France / Élection présidentielle : Panurgisme ?
La reconduction de l’affiche de 2017 et l’influence des sondages en disent long sur l’état de la démocratie et de la société françaises.
C’était couru d’avance : le second tour de la présidentielle française opposera Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Conformément aux sondages, ces deux personnalités s’affronteront de nouveau, comme si la France était incapable de se renouveler. Pourtant, d’aucuns avaient cru voir dans la crise des Gilets jaune, l’occasion d’une remise en cause. D’autres avaient vu dans la pandémie à coronavirus, un moment propice à l’introspection. Il s’en était aussi trouvé pour tirer des plans sur la comète au lendemain du déclenchement de l’offensive russe contre l’Ukraine ou à la suite des révélations sur les contrats octroyés au cabinet Mc Kinsey. Las. Malgré un bilan introuvable, le président sortant a recueilli le plus grand nombre de suffrages. En dépit des accusations portées contre elle, la présidente du Rassemblement national (RN) s’est de nouveau hissée à la deuxième place.
De la démocratie représentative à la démocratie d’opinion
Si elle n’a pas surpris grand monde, la reconduction de cette affiche en dit long sur la démocratie française. Elle renseigne sur la capacité des Français à tracer de nouveaux horizons ou à peser sur leurs institutions. Pour reprendre notre sentence d’il y a quelques jours : «La démocratie française est en panne, la société en crise profonde.» Comme l’élargissement de ses pouvoirs, la totale irresponsabilité du président de la République a accouché d’un monarque de droit constitutionnel, «chef de tout mais responsable de rien», selon la formule de François Hollande. L’ayant intégré, les citoyens n’ont pas jugé utile d’évaluer Emmanuel Macron à l’aune de son bilan. Ils n’ont pas non plus pris la peine de se pencher sur les retombées des propositions de Marine Le Pen. Dans un cas comme dans l’autre, ils se sont laissé guider par les sondages, abdiquant leur libre-arbitre.
Comme en 2017, les sondages ont influencé cette élection, accentuant le glissement de la démocratie représentative à la démocratie d’opinion. Effet bandwagon ? Comportement grégaire ? Panurgisme ? Peu importe. Comme il y a cinq ans, les électeurs se sont laissé détourner des questions essentielles. Le réchauffement climatique ? Si Yannick Jadot en a beaucoup parlé, personne n’a questionné la suite du «One Planet Summit», organisé en décembre 2017 à l’initiative d’Emmanuel Macron. Le rayonnement international de la France ? Si la guerre en Ukraine en a fait une préoccupation, les échanges ont gardé une tonalité polémique. A aucun moment, ils n’ont été constructifs. Jamais, on ne les a inscrits dans une perspective à long terme : ni l’avenir de l’Union européenne (UE) ni les relations avec les Etats-Unis et, encore moins, la réforme des Nations-unies ou de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) n’ont été abordés. De même, l’avenir de la langue française et de la Francophonie ont été royalement ignorés.
Résignation ou choix par défaut
De cette indigence programmatique, Emmanuel Macron a fait un avantage. Tirant bénéfice de sa fonction, il s’est refusé à tout débat, confisquant l’enjeu de cette élection majeure. Curieusement, les institutions ont assisté sans mot dire. Censé veiller à «la régularité de l’élection du président de la République», le Conseil constitutionnel n’a jamais songé à lui demander de se conformer aux règles du jeu, fussent-elles non écrites. Dans une certaine mesure, cette remarque peut être adressée au Défenseur des droits et au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Certes, aucun président sortant ne s’est encore prêté à un débat contradictoire avant le premier tour. Mais, aucun d’eux n’a autant retardé l’annonce de sa candidature. Aucun d’eux n’est non plus allé en campagne dans un contexte aussi anxiogène, marqué par une guerre à un peu plus de 2. 000 kilomètres de Paris à vol d’oiseau. N’eut-il pas été plus équitable et plus démocratique de reporter ce scrutin ? Voire…
Du reste, Emmanuel Macron a aussi joué de sa position de président en exercice du Conseil de l’UE. Dans une intervention à Bruxelles, le 25 mars dernier, il a évoqué les principaux sujets de l’après-guerre : achat de gaz et de pétrole russes, approvisionnement en céréales… Comme s’il avait à cœur d’enjamber le scrutin de dimanche dernier. Comme s’il cherchait à renforcer sa stature dans l’inconscient collectif et dans l’imaginaire de l’électeur moyen. Au-delà de ses réels objectifs, ses concurrents ont ensuite eu toutes les peines du monde à apparaître comme des challengers d’envergure. Pour toutes ces raisons, les résultats de dimanche dernier procèdent non pas d’un choix mais d’une résignation ou, tout au plus, d’un choix par défaut. S’ils espèrent reprendre leur destin en mains, les électeurs doivent en tenir compte. Pour leur part, les candidats ont intérêt à faire enfin campagne, quitte à assumer les conséquences de leurs actes ou bilans.
2 Commentaires
Estimations fiables des résultats a 20h.
Résultats hyper précis et définitifs le lendemain matin.
Aucun candidat ne les conteste.
Dans un pays de 67 millions d’habitants.
Qui dit mieux ? Pas le Gabon en tout cas.
On a l’impression que cet article est écrit par un citoyen d’un pays exemplaire sur les points soulevés. Ah, les intellos de chez nous,toujours fins et inspirés dans leurs analyses quand celles-ci concernent les autres!Mais bon, belle lecture tout de même…