Vœux au président de la Transition : Face à la tentation révisionniste, faire la lumière sur notre histoire
Il faut rechercher la vérité pour construire une mémoire collective et mettre chacun face à lui-même.
Le constat est alarmant. Un peu plus de quatre mois après la prise du pouvoir par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), les chantres du régime déchu se refusent à prendre la mesure du coup de force du 30 août 2023. Se posant en victimes, certains demandent des réparations, sans interroger leur responsabilité dans les outrances du passé. Minimisant la portée de leurs agissements, d’autres proclament leur fierté d’avoir servi le régime déchu, se gargarisant d’une prétendue expérience. Sur l’identité des acteurs, comme sur leurs motivations, le déroulement des événements ou les bilans humains, matériels et moraux, ils entretiennent des polémiques tendancieuses. En clair, si le CTRI avait tôt fait de dénoncer «une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se (traduisait) par une dégradation de la cohésion sociale risquant de conduire le pays au chaos», les affidés d’Ali Bongo ne l’entendent pas de cette oreille. En dépit des apparences.
Établir les faits et les circonstances de leur commission
Dans son discours de vœux au président de la Transition, la présidente du Sénat a implicitement flétri ce refus de toute remise en cause. Pointant une certaine irresponsabilité, elle a appelé à «l’établissement d’un consensus national» sur «la vérité historique», mettant en garde contre le «risque de faire le lit au révisionnisme voire au négationnisme». Nonobstant les postures partisanes, il faut effectivement faire la lumière sur notre histoire. Combien de personnes furent tuées à Port-Gentil en août 2009 ? Qui fut à l’origine de l’épuration administrative le mois suivant ? Qui ordonna et mena l’assaut contre le quartier général de Jean Ping ? Quel fut le bilan humain de cette expédition ? La même question vaut pour les patrouilles menées dans les quartiers au lendemain du 31 août 2016. Pourquoi aucun officiel ne fit le déplacement de Riyad après l’accident vasculaire et cérébral d’Ali Bongo ? Pourquoi fallut-il attendre son transfèrement vers Rabat ? Qui dirigeait le pays à ce moment-là ? Qui promulguait les lois ? D’où vint l’idée de faire élire le président de la République sur un ticket avec des postulants à la fonction de député ?
Si elles n’ont pas encore trouvé de réponses consensuelles, ces questions sont de nature à entretenir la fracture au sein de la société voire à compromettre toute entreprise de réconciliation nationale. Comme l’a souligné Paulette Missambo, il faut «mener des enquêtes, recueillir et recouper les informations, conserver les preuves et suggérer des solutions allant dans le sens de l’intérêt général». Autrement dit, pour mieux en expliquer les causes et identifier les responsabilités institutionnelles, il faut établir les faits et les circonstances de leur commission. Sans transiger ni marchander, l’Etat doit permettre aux populations de disposer d’informations fiables, vérifiables et vérifiées. Ne pas le faire reviendrait à laisser à chacun le soin de construire sa propre vérité, quitte à falsifier l’histoire soit pour se donner le beau rôle soit pour s’exonérer de toute responsabilité. Au-delà, cela permettrait l’établissement d’une forme de concurrence mémorielle, avec des risques d’instrumentalisation.
La désinvolture des bourreaux d’hier
On ne peut faire comme si, pendant de trop longues années, l’arbitraire et l’intolérance n’ont pas rythmé la vie publique. On ne peut faire comme si, au nom d’intérêts privés et partisans, des Gabonais ne se sont pas sentis en droit d’aller à l’encontre de l’intérêt général, foulant au pied tous les principes républicains, juridiques, éthiques ou moraux. On ne peut faire comme si, du fait de leur appartenance à une formation politique, certains ne se sont pas donnés le droit de semer la mort, embastiller ou violer les droits d’autrui. Après tout, des citoyens ont quand même trouvé la mort pour avoir voulu protéger leur vote ou défendre leur droit au libre choix des dirigeants. D’autres ont été mis au ban de la société, abusivement licenciés de leurs emplois ou placardisés dans l’administration en raison de leurs opinions. En outre, des biens privés ont été confisqués ou détruits, sous de fallacieux prétextes.
Que faire pour ne pas «laisser les rancœurs sédimenter» ? Comme l’a relevé la présidente du Sénat, «des gestes significatifs et de haute portée» ont été faits par le CTRI. Mais, sans méconnaître le sens et la signification de la réhabilitation de nombreux bannis d’hier, il faut dépasser la dimension individuelle pour construire une mémoire collective. Face aux risques de récidive et à la désinvolture des bourreaux d’hier, il faut rechercher la vérité pour mettre chacun face à lui-même. Ainsi pourra-t-on «gérer le passé pour garantir un meilleur vivre-ensemble». C’est la seule et unique façon de faire pièce à la tentation révisionniste ou négationniste.
