Gabon : L’enfer, vécu et conté par Bertrand Zibi
Tortures diverses, hasards divins lui évitant l’assassinat, procès-verbaux préfabriqués, arrosage au karcher : en trois ans de prison, l’ancien député du parti au pouvoir, Bertrand Zibi Abeghe est comparu le 2 juillet dernier en audience correctionnelle.
«Le parquet a requis dix ans de prison, soit la peine maximale», a déclaré Me Charles-Henri Gey, avocat de Bertrand Zibi Abeghe, au terme du procès de celui-ci, le mardi 2 juillet 2019, au Tribunal de Libreville. L’accusé s’est pourtant refusé de signer les procès-verbaux préfabriqués malgré les atroces tortures qu’il a subies.
Le jour où tout a commencé
Tout commence le 23 juillet 2016, jour où Bertrand Zibi Abeghe démissionne du Parti démocratique gabonais (PDG), lors de la tournée républicaine d’Ali Bongo cette année-là. L’ancien député reprochait à l’ancien parti unique d’être devenu «un lieu d’intrigues, où ne régnait plus qu’un climat de mort». Depuis cet acte, son sort était scellé. Comme l’a indiqué Henry Motendi Mayila, l’un de ses conseils, «son acte de mise à mort avait été signé».
Revenu à Libreville quelques jours après sa démission, Bertrand Zibi voit son domicile familial, sis Akebe dans le 3e arrondissement de Libreville, échapper à une tentative d’incendie. Se sentant désormais en danger, il va déserter le domicile familial pour élire domicile dans un appartement gracieusement prêté par Jean Ping à son QG sis aux Charbonnages.
Une arrestation rocambolesque
Après la campagne électorale de la présidentielle de 2016, Bertrand Zibi est pêché le 1er septembre 2016 au QG de Jean Ping, après avoir miraculeusement manqué d’être assassiné lors de l’assaut du 31 août ayant couté, selon lui, la vie à plusieurs personnes. «Jusqu’à ce jour je me demande comment j’ai pu être épargné. Puisque les éléments qui avaient été commis pour l’assaut détenaient ma photo. Ils voulaient à tout prix m’éliminer. S’exprimant avec un fort accent anglais, ils me cherchaient sans me trouver. Il m’est arrivé de me retrouver face à eux mais je ne comprends pas comment ils ne me voyaient pas et n’ont pas pu m’éliminer comme plusieurs compatriotes que j’ai vu mourir ce jour. Ils avaient été certainement aveuglés par Dieu à qui je rends grâce», a raconté l’ancien député lors de sa comparution à la barre.
Appréhendé le 1er septembre 2016 au petit matin, au QG de Jean Ping, Bertrand Zibi a été encagoulé sur les lieux puis balancé dans une voiture des forces de défense. Il est par la suite conduit, par les agents de la Direction générale des recherches (DGR) à la Direction générale de la Contre-Ingérence et de la Sécurité militaire (B2), solution de rechange à une première destination dont le vigile à la guérite avait refusé l’entrée, selon ce qu’entendait Zibi, vu qu’il avait la tête dans un sac et ne pouvait voir.
Là-bas, a raconté Bertrand Zibi, il est jeté en caleçon dans une cellule semblable à une fosse septique, puisque remplie de liquide noirâtre et d’excréments. Il est plongé dans la nauséabonde macération jusqu’à mi-poitrine. L’ancien député y passera 4 jours. Il était, de temps à autre, extrait de cette cellule-fosse à 5 heures précises «puis frappé, battu, torturé, passé à tabac, mis sur pont par les éléments du B2 aidés par Hervé Ndong», l’ancien président de l’ONG Convergence décédé en septembre 2017 en France des suite d’une maladie. «J’ai été sorti de cette cellule grâce à la pression de l’ambassadeur des Etats-Unis. Quand on me sortait de cellule, bourré d’abcès sur le corps, il était difficile pour mes bourreaux de s’approcher de moi à dix mètres, vu que je puais très fort. Avant de me toucher ils m’arrosaient d’eau à l’aide d’un tuyau semblable à un Kärcher», a révélé Bertrand Zibi. Un matin, Hervé Ndong, l’arrosant au Kärcher, lui a lancé : «toi qui te prenais pour le “Djim”, le “Nyamoro”, l’As des as, fais maintenant l’As des as, on va voir».
Le prisonnier d’opinion a indiqué s’être évanoui à deux reprises. La spiritualité qui bien souvent survient dans les moments de doute extrême ou d’angoisse existentielle, s’est radinée en Bertrand Zibi qui voyait alors en songe ses ancêtres lui disant d’avoir la paix intérieure, car son heure n’était «pas encore arrivée».
«Sans-Famille», l’épicentre de l’enfer
Transféré à «Sans-Famille», la prison centrale du Gabon, après avoir subi des tortures aussi inhumaines qu’humiliantes, il est jeté dans un quartier fait de murs en béton très hauts, sans éclairage et avec une toute petite entrée d’air. Bertrand Zibi Abeghe passera plus de 45 jours dans cette cellule spéciale, se nourrissant dans l’obscurité, évacuant ses matières fécales au même endroit avec près de 25 autres détenus. À l’en croire, dans cette cellule exiguë d’une capacité d’accueil de 5 personnes, le seul vêtement des détenus «c’est le caleçon», tant la chaleur y est suffocante.
«Un jour j’ai été torturé pour une histoire inventée de téléphone que je ne détenais pas», a-t-il regretté avant d’indiquer qu’en 3 ans de prison, il a vu «près de 50 personnes perdre la vie.» Bertrand Zibi a décrit «un climat de mort et terreur» dans ce pénitencier calibré pour 400 prisonniers. Elle compterait, à ce jour, «4800 prisonniers», selon l’ancien élu de Bolossoville dans le Woleu-Ntem. Il a raconté devant les juges qu’en raison d’une épidémie de tuberculose à «Sans-Famille», «près de 15 prisonniers sont morts successivement, il y a peu de temps».
Dans ce contexte, le prisonnier politique se perçoit «comme un revenant. Jusqu’à ce jour où je parle, je me demande comment je suis encore en vie avec toutes les misères que je subi». Et de raconter qu’il est placé, depuis 18 mois maintenant, dans «l’un des quartiers disciplinaires les plus dangereux de Sans-Famille» où il dort «avec 9 fous» parmi lesquels des détenus de plus de 10 ans du fait de la disparition de leurs dossiers judiciaires. Zibi Abeghe pense n’avoir eu la vie sauve que «grâce à Dieu» à qui il s’est d’ailleurs résolu de confier sa vie en prison.
Me Charles-Henri Gey, son avocat, a indiqué à Jeune Afrique qu’il est confiant quant à la justice gabonaise pour qu’elle réussisse à «détacher les infractions des circonstances dans lesquelles les faits ont eu lieu».
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