Le PDG d’Assala Energy, David Roux, dresse à travers cet entretien un bilan de cinq ans de développement de son entreprise pétrolière au Gabon. Avec franchise, il évoque les défis rencontrés depuis la reprise des actifs de Shell et les rumeurs persistantes sur une plausible vente de la compagnie, exposant les difficultés surmontées pour faire avancer la société durant cette période de transition.

David Roux, CEO d’Assala Energy. © D.R.

 

De passage au Gabon au mois de mars, David Roux, CEO d’Assala Energy, a accepté de nous accorder une interview pour tirer un premier bilan de cinq ans de développement dans le pays, dans un style franc et très direct. Au cours de cet entretien de plus d’une heure, réalisé à Libreville, ce dirigeant qui s’exprime rarement dans les médias n’a éludé aucune question.

Dans cette interview, la première d’une série en trois parties, David Roux revient plus particulièrement sur les défis rencontrés à la suite de la reprise des actifs de Shell et sur les rumeurs persistantes concernant la cession de la société par son actionnaire actuel. Dans la deuxième partie de cette série, il reviendra plus particulièrement sur les problématiques de contenu local avant de prendre la parole sur les défis plus particuliers posés au développement du secteur pétrolier gabonais.

Gabonreview : Au terme de 5 ans d’exploitation au Gabon, le Projet Assala Energy a-t-il été un succès technique, économique et financier ? En êtes-vous satisfait ?

David Roux : Très, très très satisfait du projet. Comme vous le savez, Assala a repris les actifs de Shell Gabon fin 2017. Nous avons terminé notre cinquième exercice au 31 décembre 2022. Ce qui laisse déjà entrevoir clairement ce que le business est devenu et vers où l’on va. Lorsque nous avons fait cette transaction avec Shell, nous n’avions encore qu’une idée partielle de l’étendue de la qualité de ces actifs. En revanche nous savions ce que nous pouvions faire pour créer de la valeur.

Notre projet était basé sur deux piliers, au-delà de nos valeurs (la sécurité des biens, des personnes, de l’environnement, et la bonne gouvernance qui sont absolument intangibles) : l’un était l’optimisation des coûts de fonctionnement, l’autre était le réinvestissement dans des actifs qui en avaient cruellement besoin.

À l’époque de la reprise en main des actifs, le fonctionnement de la société au Gabon coûtait à peu près 350 millions de dollars par an. Notre objectif consistait à réduire ces coûts d’environ une centaine de millions de dollars par an sans affecter la maintenance, la sécurité, les bonnes pratiques… Nous sommes parvenus à réduire ces coûts de 150 millions de dollars par an.

Non seulement cela permet de dégager de l’argent pour conduire des investissements, mais surtout, cela rend la société plus forte en cas de crise. Et la crise n’a pas manqué d’arriver avec le Covid. Au deuxième trimestre 2020, le prix du baril est tombé vers les 10 $. La période était très difficile, mais nous a permis de tester la résilience de la société en situation de crise, en situation difficile. Et les finances de la société ont très bien résisté grâce aux efforts que nous avions consentis pour réduire notre train de vie.

Gabonreview : Restons sur ce premier pilier. Comment s’est effectuée cette réduction du train de vie ? Réduction des effectifs, élimination de certaines charges ou de certains process de production ?

David Roux : Je m’étais engagé dès le départ vis à vis du chef de l’État à entreprendre ce projet sans impact social. Donc, on a effectivement atteint nos objectifs de réduction du train de vie de la société, sans licenciement, sans plan social. Vous savez, souvent on entend dire, et on me l’a dit à l’époque : vous êtes financés par un fonds d’investissement, vous arrivez, vous vendez les meubles, vous licenciez le personnel et vous disparaissez avec vos gains. Mais cela n’a jamais été notre plan et nous l’avons prouvé. Nous avons donc, comme je m’y étais engagé, conservé l’ensemble du personnel dans la société ici au Gabon.

Gabonreview : Il y a eu des départs volontaires, en revanche…

David Roux : Il y a eu quelques départs volontaires, représentant 2% de l’effectif total. Une dizaine de personnes. On s’était engagé à ne pas changer l’ensemble de l’organisation. En revanche, comme il est normal dans ces situations, nous avons changé le management. C’est comme un entraîneur de foot qui arrive : il choisit, il sélectionne les gens en qui il a confiance et pas forcément la même équipe qu’avant. C’est d’ailleurs souvent pour ça qu’on change d’entraîneur. C’était un peu notre cas. Donc, on s’est accordé avec quelques personnes du management de la société pour se séparer en bonne entente. En revanche, l’ensemble de l’organisation a été conservé et c’est l’une des premières grandes fiertés d’Assala d’avoir réussi ce projet sans impact social. De même que les acquis sociaux hérités de Shell ont tous été préservés, ce qui place aujourd’hui Assala comme l’un des tout meilleurs employeurs au Gabon.

