[Tribune] Jeux vidéo dans les commerces de proximité : retour gagnant pour le commerce de l’argent ou retour perdant pour l’enfant ?
Les commerces de proximité deviennent des espaces de jeux vidéo. En effet, la boutique du quartier, en plus d’offrir des produits de première nécessité aux populations, offrent dorénavant un espace de jeux vidéo aux enfants. La facile accessibilité à ces machines de jeux vidéo amène à réfléchir. Il est important d’établir des règles d’accès à ces machines de jeux dont la pratique excessive peut représenter un danger pour les jeunes enfants. Docteur en psychologie de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), Chargée de rrecherche au CAMES et membre de l’Institut de recherche en sciences humaines (IRSH), Noëlline Sallah argument et tire la sonnette d’alarme.
Il y a plus de dix ans, le 21 avril 2011 exactement, nous avons soumis un article dans le Quotidien d’informations l’Union sous le titre : « Quand nous exposons nos enfants aux jeux vidéo ». Cette contribution, était, pour le grand public, la synthèse des résultats scientifiques de l’étude sur les espaces d’action offerts aux enfants dans l’agglomération de Nzeng Ayong à Libreville. Les résultats de l’étude décrivant l’environnement ludique avait répertorié soixante-dix (70) commerces de proximité qui servaient également d’espaces de jeux vidéo. Nous avons analysé le temps passé par les enfants sur ces appareils, soit environ 4 heures par jour. En discutant le caractère addictif de ces jeux, nous dénoncions de potentielles déviances à leur exposition (Sallah, 2011).
Quelques mois plus tard, ces espaces de jeux avaient soudainement disparu des commerces de proximité. Selon Mohamed, un épicier du quartier Nzeng Ayong, ces commerces de proximité ne disposaient d’aucun agrément leur permettant d’ouvrir des espaces de jeux vidéo.
Pourtant, depuis quelques temps, nous remarquons un retour de ces appareils de jeux dans les commerces proximité, à Nzeng Ayong notamment.
L’espace commercial de proximité peut-il dorénavant disposer de l’agrément lui permettant de proposer des jeux vidéo aux enfants ? Comment comprendre que ce qui « nuit » au développement d’un individu, soit placé sans scrupule à sa portée, surtout qu’il s’agit de l’enfant ? Au cours de nos investigations, nous avons surpris une discussion entre une mère et son enfant en âge préscolaire. La mère qui, s’est rendu compte que le fait de soustraire l’enfant au jeu ne semblait lui plaire, expliquait à ce dernier qu’il pourrait revenir le lendemain matin et promettait de lui remettre, elle-même, la somme nécessaire (100F CFA) à condition qu’il acceptât volontiers de rentrer, car il se faisait tard. La réaction de l’enfant a démontré qu’il développe certainement une « addiction » à la pratique de ce jeu. En effet, comme nous l’avons soulevé à l’époque « les jeux vidéo génèrent des addictions, car ils créent une dépendance psychologique au même titre que la drogue ou l’alcool » (Sallah : 2011 : 546). Même si, le jeu vidéo est perçu comme un jeu passe-temps agréable, plusieurs études ont montré que le jeu vidéo est loin d’être « socialisant ». En fait, il isole et enferme l’individu dans un imaginaire.
L’OMS, depuis 2018, reconnait l’addiction aux jeux vidéo comme une maladie à part entière. Dans certains pays développés, comme au Japon, des cliniques de désintoxication aux jeux sont de plus en plus en vogue. Il existe même des addictologues des jeux vidéo et autres dépendances au numérique. Si plusieurs spécialistes s’accordent à montrer les conséquences sur le comportement de l’individu, faut-il démocratiser l’installation de ces machines dans les commerces de proximité, chez le boutiquier du quartier ? S’il revient aux parents de réguler la pratique de ce type de jeux dans leurs maisons respectives, à qui incomberait ce rôle dans les commerces de proximité dont l’objectif est de se faire de l’argent ?
Rappelons que la pratique d’une telle activité va interférer sur la pratique des activités essentielles au développement harmonieux de l’enfant et des activités scolaires en l’occurrence. Même si Greenfield et Zeiltin (1994) ont parlé de ces jeux comme des instruments de socialisation cognitive, de plus en plus d’experts sont d’avis qu’ils sont la cause de la baisse du niveau scolaire. Plusieurs autres recherches ont montré que la pratique trop fréquente de jeux peut développer chez l’enfant une personnalité agressive (Delaunay, 2012). La majorité des études scientifiques révèle que les jeux vidéo augmentent le risque de comportements violents chez les usagers. Nous formulions déjà cet avertissement : « ces programmes s’activent avec des pièces de monnaie, d’où provient l’argent qui permet aux enfants d’actionner les jeux vidéo en dehors de la maison ? Certainement des parents ! Dans le cas échéant les enfants pourraient développer des pratiques répréhensibles pour jouer aux jeux vidéo ».
