«Eyé» : Un nouvel album très éclectique par Arnold Djoud
«Personne ne sort ! Personne ne sort !». Cette phrase lancée par Arnold Djoud lors d’une manifestation relative au non paiement des prestations à Gabon 9 Provinces, a été transformée en chanson d’amour dans le dernier album de l’artiste. Titré «Eyé », la collection de titres est sortie le 22 février. De passage à Gabonreview, l’auteur compositeur parle de la période Covid-19 : «pendant toutes ces années, la misère s’est enfoncée dans la vie des artistes».
Gabonreview : Arnold Djoud, avant de parler de votre actualité et surtout de votre nouvel album Eyé, comment ont été ces deux dernières années pendant lesquelles la crise sanitaire a plombé tous les secteurs d’activités ?
Arnold Djoud : Pour les artistes, puisque c’est de ça qu’il s’agit, c’était l’hécatombe. Je n’ai fait que crier sur tous les toits que ça ne va pas pour les artistes. Pendant toutes ces années, la misère s’est enfoncée dans la vie des artistes. Heureusement, il y en a qui ont pu tirer leur épingle du jeu. Dès qu’on vous enlève une autre source de revenus, ça fait toujours mal. Il y a ceux qui n’ont que leur art. Les jeunes artistes, par exemple qui vivent de leurs prestations dans les snack-bars tous les week-ends. S’ils avaient 50.000 ou peut-être jusqu’à 200.000 francs tous les mois, ce revenu leur servait à payer leur chambre au moins. Tout cela a été coupé et beaucoup sont retournés chez leurs parents. Leurs enfants ne peuvent même plus aller à l’école. C’était vraiment une hécatombe.
Ça va mieux aujourd’hui ?
Depuis quelque temps, il y a une petite respiration, parce que les mariages ont repris, les snackbars sont ouverts. Certains artistes sont invités à y prester. Toutefois, pour les artistes d’une certaine catégorie, la galère se poursuit, notamment pour les gens comme moi. Je ne joue pas dans les bars. Je m’exprime dans les concerts et les vraies soirées. Ici, ce n’est pas évident. Le Covid-19 m’a permis d’apprendre à vivre avec très peu. Avant j’étais un flambeur, j’avais beaucoup d’argent, mais cette pandémie m’a fait comprendre qu’on peut vivre avec très peu. C’est la leçon que je tire de cette crise. Les pertes ne sont pas forcément les mêmes, mais il y a les enseignements. Et l’enseignement que j’en ai tiré c’est qu’il faut être mieux organisé et apprendre à vivre avec très peu.
Vous venez de sortir un nouvel album intitulé «Eye». Il arrive 10 ans après «Septième ciel».
«Eyé» est un album de 10 titres. On prononce «Eééyiiiiiéééééééé !». Ça ne veut rien dire. Ce n’est qu’une exclamation de joie. En 2019, j’ai sorti un son en collaboration avec Sony music et Afro records. Il s’appelait «Don’t go». C’est en anglais. Une sorte d’Afro beat et c’est sorti durant la pandémie de Covid-19. C’était carrément au moment où la pandémie débutait, en mars 2019. Je faisais donc de gros rêves autour de cette signature. Je me disais que c’est parti pour une carrière de folie. Mais après on ne sait pas ce qu’il s’est passé, le Covid-19 a déjoué mes plans. Entre temps, j’ai fait un accident de circulation, cela m’a beaucoup affecté. Dans cet univers de tristesse douloureux, on n’arrive plus à chanter, à travailler. Je me suis focalisé sur moi et j’ai commencé à écrire l’album Eye.
Que retrouve-t-on comme genres musicaux dans cet album ?