4 Commentaires
Le CTRI aura beau fait le dos rond, il faudra tôt ou tard que toute la lumière soit faite sur les 14 années de règne d’Ali Bongo. Toutes ces tueries, injustices, toutes ces carrières brisées , tous ces compatriotes mis au ban du fait de leurs opinions politiques. En fait tout doit commencer par là. On voit des gens qui se pavanent dans les rues de Libreville et ailleurs alors que leur place véritablement est en prison. Si dialogue national il y a, il faut obligatoirement y insérer une commission vérité et réconciliation pour établir les responsabilités. Faire comme si de rien n’était ne sert pas véritablement les intérêts du pays, dans la mesure où, tôt ou tard chacun voudra bien se faire justice. Il faut absolument éviter ctte extrême…
Oligui tu te dis chrétien. Sais-tu que ce Dieu pour ne pas compromettre sa propre justice s’est donné lui-même en sacrifice pour que la justice contre nos péchés soient accomplie? Le père a souffert de voir son fils mis à mort mais sa justice n’était pas à brader parce que son trône est fondé sur l’équité. Alors le trône des autorités de la transition et de la nouvelle république à venir sera t’il fondé sur le sable mouvant du déni, du révisionnisme, de l’impunité et du déni des droits du régime inhumain des Bongo ou aller vous répondre à ces cris de soif de justice pour que notre pays face pénitence de ses égarement pour que jamais ça ne se répète. Rendez justice je vous prie au victimes des crimes du régime d’Ali Bongo. Le discours de Paulette n’est que l’expression des douleurs profondes. Les gabonais souffrent, ils sont malades de cette période d’injustices. Libérez notre peuple de ces blessures et de ces douleurs du passé par la reconnaissance du mal qui à été fait, la justice et la réparation et pour que tout le monde sache que ce n’est pas un jeu malmener et faire souffrir son peuple. Si vous ne le faite pas, vous faite courir au Gabon le risque de revivre la même histoire parce qu’on aurait rien appris collectivement.
Bonjour Roxanne Bouenguidi,
Omar Bongo Ondimba disait: « Main blanche je suis venu au pouvoir; main blanche je partirai du pouvoir ». Est-ce vraiment le cas? En est-il de même pour le successeur de Rose Francine Rogombé, Ali Bongo Ondimba?
Entre le « blanc » et le « noir », il y a des nuances de « gris ». Notre Histoire peut-être comparée à ces nuances de gris. Car il y a une tendance au « révisionniste » dans notre pays. Il y a ceux-là qui ont voulu sauver le Gabon; ceux-là qui accusent les autres; ceux-là qui s’abstiennent de toutes déclarations.
La vérité dérange; elle n’est pas bonne à dire. Mais comment construire notre histoire en ayant honte d’elle? Si vous êtes le père d’un enfant, alors vous en reconnaissez la paternité. Parce que vous vous sentez responsables. Y a t-il besoin de faire un test d’ADN? Dans notre pays, il y a une pratique du déni de responsabilités. L’enfer, c’est les autres! Dès qu’il y a un problème, tout le monde se carapate. Sauve qui peut. Regardez le PDG aujourd’hui. Tous courent derrière le CTRI.
Notre Histoire est une « somme de pages blanches ». Non écrites. Tronquées. A écrire ou à réécrire. Ce qui intéresse le peuple gabonais, c’est notre histoire « noire », baignée de sang, d’injustice, de désordre, etc. Napoléon Bonaparte était un « grand homme », mais est-ce que la grandeur d’un homme se mesure aux tas de cadavres qu’il laisse lui? Il est vénéré en France alors qu’il a rétablit l’esclavage dans les colonies françaises. Charles De Gaulle a « libéré » la France (avec l’aide des alliés). Certes. Mais aux motifs de la grandeur de la France, il a recruté les scientifiques nazis pour les programmes militaires français et a crée la « françafrique » (avec Jacques Foccart), un système qui a affaiblit les pays africains. La Garde républicaine (GR) gabonaise devenue Garde présidentielle (GP) a bien été créée aux lendemains du « coup d’état » de 1964. Soit dit en passant, nous voulons connaître la véritable histoire de Jean Hilaire Aubame.
Pour finir, l’Histoire est avant tout une « guerre de mémoires ». J’espère que nous la gagnerons tous ensemble.
Mme Roxanne Bouenguidi, je vous remercie pour l’excellence (par sa pertinence) de votre article. Votre article jette un pavé dans la marre.
Mes salutations.
Merci à Mme RB pour ce brillant article.
Un accent particulier doit aussi être mis les crimes économiques et l’enrichissement illicite. Nos hôpitaux sont mal équipés, les salles de classe surchargées, les universités ne répondant pas aux normes, certains gabonais vivant dans les taudis et je peux poursuivre. À côté nous avons une poignée de gabonais multi milliardaires. Le cynisme est tel que même leurs enfants sont des milliardaires comme par exemple les enfants d’Oyima. Une commission pour clarifier ces agissements est obligatoire.
C’était ma contribution.
Merci