Le discours du président de la Transition fait écho à une réalité : dans les pays en développement, les politiques de gestion durable des forêts ne résultent pas de choix librement consentis, mais d’une volonté de s’adapter à une réalité créée par les pays riches.

La revendication d’Oligui Nguéma n’est pas nouvelle. Mais, elle tranche avec les discours convenus et faussement internationalistes. De la part d’un dirigeant gabonais, elle laisse croire à une certaine inflexion, le pouvoir déchu s’étant contenté de reprendre la doxa dominante, se satisfaisant de satisfécits délivrés avec complaisance. © GabonReview (Montage)

 

Telle une antienne, la question du financement revient à chaque réunion internationale sur le climat. Mobilisation des ressources pour la conduite des activités ou coût d’opportunité, elle se décline de plusieurs façons, les participants n’ayant ni le même regard ni les mêmes intérêts. A Dubaï, lors de la 28ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (Cop 28), le président de la Transition y est allé de sa revendication. «Mon peuple aspire à continuer dans la préservation de ses forêts (…) Mais en échange de quoi ?», s’est-il interrogé. Pour lui, «les Gabonais ont des besoins socio-économiques essentiels à satisfaire.» Il lui «apparait donc impératif de reconnaitre et récompenser le rôle crucial que jouent les forêts du Gabon dans la préservation de la biodiversité, l’absorption du Co2 et la protection des écosystèmes». Comme on pouvait l’anticiper, cette sortie n’a suscité aucune réaction, les débats s’étant focalisés sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Faire de l’appui budgétaire

La revendication de Brice Clotaire Oligui Nguéma n’est pas nouvelle. Mais, elle tranche avec les discours convenus et faussement internationalistes. De la part d’un dirigeant gabonais, elle laisse croire à une certaine inflexion, le pouvoir déchu s’étant contenté de reprendre la doxa dominante, se satisfaisant de satisfécits délivrés avec complaisance. Abusivement présenté comme une rétribution pour la protection de nos forêts, le financement norvégien n’en est pas une. D’abord parce que l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale (Cafi, selon son acronyme anglais) est un partenariat entre donateurs volontaires et six pays du Bassin du Congo. Ensuite, parce qu’il fut lancé en 2015 à l’instigation de l’Assemblée générale des Nations-unies. Enfin, parce qu’il ne procure pas de ressources additionnelles au budget de l’Etat, l’argent étant destiné au financement de projets environnementaux en lien avec les préoccupations du bailleur. N’en déplaise aux bien-pensants, on est loin, très loin, d’une prise en compte du coût de renonciation.

Jusqu’à quand les pays du Nord vont-ils esquiver ce débat ? Jusqu’à quand ceux du Sud vont-ils se laisser endormir par une lecture prétendument humaniste ? Rarement tenues, les promesses de financement concernent avant tout l’action climatique. Jusqu’ici, aucune n’a eu vocation à faire de l’appui budgétaire, c’est-à-dire à faciliter le transfert des ressources en laissant au pays bénéficiaire la liberté d’en déterminer l’utilisation. Sans se détourner des négociations et autres instruments liés à la finance climatique, les États du Bassin du Congo doivent avoir le courage de porter le débat sur le coût d’opportunité. S’ils militent pour une juste répartition des efforts de réduction des émissions de gaz à effets de serre, ils doivent plaider pour des responsabilités communes, mais différenciées. Autrement dit, ils doivent demander aux destructeurs de payer non pas pour des activités de conservation, mais pour accompagner le développement.

Débat de fond 

Fût-elle une avancée, l’opérationnalisation du Fonds pour les pertes et dommages ne doit pas servir de prétexte pour éluder le débat de fond : dans les pays en développement, les politiques de gestion durable des forêts ne résultent pas de choix librement consentis, mais d’une volonté de s’adapter à une réalité créée par les pays riches. Pourtant, à Dubaï, on a encore fait mine de croire le contraire. On a de nouveau fait comme si les vulnérabilités aux changements climatiques sont les conséquences de l’action de la nature ou d’une opération du Saint-Esprit et non pas d’options prises depuis au moins la Révolution industrielle. A cette aune, le discours du président de la Transition fait écho à une réalité connue de tous. Reste maintenant à lui donner une suite : quitte à pousser les puissants à se dévoiler davantage, il faut proposer un instrument juridique international, contraignant et spécifique à la justice climatique.

Devant théoriquement se tenir en Europe, la Cop29 peut être l’occasion rêvée de mettre l’Occident face à sa responsabilité historique. Entre-temps, il faut s’atteler à donner du contenu à cette demande. Il faut cesser de se contenter des «certificats de bonne conduite» afin de hâter la «transition politique, économique et démocratique». Dans cette perspective, il faut engager le débat au sein des instances sous-régionales, particulièrement la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) et la Commission des forêts d’Afrique centrale (Comifac), définie comme «l’unique instance d’orientation, de décision et de coordination des actions et initiatives sous-régionales en matière de conservation et de gestion durable des écosystèmes forestiers». Autrement, ce propos restera un coup de gueule, une simple péripétie sans impact sur les politiques climatiques.

 
GR
 

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