L’album est très éclectique. J’ai toujours fait différents genres musicaux. Je ne fais jamais un album qui n’a que du zouk ou de la musique tradi-moderne. Non ! Je fais des albums qui ont plusieurs colorations. Mon album est un album afro dans son entièreté. Mais il faut aussi dire que l’album Eye est un album concept parce que là-dedans j’ai par exemple un titre qui s’appelle «Mon univers» (C’est Noël 2.0). A l’époque, j’avais un concept qui s’appelait «Gabon Noël chaud» qui réunissait les enfants à Gabon Expo, au stade de Nzeng-Ayong. Je donnais ces concerts pour les enfants parce qu’ils m’aiment beaucoup. Et en tant qu’ambassadeur de l’Unesco pour la paix, je les réunissais et on faisait le concert. Avec une partie de l’argent récolté, je faisais des dons dans les hôpitaux, les orphelinats et les maternités. Mais toutes ces activités se sont arrêtées.
J’ai donc repris la chanson qui avait lancé ce concept. C’est une chanson de moi (C’est Noël, Arnold Djoud, ami du Père Noël et des enfants). J’ai remis cette chanson au goût du jour. Avant, c’était un truc langoureux. Maintenant, c’est un son dansant parce que j’ai l’intention de relancer Gabon Noël Show ce décembre si on est déconfiné. Je voudrais faire un grand concert au Stade et transformer le stade en Disneyland.
Dans l’album, j’ai aussi chanté l’hymne national du Gabon en featuring avec Lauriane Ekondo, une très belle voix, une cantatrice. Pourquoi j’ai chanté cet hymne ? Parce que l’hymne nous appartient à tous. Nous sommes tous Gabonais mais c’est aussi parce que je suis très suivi par les jeunes, les plus petits et je trouve que les paroles de notre hymne sont très profondes et ne sont pas très connues. J’ai donc chanté tous les couplets et je voulais que les enfants, les jeunes s’approprient cet hymne.
J’ai une chanson qui s’appelle «Volg’ma». C’est en langue fang et en français avec pour refrain «personne ne sort». C’est un peu tiré de mon aventure à Gabon 9 provinces lorsque j’ai fermé le portail du ministère de la Culture. C’est une histoire d’amour, l’histoire du couple qui célèbre à leur façon leur anniversaire de mariage et pendant la fête, la femme surprend son mari en train de la tromper. C’est un flagrant délit. Elle veut partir de la maison. Du coup, son mari dit «personne ne sort». Il a fermé les portes et a appelé ses amis et sa famille pour venir régler le problème et demander pardon à sa femme pour qu’elle reste.
J’ai fait une reprise d’un artiste ivoirien qui s’appelle François Lougah. C’est de lui que vient l’expression «la vie de Lougah» que les Ivoiriens utilisent. C’est un grand chanteur des années 70 – 80. Cette chanson c’est «Kouglizia». Je l’ai revisité et c’est chanté en langue Bété de Côte d’Ivoire. Et puis j’ai fait Eyé qui donne le nom à l’album. C’est une chanson d’espoir.
Revenons aux langues que vous utilisez dans vos chansons. Vous faites régulièrement des mélanges, français, omyènè, fang… et vous avez récemment participé à la promotion de la langue maternelle en tant qu’ambassadeur de la paix de l’Unesco. Dites-nous quelques mots sur ces expériences avec la musique.
C’est très tôt que j’ai appris à chanter dans les différentes langues du Gabon. J’étais dans un groupe qui s’appelait les Enfants du monde du Gabon. Avec ce groupe, on a voyagé à travers le monde. On a par exemple chanté pour Michaël Jackson quand il est venu ici. J’étais encore tout petit. J’ai chanté en live avec un orchestre sa chanson «We are de world». Dans ce groupe, on nous apprenait à chanter dans nos langues nationales. C’est de là qu’est née ma passion pour les langues. J’ai cette faculté d’imiter les accents.
Quelles sont vos muses ?
Je m’inspire de tout ce qui m’entoure. De la tristesse, de ma vie, des joies, des peines, des histoires qu’on me raconte ou que je vois moi-même, que je vis à travers le regard des autres. Nos couleurs sont des sources d’inspiration. Le titre de mon premier album que j’ai fait quand j’avais 19 ans, c’est «Tendresse». Je l’ai composé à cause d’un nom Haby. J’aimais tellement ce nom Haby que j’en ai fait une chanson.
