelle portée par le Président Giscard d’Estaing en 1974. Cette réforme avait éclaté l’ORTF en une  pluralité d’organismes dont quatre  sociétés nationales de programme à capital entièrement public : Télévision française 1 (TF1), Antenne 2 (A2), France régions 3 (FR3) et Radio France. Les relations de ces nouvelles structures et l’Etat français reposaient principalement sur les cahiers des charges qui fixaient pour chaque société les objectifs à atteindre. Les problèmes qui ont motivé le fractionnement  de l’ORTF n’étant pas de même nature que ceux qui ont entrainé la réforme bâclée de notre modeste RTG1, l’éclatement du couple radiotélévision, qui n’a finalement rien changé en termes d’amélioration des programmes et de gestion des personnels ne s’imposait pas chez nous.

Le modèle des statuts de l’audiovisuel public français quasiment devenu universel demeure encore à l’heure actuelle le plus vrai, le plus beau et le plus adaptable à nos réalités. Le Sénégal l’avait très vite compris. Il est le premier pays africain francophone à avoir réussi sa révolution audiovisuelle en 1990, sous la houlette de son ministre de la communication de l’époque Moctar Kébé, un professionnel de l’information qui s’était inspiré de ce modèle français de société nationale de programme ayant l’Etat comme unique actionnaire. Pour éviter le gaspillage des ressources et d’énergie la radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS) a conservé la formule du couple radiotélévision qui marche très bien ; le Sénégal a également dans la foulé, avec très peu de moyens, réussi la couverture globale de l’ensemble de son territoire en radiotélévision. D’autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Burkina Fasso, le Niger ont emboité  le pas au pays de la Téranga (hospitalité) et ont connu le même succès. Un défi que le Gabon peine à relever depuis plus de trente ans. Ce qui n’est pas très étonnant pour un pays qui n’a jamais compris l’enjeu audiovisuel  et qui pendant 56 ans, s’est montré plus préoccupé à domestiquer ses médias qu’à les développer.

Toute chose qui explique le déficit chronique de communication et d’information dont ont souffert tous les Gouvernements du vieux régime renversé ; déficit  qui risque de s’accentuer si les tenants actuels du pouvoir n’impriment pas très rapidement dans nos esprits leur différence en comblant cette carence. Sachant que l’une des causes profondes de ce dysfonctionnement est l’absence incompréhensible, dans un pays qui s’exerce à la démocratie, d’une politique officielle ambitieuse en matière de communication et d’accès à l’information qui donne à la radiotélévision nationale une véritable vocation d’information au service du pays et du citoyen. Car, il ne suffit pas de proclamer que  la presse est libre, encore faut-il organiser cette liberté. Parce qu’il s’agit d’opérer une profonde mutation dans un domaine relevant de la souveraineté nationale,  et quel que soit la qualification qu’on lui donnera, l’Etat n’aura plus demain d’autre choix que d’organiser sa nouvelle radiotélévision en un authentique service public capable d’assumer, dans le cadre de ses compétences, la mission de répondre aux besoins et aux aspirations de la population en ce qui concerne l’information, la communication, la culture, l’éducation, le divertissement et ce qui reste encore de nos valeurs.

Enfin, une réforme en profondeur de la radiotélévision d’Etat nécessite également l’élaboration de nouveaux organigrammes et d’un meilleur classement des responsabilités. Ces dispositions pratiques devraient tenir compte des exigences propres au métier de journaliste mais également des nombreux autres petits métiers de l’audiovisuel contrairement aux organigrammes actuels qui ignorent la complexité de la hiérarchie dans la presse. Ce blocage structurel réduit considérablement aujourd’hui la gamme des emplois notamment au sein des rédactions et des pools de production, en même temps qu’il rend aléatoire les possibilités d’avancement pourtant nombreuses dans une profession où la promotion ne doit rien à l’ancienneté mais au mérite. Le paysage politique est en cours de restructuration, le paysage médiatique ne saurait être en reste.

C’est, à mon humble avis, le vaste chantier sur lequel tous les efforts du Gouvernement actuel doivent être dirigés. Une grande réforme audiovisuelle qui donnera un nouveau souffle à la radiotélévision nationale  pour mieux faire entendre la voix du Gabon aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieure des frontières nationales. C’était l’un des objectifs assignés à la défunte Africa N°1. Développer les informations sur le Gabon pour une bonne image du pays à l’étranger. Ce but n’a jamais été atteint parce que les journaux de la première et dernière « station commerciale » du continent africain étaient essentiellement alimentés par l’Agence France Presse (AFP). C’est donc étonnant de savoir que certains militent encore aujourd’hui en faveur de la restauration d’une entreprise stérile qui était devenue un véritable gouffre financier et qui n’a jamais été imitée par aucun autre pays sérieux d’Afrique subsaharienne. /. (à suivre).

Gilles Térence NZOGHE

 
GR
 

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