Le premier pilier a donc consisté à réduire notre train de vie. L’opérateur précédent avait un bureau à Gamba, un bureau à Port-Gentil, un grand bureau à Libreville. Nous avons donc rapatrié l’équipe administrative de Gamba (sauf les gens des opérations bien sûr) vers Port-Gentil. Et nous avons rapatrié les équipes administratives de Libreville à Port-Gentil et regroupé dans un même bureau l’ensemble des départements administratifs.

Non seulement cela permettait à tout le monde de travailler ensemble plutôt que d’être isolés dans des villes différentes, mais cela a aussi permis de supprimer une quantité de vols en avion dont le coût pesait trop sur les finances de la société. Nous avons aussi beaucoup internalisé les activités. Les sociétés pétrolières et l’industrie en général ont souvent le choix. Si vous avez un problème sur une machine, soit vous avez la compétence à disposition dans la société pour résoudre le problème, soit vous faites venir de l’étranger, à grands frais, un expert payé des milliers de dollars par jour. Cela coûte une fortune, mais n’apporte qu’une solution ponctuelle, donc non-pérenne.

Au Gabon, nous avons supprimé ça autant que faire se peut. Nous faisons venir quelques experts dans la société pour intervention, mais également pour internaliser les compétences, former les gens qui étaient présents chez nous, mais qui n’avaient pas ces compétences à disposition. Ils en ont donc bénéficié et aujourd’hui ils réalisent les interventions eux-mêmes. C’est une nouvelle génération d’ingénieurs, de techniciens, d’opérateurs gabonais admirables, qui se sentent mis en valeur par le fait qu’ils jouent un rôle désormais majeur dans le maintien de l’outil de production de la société. Nous sommes très fiers de ça.

Gabonreview : vous parliez d’un deuxième pilier ?

Le deuxième pilier, c’est le réinvestissement. Les champs que nous valorisons sont matures. À titre d’exemples, parmi nos actifs, Gamba a 60 ans. Rabi-Kounga, 40 ans; à sa découverte, Rabi était le plus gros champ à terre en Afrique. Champs majeurs mais très anciens. Beaucoup de production a été tirée de ces deux champs en particulier. .Or peu d’investissements ont été réalisés au cours de la dernière décennie. Actifs matures ne signifie pas actifs en fin de vie. La maturité ne veut pas dire qu’il n’y a plus de ressources, mais que l’exploitation nécessite de l’investissement, du réinvestissement. Ces champs ont besoin d’attention, un peu comme nos anciens, dans nos familles, qui méritent le respect et le respect, dans notre métier, c’est l’investissement.

Pour vous donner une idée, sur les cinq années qui ont précédé l’arrivée d’Assala, il y a eu seulement six puits de forés sur le portefeuille d’actifs. Et sur les cinq premières années de présence d’Assala, de 2018 à 2022, nous avons foré 40 puits. C’est plus de six fois plus. L’année précédant notre arrivée, l’opérateur avait investi 11 millions de dollars. Depuis 2018, nous avons investi 1,4 milliard de dollars, donc plus de 250 millions de dollars de moyenne d’investissement par an. L’investissement, c’est la clé. Pas d’investissement, point de salut. Peu de sociétés au Gabon ont investi autant sur les cinq dernières années.

Encore un point important concernant la conséquence visible de nos investissements. Si je prends juste le fruit de notre travail, notre taux de remplacement des réserves sur cinq ans est de 165 %. Cela veut dire que chaque fois qu’on a sorti un baril du sous-sol, on a identifié dans le sous-sol 1,65 baril. Donc aujourd’hui, après cinq années de production, il y a plus de réserves audités dans le portefeuille d’actifs que nous opérons, que lorsque nous sommes arrivés fin 2017. C’est cela la création de valeur par l’investissement.

Et c’est cela qui me permet de répondre maintenant en un mot à votre question initiale. J’ai été long, mais la réponse est oui : c’est un succès. Mais ce n’est pas un succès tombé du ciel. C’est un succès qui est venu du renforcement de la société, des investissements réalisés, et c’est surtout un succès qui est venu du labeur de tous les membres des équipes d’Assala à qui je veux rendre hommage ici.

Gabonreview : Alors, on va rester un tout petit peu sur cette question pour une petite précision, puisque vous parlez d’acquisition de ressources. Il y a quelques jours, dans Africa Intelligence, il a été question de Perenco qui souhaitait vendre ses parts dans le gisement gabonais d’Atora pour 50 millions de dollars. C’est dans ce process d’acquisition des ressources ?

David Roux : C’est un exemple parmi d’autres. Comme les investissements et les risques sont élevés dans notre métier, la pratique dans l’industrie pétrolière est de partager la charge financière et les risques entre sociétés. Les permis sont détenus par un consortium de sociétés avec une société parmi elles qui opère. Les autres sociétés, qui sont des partenaires financiers, payent leur quotepart mais ce n’est pas eux qui opèrent.