Votre album est sorti le 22 février. Des tournées, des spectacles ?
Oui, au niveau local tout est encore fermé. Je vais faire une tournée que je vais appeler «A la rencontre des Ambassadeurs» parce que c’est ainsi que j’appelle mes Followers. On va écouter l’album autour d’un verre, on va raconter, on va rigoler et on va immortaliser cela avec des photos. J’ai prévu cela pour le mois d’avril. Je pense qu’on fera une vingtaine des dates. Pour l’international, je me rendrais en Côte d’Ivoire. Je pense que j’y serai en mai.
Quel usage faites-vous des outils numériques de partage et de vente de musique ?
Mon album est disponible sur ces plateformes depuis sa sortie. J’en tire quelques revenus. Je suis payé tous les six mois.
Quel est le statut de l’artiste gabonais ?
J’appartiens à différents collectifs d’artistes. Le statut de l’artiste gabonais était déjà introduit à l’Assemblée nationale. Seulement, il n’a pas été adopté par les deux chambres en des termes identiques. Il a été renvoyé pour réajustement. Il est très important que l’artiste gabonais ait ce statut parce qu’il vit encore dans l’informel. Si ce statut est adopté, l’artiste vivra mieux avec des avantages conséquents. Je pense que tôt ou tard il sera adopté.
Et pour les droits d’auteur ?
C’est pareil pour les droits d’auteur. J’étais membre du Conseil d’administration des droits d’auteur une fois, lorsque Billie-By- Nze était ministre de la Culture. Il a fait payer les droits des artistes sur une base forfaitaire. On payait en fonction de l’âge, de la carrière etc. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. On paie en fonction des œuvres qu’un artiste a produit. On paie au prorata de l’exploitation de son œuvre. Cette distribution était forfaire pour ne pas dire symbolique, pour montrer que le mouvement des droits d’auteur est bien en marche. Il fallait vraiment faire un premier pas et c’est la première fois que le Bureau gabonais des droits d’auteur (Bugada) payait ces droits au Gabon.
Maintenant, il est question de payer en fonction de l’exploitation d’une œuvre. Il faut bien comprendre que ce n’est pas parce qu’on a une longue carrière qu’on doit forcément bénéficier des droits, parce qu’on peut avoir une longue carrière mais vide. En 1993, j’ai sorti un hit qui est intemporel, ça ne me rapporte pas toujours de l’argent. Pour quelqu’un comme moi, j’ai l’habitude de dire que le Gabon m’a volé une grosse partie de ma vie. J’aurai dû partir plutôt. Parce qu’avec ce que j’ai fait en 30 ans, c’est beaucoup. J’ai au moins 20 hits, c’est à dire des chansons à travers lesquelles tout le monde se reconnait en les écoutant ou en dansant.
Qu’envisagez-vous pour «Eye» qui vient de sortir ?
Je suis en plein promotion de mon album. Je ferais un média-tour qui va durer un mois. On veut vraiment se reconnecter avec le public de manière soudée. Je rappelle que dans cet album, il y a la chanson «Appelez les noms» en featuring avec Lauriane Ekondo, Queen Koum, N’do-Man, Kiz Le Swaggando, Segame Beatz. Je pense que celle chanson annonce la véritable tonalité de l’album.
1 Commentaire
Félicitations mon fils Arnold. Bravo! Que Nzame te protège toujours. Tu es un fils du Gabon. Félicitations à toi pour les langues du pays que tu parles. Tu n’es pas né fang, bapounou ou nzebi, mais tu parles bien ces langues, bravo à toi mon fils.
Si tu sors un autre album un jour, penses aussi évoquer la nébuleuse francafrique, ce cancer qui ronge notre pays et le reste de l’Afrique subsaharienne (ex colonies de cette merde de France avec qui nous ne pourrons jamais progressé, A Ntare Nzame, pitié pour nous.) Je vais prier Nzame pour toi ce matin dans mon corps de garde. Bonne journée à toi mon fils.