Les parents doivent veiller à mettre à la disposition de leur enfant, un environnement propice à son développement. Il est vrai que, le 21ème siècle est celui de l’interconnexion, mais la responsabilité de préserver l’enfant de dérives potentielles incombe aux parents tandis que le service public pense d’abord à renflouer ses finances à travers les taxes que produiront les machines de jeux vidéo.
Noëlline SALLAH
Chargée de Recherche CAMES
Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH)
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Références
Delaunay Aurélie, « Jeux vidéo et agressivité : quelles relations chez les enfants de cycle 3 », Education, Juin 2012.
Greenfield Patricia et Zeitlin Edith, « Les jeux vidéo comme instruments de socialisation cognitive », Réseaux, Volume 12, Numéro 67, p. 33 – 56 1994.
Sallah Noëlline. « Quand nous exposons nos enfants aux jeux vidéo », Quotidien d’informations l’Union, N°. 21 avril 2011. P9.
Sallah Noëlline. « Espaces d’action et contexte de la pratique des jeux vidéos par les jeunes enfants de l’agglomération de Nzeng Ayong à Libreville », Revue Ivoirienne des Sciences du Langage et de la Communication,. Décembre, N°5, Vol 2, 530-549, 2011, Paris, Paari.
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1 Commentaire
L’article est très intéréssant, mais je le trouve quelque peu à charge vis à vis du jeu vidéo. Au fond, celui-ci n’est pas un drame.Car, comme tout divertissement, il nécessite une pratique régulée. Donc c’est le comportement des gens qui devrait être en cause ici, non pas le jeu vidéo.
S’agissant des joueurs mineurs, vu qu’il s’agit d’abord d’eux dans cet article, il convient de rappeler ( et cela a été fait, fort heureusement) qu’il appartient à leurs parents de réguler leur fréquence de jeu.
En ce qui concerne les jeux vidéo auxquels ils ont accès en dehors des domiciles familiaux, là effectivement cela devient très compliqué d’exercer un contrôle. Mais d’ores et déjà (et cela a encore été rappelé) il faudrait que les responsables de ces établissements proposant ce type de divertissement possèdent des agréments. A côté de cela on devrait pouvoir développer d’autres sources de divertissements accessibles aux enfants (médiathèques, bibliothèques, centres aérés, parcs d’attraction…) qui pourraient les conduire à envisager d’autres moyens de se divertir en dehors du jeu vidéo. Car, ce qu’on ne dit pas assez c’est que dans ce pays où tout manque, le jeu vidéo chez le boutiquier du coin est le moyen le moins cher et le plus « sain » de se divertir pour un enfant (au Gabon il y a beaucoup d’enfants qui vont passer le temps libre en se rendant ivre dans les bars, comme des adultes).
Pour évoquer le fait que certains joueurs deviendraient violents du fait de la violence, je suppose, de certains des jeux vidéo, je dirais qu’il existe des films violents qui ne valent pas au cinéma d’être critiqué (plus aujourd’hui en tout cas) comme on le fait avec les jeux vidéo. Par ailleurs, le contenu proposé dans les jeux vidéo est souvent conçu pour un public en particulier. En effet, il existe des jeux vidéo destinés aux adultes (sur la pochette du jeu ou sur tout autre support l’âge recommandé pour y jouer est souvent indiqué). Donc, si un parent persuadé que les jeux vidéo sont une affaire d’enfants (un préjugé qu’il faut aussi combattre pour aider à ce que les choses aillent mieux) se mettait à offrir par exemple le jeu vidéo « the last of us » ou « GTA » (deux jeux vidéo très violents réservés à un public adulte) à son enfant mineur, il commettrait assurément une faute. Et si le comportement de l’enfant s’altérait à force de jouer à ces jeux, ces derniers ne seraient pas responsables de cette altération, mais le parent inconscient. Car de la même manière que vous ne ferez pas voir à vos enfants mineurs des films destinés aux adultes, vous ne devez pas les laisser jouer à des jeux pour adultes.
En résumé, le jeu vidéo n’est pas fautif dans l’altération du comportement des enfants et leurs mauvais résultats scolaires. Les parents doivent redoubler de vigilance sur la pratique du jeu vidéo par leurs enfants en ne les laissant pas accéder à n’importe quel contenu et n’importe quand. Les boutiquiers doivent eux aussi jouer le jeu en exécutant ce type de contrôle et posséder un agrément (c’est beaucoup plus un vœu pieu quand on sait que même leur activité principale est souvent exercée dans l’illégalité). Les autorités doivent contrôler ces agréments et développer d’autres sources de divertissements accessibles aux enfants pour les détourner du jeu vidéo ou, du moins, réduire leur pratique.