Ce que vous avez Vu dans la presse ces jours-ci concerne le champ d’Atora. Il a été vendu en 2016 à Perenco par TotalEnergies. Le deal a été finalisé en 2017 au moment où nous faisions notre entrée au Gabon. Mais Perenco n’avait que 40 %. Suite au deal que nous avons fait avec Shell, Assala avait les 60 % restants. Perenco est une société opératrice, son portefeuille est constitué d’actifs opérés, il n’est pas surprenant à mon sens qu’ils décident de se désengager des actifs qu’ils n’opèrent pas. La publication dont vous parlez a décidé, comme elle en a l’habitude, de donner à cette information des implications qui ne font à mon avis aucun sens. Peu importe.

Gabonreview : Pourquoi faites-vous le choix du déni au sujet de la vente d’Assala, alors que tous les médias spécialisés l’affirment, certains annonçant même une short-list de potentiels repreneurs ?

Quand vous dites tous les médias c’est inexact. Nous faisons l’objet, depuis que nous sommes arrivés au Gabon fin 2017, de spéculations répétées de la part d’un média que vous connaissez, un média basé à Paris dont le business model repose en grande partie sur ce type de rumeurs et en incitant leurs clients à acheter les articles en utilisant les noms de personnalités ou d’entreprises qui peuvent les intéresser. Ensuite ces rumeurs sont copiées collées par des médias qui ne vérifient pas leurs sources auprès de nous – et cela constitue un problème juridique majeur.

Je vais vous dire deux choses : au village ici au Gabon, on dit qu’il n’y a que sur les atangatiers qui ont des fruits qu’on jette des cailloux. Donc, avec le succès, viennent les pierres qu’on nous jette. Ça fait partie du jeu. Je vis avec, et je préfère me concentrer sur le succès de nos opérations plutôt que sur les pierres qu’on me jette.

Gabonreview : Il n’y a pas de fumée sans feux et si la rumeur est le marché noir de l’information, il n’y a pas que du toc dans le marché noir. Il doit quand même se passer des choses du côté de Carlyle ?

David Roux : Je vais vous dire ce qui se passe. Quand j’ai créé Assala en 2016 pour faire ce projet-là, le marché n’était pas porteur parce qu’on sortait de la crise et les investisseurs en bourse avaient beaucoup perdu du fait de la chute de la capitalisation boursière des sociétés pétrolières. Le marché et la Bourse n’étaient donc pas enclins à financer des projets dans le pétrole. C’est pourquoi j’ai cogné à la porte d’une autre source de capital, ce qu’on appelle le capital privé, ou private equity en anglais, autrement dit les fonds d’investissement.

Carlyle a cru en notre projet et décidé de nous financer. Ils ont mis à disposition du capital pour réaliser l’acquisition et investir dans ces actifs au Gabon. Mais, à la différence du groupe Shell, nos actionnaires ne sont pas une société pétrolière. Leur métier, ce n’est pas le pétrole. Leur métier, c’est l’investissement. Ils n’investissent pas que dans Assala. Ils investissent dans des centaines, voire des milliers de sociétés.

Il est évident, et ça je ne le nie pas, qu’un jour ou l’autre, il va falloir qu’ils vendent leurs actions à un autre acteur, investisseur ou industriel, c’est le modèle d’affaires des fonds d’investissement. Non pas qu’ils vendent la société : le groupe Assala va rester. Mais qu’ils concluent leur investissement pour revenir vers leurs investisseurs à eux (fonds souverains, fonds de pension, fonds de banques privées, etc.). Est-ce que Carlyle, un jour, reprendra son investissement initial en espérant avoir réalisé un profit ? La réponse est oui, mais c’est un secret de Polichinelle.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? J’ai été informé au mois d’octobre dernier par nos actionnaires, en toute transparence, qu’ils sont arrivés à un point d’étape dans leur cycle d’investissements. Ils m’ont informé qu’ils opéraient une revue stratégique de leur portefeuille d’investissements, dont Assala. Ils ont leur propre mode de fonctionnement, leurs propres obligations.

Dès que je l’ai appris, je l’ai communiqué par écrit à l’ensemble du personnel. C’était au mois d’octobre. Ce ne sont pas des choses qui se font du jour au lendemain. J’ai même lu quelque part qu’ils avaient déjà vendu. C’est incroyable comme certaines personnes prétendant être « journalistes » sont parfois informés de choses sur nous que nous ignorons nous-mêmes. Est ce qu’ils ont vendu ? Non.

Ce qui compte pour nous, pour les équipes d’Assala, c’est ce que nous sommes : les actifs qu’on a transformés, le programme de travail immense que l’on a encore devant nous avec toutes les réserves qu’on a identifiées dans le sous-sol gabonais. C’est cela qui est important. Ce n’est pas le fait que le capital et la dette qui nous permettent de financer notre activité viennent de Monsieur X ou de Madame Y, mais plutôt que notre business demeure attractif pour investisseurs et prêteurs.

(A suivre)

 
GR
 

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