Lutte contre la covid-19 : La lettre sans l’esprit
Pour ne pas tomber dans des errements similaires à ceux nés de la décision n° 219/CC, le tour de passe-passe ne doit pas devenir une procédure administrative, comme on l’a récemment observé avec la transmutation de l’arrêté n° 0685/PM en décret n° 0002/PR/MS.
Depuis mars 2020, le Gabon vit sous un régime d’exception. Décidé par le gouvernement, cet état d’urgence est soutenu par l’ensemble des institutions. Au début, cet unanimisme s’expliquait par les incertitudes sur la nature du virus. Il se justifiait par le flot d’informations alarmistes et contradictoires. Au fil du temps, la situation a dégénéré, entraînant un flottement institutionnel comparable à celui né de la décision n° 219/CC. Modification de lois et actes réglementaires préexistants, adoption d’autres, transfert de compétences…, comme l’empêchement du président de la République, la gestion du Covid-19 a donné lieu une série de manipulations juridiques, faisant le lit au mélange des genres voire à l’usurpation des pouvoirs.
Silences et interprétations spécieuses
Saisie par le Premier ministre en novembre 2018, la Cour constitutionnelle avait cru bon de réécrire l’article 13 de la Constitution, y ajoutant la notion d’«indisponibilité temporaire.» Dans la foulée, elle avait autorisé le vice-président de la République à exercer «certaines fonctions dévolues (au président de la République).» Comme on pouvait l’anticiper, le 16 novembre 2018, au terme d’un Conseil des ministres tenu en absence d’Ali Bongo, des nominations aux emplois supérieurs civils furent entérinés en violation de l’article 20 de la Constitution. Pis, les 12 et 13 janvier 2019, le cabinet du président de la République fut remanié depuis Rabat (Maroc), en marge de toute procédure légale. Naturellement, ces décisions ouvrirent la voie à un dérèglement institutionnel jamais observé : le directeur de cabinet du président de la République se para des atours de chef de l’Etat, organisant une burlesque «tournée républicaine», sous le regard complice des institutions, y compris la Cour constitutionnelle.
Dans la gestion de la Covid-19, le pouvoir aurait pu éviter de tomber dans des errements similaires. A une condition : le respect scrupuleux de la Constitution, dans sa lettre comme dans son esprit. S’il devait se garder de surfer sur les silences de la loi, il aurait dû éviter de se lancer dans des interprétations spécieuses. De ce point de vue, le renforcement des pouvoirs du gouvernement ne saurait se justifier. Pourquoi le Premier ministre aurait-il le droit de déclarer un régime d’exception pour 45 jours quand le président de la République peut le faire pour 15 jours ? Le Premier ministre serait-il devenu le supérieur hiérarchique du président de la République ? Même sous prétexte de crise sanitaire, on ne saurait l’affirmer. Volens nolens, le tour de passe-passe ne peut devenir une procédure administrative, comme on l’a récemment observé avec la transmutation de l’arrêté n° 0685/PM en décret n° 0002/PR/MS. Ou avec l’adoption d’un «projet de loi portant prorogation des mesures de prévention, de lutte et de riposte contre la vovid-19.»
Rendre des comptes au peuple souverain
Pour lutter efficacement contre la covid-19, il eut fallu comprendre comment protéger la démocratie, l’Etat de droit et les droits fondamentaux dans un contexte de crise sanitaire. Le président de la République demeure-t-il le «détenteur suprême du pouvoir exécutif» en toute circonstance ? Peut-on suspendre les libertés sans se soucier des règles de droit ? Ou sans passer par une délibération collective ? Valeur supérieure par excellence, la vie se limite-t-elle au fait de rester en vie ou de survivre ? Peut-on instituer un régime d’exception sur le long terme ? Peut-on systématiser les contrôles au nom de la sécurité sanitaire ? N’y a-t-il pas risque d’installer le soupçon, le délit de faciès et, la discrimination ? Face à la nécessaire adaptation des politiques publiques, quel rôle pour la société civile ? Ne s’étant guère interrogé au lendemain de l’accident de Riyad, le pouvoir ne s’est pas davantage posé des questions au moment de concevoir sa stratégie de lutte contre la Covid-19.
Respecter la Constitution, c’est d’abord défendre la démocratie, l’Etat de droit et les libertés fondamentales. Au-delà des arguties juridiques, les restrictions des libertés ne sauraient être une réponse. La même sentence vaut pour le transfert des pouvoirs du président de la République au gouvernement. Après tout, un jour ou l’autre, il faudra bien rendre des comptes. A ce moment-là, Ali Bongo se retrouvera seul, d’une manière ou d’une autre, face au peuple souverain. Quelque peu oubliées ces temps derniers, ces fondamentaux devraient guider la réflexion sur une vraie stratégie. Et pour cause : la population se compose de citoyens, c’est-à-dire d’électeurs appelés à décider. Le respect de la loi c’est aussi la reconnaissance et l’acceptation du rôle de chacun.
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